- ROUGE
- La "une" de l’Hebdomadaire
À l’origine, au prétexte d’une lutte à mort contre le terrorisme islamiste, il s’agissait d’en revenir à la politique de la canonnière, les forces armées de la première puissance du globe s’octroyant le droit d’intervenir où bon leur semblait pour y imposer leur ordre, voire pour recoloniser des régions entières.
Après l’invasion de l’Afghanistan, qui permit aux États-Unis de prendre militairement pied dans cette Asie centrale convoitée de longue date en raison de ses formidables richesses énergétiques, l’occupation de l’Irak aura constitué un moment essentiel du redéploiement de l’Empire.
À travers la mainmise réalisée sur ce pays, l’objectif était tout à la fois d’en contrôler le pétrole, de réorganiser toute la zone, d’administrer la démonstration des capacités militaires de l’US Army, de redéfinir à chaud les rapports de forces entre les principales puissances de la planète.
Dans le même temps, par la volonté conjointe de George W. Bush et d’Ariel Sharon, le peuple palestinien se voyait imposer la logique de l’affrontement entre le « Bien » et le « Mal ».
Le locataire de la Maison Blanche se trouve aux affaires depuis quatre ans, tandis que son allié israélien est devenu Premier ministre quelques semaines plus tard. Il est ainsi frappant qu’ils aient conduit la même politique, celle de la « guerre préventive », des logiques guerrières se substituant à tout processus négocié autant qu’à toute règle de droit.
Alors que Sharon décrétait que Yasser Arafat était « son » Ben Laden, son mentor remettait en cause les frontières de 1967 (prises comme base du compromis qu’avaient dessiné les accords d’Oslo), il approuvait la colonisation accélérée de la Cisjordanie, il prenait l’engagement solennel de maintenir la supériorité d’Israël sur ses voisins arabes, et il légitimait de facto toutes les entreprises de terreur conduite par Tsahal.
Quand l’un emplissait le bagne de Guantanamo et encourageait la pratique de la torture au centre irakien d’Abou Ghraïb, l’autre soumettait toute une population au régime des « punitions collectives ». On en sait le résultat.
Quatre ans après le déclenchement de la seconde Intifada, plus de 3 000 Palestiniens ont trouvé la mort (dont 82 % de civils), 45 000 ont été blessés, les bouclages et incursions répétées de l’armée israélienne ont ruiné l’économie des territoires occupés, on dénombre 7 500 prisonniers (dont 450 mineurs).
Du « mur » qui s’érige présentement en Cisjordanie, annexant les terres arables palestiniennes et les puits d’eau, à l’opération « Jours de repentir » qui vient d’être déclenchée (pour plusieurs semaines nous dit-on) contre la bande de Gaza, le but apparaît clairement :
conduire le plus grand nombre possible de Palestiniens à prendre le chemin de l’exil.
Ce qui achèverait la guerre de 1948 dont le Premier ministre israélien a toujours déclaré, qu’à ses yeux, elle n’était pas terminée.
L’axe Bush-Sharon obéit donc à une démarche implacable. À ceci près que ses promoteurs ont fini par s’y embourber. En Irak, les attentats qui frappent quotidiennement Bagdad, les affrontements de Nadjaf hier, ceux de Fallouja aujourd’hui, le commerce des otages qu’organisent des groupes ou bandes aux motivations obscures démontrent que les forces d’occupation ne maîtrisent plus rien dans le pays. À l’exception, évidemment, des gesticulations d’une administration autochtone dont ils contrôlent les moindres faits et gestes !
À quelques semaines de la présidentielle aux USA, Washington doit donc en catastrophe rechercher la caution des puissances qui lui avaient fait défaut lors du déclenchement de la guerre de 2003.
La conférence régionale, élargie aux pays du G8, dont Colin Powell vient d’annoncer la tenue dans le courant de ce mois reflète cette nécessité. Mais elle laisse également présager une nouvelle offensive pour impliquer d’autres États dans le maintien de l’ordre sur le terrain.
En Palestine, les défaites subies, autant que la crise de perspectives que connaît le mouvement national, ne viennent pas à bout de la volonté d’un peuple de conquérir sa souveraineté.
À preuve, un haut gradé de Tsahal se laisse à présent aller à ce constat désabusé : « Nous avons liquidé toutes les cellules terroristes, à l’exception d’une seule. Le malheur veut qu’elle comprenne 3,5 millions de Palestiniens. »
Et à l’échelle de toute la région, le désespoir fournit maintenant au terrorisme de nouveaux détachements de kamikazes, jusqu’à déstabiliser gravement les régimes les plus liés aux États-Unis, à commencer par la monarchie saoudienne.
Le silence complice de la « communauté internationale » face aux crimes qui se commettent en Palestine ou en Irak prouve, s’il en était encore besoin, que la solution ne saurait venir des arcanes de la diplomatie.
C’est dire s’il y a urgence à retisser les fils d’une immense mobilisation mondiale pour qu’il soit mis un terme aux occupations coloniales et pour que les peuples recouvrent le droit de déterminer librement leur destin.
Le Forum social européen de Londres, du 14 au 17 octobre, marquera une étape sur cette voie.
Christian Picquet