Photo : « Tabkha » de Mona Zahed © The New Arab
Avant octobre 2023, Mona Zahed, chef cuisinière et mère de famille palestinienne, dirigeait une entreprise de restauration prospère, mettant en pratique ses compétences et ses passions. Mais lorsque le génocide israélien a éclaté, elle a été déplacée de sa maison d’Al-Mina, le port maritime de Gaza, avec ses quatre enfants et son mari Osama Khateeb.
Les frappes aériennes israéliennes ont dévasté les maisons et les bâtiments, poussant des centaines de milliers de Palestiniens à évacuer leur quartier, près de 90 % de la population de Gaza ayant été déplacée.
Mais tout espoir n’est pas perdu. Depuis sa tente à Gaza, Mona a écrit « Tabkha : Recipes from Under the Rubble » (« Tabkha : Recettes de sous les décombres ») qui sera publié en mars de cette année.
Tabkha comprend 20 recettes palestiniennes de Mona, chacune accompagnée d’une illustration colorée réalisée par un artiste différent. Son livre contient également des recettes pour différentes occasions et célébrations en Palestine.
The New Arab s’entretient avec elle pour en savoir plus sur son parcours, sa résilience et l’inspiration qui l’a poussée à publier Tabkha :
The New Arab : Comment viviez-vous avant le génocide à Gaza et comment cela a-t-il changé ?
Mona Zahed : Je dirigeais mon entreprise de restauration à domicile, Rosemary, que je commercialisais par le biais des réseaux sociaux, et je dirigeais un centre d’enseignement. Alhamdulillah (Dieu soit loué), mes journées étaient bien remplies et j’étais occupée et heureuse malgré le stress du travail.
Après le 7 octobre, tout a changé.
Nous avons été déplacés huit fois depuis le début de la guerre. Ma maison a été touchée, mon centre d’enseignement a été détruit et mon activité de cuisinière s’est complètement arrêtée. La pharmacie de mon mari a été détruite et il n’en reste que les clés qu’il gardait précieusement dans sa poche.
Comment est née l’idée de votre livre de cuisine, Tabkha ?
Nous n’avions plus de revenus pour compenser ce qui avait été détruit. J’ai créé un lien GoFundMe dans l’espoir de collecter suffisamment d’argent pour quitter Gaza. Grâce à ce site, j’ai pu me faire des amis en ligne dans le monde entier.
J’ai rencontré en ligne Akko, une chef japonaise, qui m’a suggéré d’écrire mes recettes dans un livret qu’elle mettrait en vente pour m’aider dans ma campagne de collecte de fonds.
Ainsi, au milieu des bombardements et des attaques, j’essayais de noter mes recettes sur mon téléphone, qui avait toujours du mal à se recharger.
Au début, le livret contenait 15 recettes, il était imprimé en anglais et vendu en Allemagne et au Japon. Par la suite, mon amie Luciana, de l’équipe Coffees for Gaza, m’a suggéré de développer l’idée du livre et d’en écrire davantage, notamment sur des aspects uniques de la culture. J’ai recommencé à écrire et à traduire en anglais avec l’aide de ma sœur et de mon beau-frère.
Quels sont les défis auxquels vous avez dû faire face en écrivant Tabkha pendant ce génocide brutal ?
Pendant que j’écrivais le livre, nous avons été déplacés de force et avons déménagé dans une tente, où la vie est devenue complètement différente. Je vivais avec 30 autres personnes dans un espace réduit, nous ne pouvions pas recharger nos appareils, ni nous éclairer ; la vie est devenue très primitive ici, et il m’a fallu du temps pour achever mon projet.
Mais je tenais absolument à terminer le livre de cuisine chaque fois que je voyais mes enfants souffrir en vivant dans un tel endroit, et j’avais besoin de n’importe quelle source de revenus pour obtenir la somme d’argent dont j’avais besoin pour sortir de là.
Quelle est la signification de Tabkha pour vous ?
Je considère mon livre de cuisine Tabkha comme un miracle qui m’aidera à sortir de cette situation difficile. J’essaie de ne pas m’attacher à l’idée qu’il soit un succès parce que je ne veux pas être choquée et déçue (si ce n’est pas le cas). Mais si le livre réussit, ce sera la compensation d’Allah pour toutes mes souffrances Inshallah (si Dieu le veut).
Quelles sont les difficultés rencontrées par les familles de Gaza pour préparer les repas ?
Nous sommes confrontés à de nombreux défis : il n’y a pas un seul endroit sûr où rester, nous sommes donc toujours en mouvement, déplacés d’un endroit à l’autre.
De plus, nous n’avons pas toujours de gaz de cuisine, nous devons donc faire un feu de bois pour cuisiner, ce qui est l’une des choses les plus difficiles à faire au quotidien et qui demande beaucoup de temps et d’efforts.
Quelle est l’importance de partager les recettes de Gaza avec le monde entier ?
Nos recettes racontent au monde notre histoire, notre cause et notre existence. La Maqlouba, le Maftool et la Sumaqiyaa sont des plats qui représentent notre peuple. Chaque fois que la cuisine palestinienne devient une tendance en ligne et que je vois des gens du monde entier la préparer, je suis fière que le monde connaisse Gaza et que nous ne soyons pas oubliés.
Quel message souhaitez-vous transmettre au monde à travers Tabkha ?
Moi, Mona Zahed, et mes enfants méritons de vivre. Mes enfants méritent un avenir meilleur que celui qui les attend. Nous, le peuple palestinien, sommes pacifiques, nous aimons la vie et nous avons la volonté de vivre. Nous ne sommes pas que des chiffres, nous sommes des êtres humains avec des vies et des ambitions.
>> Commander le livre de Mona, « Tabkha : Recipes from Under the Rubble » (en anglais)
Lama Obeid est une écrivaine et formatrice palestinienne basée à Ramallah, en Palestine. Elle écrit sur la culture, la gastronomie, la politique et les voyages. Elle défend la cause palestinienne partout où elle va et est une réfugiée palestinienne de troisième génération déplacée de la ville d’Ein Karem, à Jérusalem-Ouest.
Traduction : AFPS