Les nouvelles en provenance des territoires palestiniens sont rarement bonnes. Elles peuvent parfois être pires. Surtout quand elles proviennent de la bande de Gaza. Il y a les violences quasi quotidiennes, qui dépassent parfois le cadre « ordinaire », comme celles qui ont eu lieu cette semaine, provoquant la mort de dix-sept Palestiniens et de trois soldats israéliens.
Et puis il y a le désespoir qui gagne les corps et les esprits. C’est cette désespérance qui gagne les Palestiniens, de tous âges et de tous milieux, que Stéphane Hessel a souhaité partager avec Mediapart.
À 90 ans, Hessel n’est pas seulement un ambassadeur de France (titre réservé aux plus illustres serviteurs du corps diplomatique), ou un « citoyen sans frontières », pour reprendre le titre d’un récent ouvrage de notre collègue Jean-Michel Helvig, il est avant tout un témoin de l’Histoire et une conscience de celle-ci.
Revenant d’une mission d’observation à Gaza, Ramallah et Jérusalem, il s’alarme de ce que lui ont confié ses interlocuteurs, essentiellement palestiniens : « À la suite de ce qui s’est passé depuis l’évacuation des colonies israéliennes à Gaza, depuis l’enfermement de ce petit territoire qui n’a plus de contacts avec le monde extérieur, depuis qu’il y a le Hamas d’un côté et le Fatah de l’autre, la seule solution qui apparaissait raisonnable et possible des deux États –israélien et palestinien – vivant côte à côte à la suite d’une négociation, n’est plus d’actualité. Tous nos interlocuteurs sur place nous ont dit : "C’est out ! Ce n’est plus possible !" Pourquoi ? Essentiellement à cause de la façon dont les Israéliens ont continué à coloniser la Cisjordanie et n’ont rien fait pour faciliter le travail de Mahmoud Abbas. Aucun de ces problèmes n’ayant évolué ces dernières années, la solution de deux États est devenue caduque. »
Dans l’extrait vidéo ci-dessous [1], Stéphane Hessel explicite cet abandon tacite de la solution prônée par la communauté internationale depuis quelques années, et que la mainmise du Hamas sur la bande de Gaza a également contribué à éloigner. Il prononce également le mot tabou d’apartheid, sans pour autant le reprendre à son compte : « Les Palestiniens ont perdu tout espoir, et ils se voient dans l’État d’une minorité complètement scindée, et par conséquent traitée comme les Noirs en Afrique du Sud au temps de l’apartheid. »
C’est également le vocable utilisé par l’ancien président américain Jimmy Carter, qui en fait le titre de son récent livre : La Paix, pas l’apartheid. Ce dernier était d’ailleurs dans la région cette semaine, et, suite à sa volonté de rencontrer les dirigeants du Hamas [3], le gouvernement israélien a refusé de le voir.
Stéphane Hessel raconte également sa rencontre préalable à son voyage avec le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner, et ce qu’il lui dira lors de leur prochaine entrevue.
Une critique sévère de l’Etat d’Israël
Stéphane Hessel occupe une position de témoin unique. Allemand vivant en France dans les années 1930, juif par son père, déporté à Buchenwald, résistant, engagé au côté de De Gaulle, il a également participé en 1948 – l’année de la naissance d’Israël – à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Parce qu’au mitan du XXe siècle, il s’est retrouvé acteur et victime d’événements aux répercussions considérables, il n’hésite pas aujourd’hui à juger en des termes très durs le devenir d’Israël, un État dans lequel, comme beaucoup de ses contemporains, il avait placé les espoirs d’une génération qui pensait reconstruire un monde meilleur pour tous.
C’est le fossé qui existe entre les idéaux et la réalité qui lui fait dire aujourd’hui : « La volonté juive a été trahie par l’État. L’État d’Israël, parce qu’il était alimenté par une volonté nationale sioniste plus importante que les valeurs du judaïsme, a trahi la judaïté. »
Gaza et Hebron, entre colonies et barrages
Bien que n’ayant jamais été journaliste, Stéphane Hessel possède l’œil fin des meilleurs observateurs.
Dans ces deux extraits vidéos, il nous raconte d’abord sa rencontre avec un habitant d’Hebron, en Cisjordanie, qui résiste péniblement aux colons israéliens, et ensuite comment l’on rentre difficilement dans la bande de Gaza.
Quand Stéphane Hessel vous propose de vous raconter son dernier voyage, il faudrait mettre beaucoup de mauvaise grâce pour refuser. Ce grand personnage, ce grand témoin de l’Histoire, est également un grand humaniste. Et ce qu’il avait à dire ce jour-là (jeudi 17 avril) était une forme d’irritation contre ses propres valeurs : la réalisation qu’une fois de plus, l’espoir d’une solution négociée au conflit israélo-palestinien s’envole en fumée.
Pour découvrir Stéphane Hessel, il faut lire le livre d’entretien qu’il vient de publier avec notre collaborateur [Jean-Michel Helvig : Citoyen sans frontières [ (Fayard)
Hessel est également un homme qui se nourrit de poésie : il a publié un fort bel essai sur le sujet : O ma mémoire, la poésie ma nécessité (Le Seuil)