Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Le pays s’agite à propos d’une colonie du nom d’Amona. Là, au plus profond des territoires occupés, quelques dizaines de familles ont établi une colonie illégale – illégale même au regard de la législation israélienne, sans parler du droit international.
L’ennui c’est qu’elles ne se sont pas donné la peine de chercher à qui appartient le terrain sur lequel elles se sont installées. Or il s’avère qu’il s’agit en réalité de la propriété privée de fermiers arabes. La Cour suprême israélienne a ordonné aux colons d’évacuer les lieux.
Évacuer des Juifs ? Impensable ! Les Amonites ont juré d’y opposer une résistance ̏passive ̋. Cela consiste à appeler des dizaines de milliers de colons de l’ensemble des territoires palestiniens occupés à se dépêcher sur les lieux. Cela signifie des bébés en pleurs, des filles qui hurlent, des jeunes violents en train de repousser des soldats (dont plusieurs sont eux-mêmes des colons), des hommes portant l’étoile jaune de l’époque nazie, des femmes serrant contre elles leur nombreuse progéniture en pleurs, des quantités de caméras. Terrible.
Alors, comme la date de l’évacuation approche et que la Cour refuse d’accorder un nouveau délai – après des années d’atermoiements juridiques – le gouvernement a trouvé une porte de sortie : les colons d’Amona se déplaceront d’une centaine de mètres, pour atterrir sur une partie de la même colline qui n’appartient pas officiellement à des personnes privées.
En contrepartie de cette faveur consentie par les colons, le gouvernement promet de passer une ̏ loi de légitimation ̋, une invention de pur génie juridique. Elle stipule que dans des dizaines d’endroits sur toute la Cisjordanie où d’autres colonies ont été installées sur des propriétés palestiniennes privées, les terrains seront tout simplement expropriés et que les propriétaires légitimes seront indemnisés.
Bref : une gigantesque opération de vol de propriétés de personnes privées, qui se trouvent être des Arabes palestiniens, afin de ̏légitimer ̋les colonies de Juifs fanatiques d’extrême-droite.
QUAND j’ai lu le texte du projet de loi, je me suis souvenu d’une phrase de la Bible qui m’a toujours déconcerté.
C’est dans Exode 12. Lorsque Pharaon finit par autoriser les Enfants d’Israël à quitter l’Égypte, après les terribles dix plaies, ceux-ci firent quelque chose d’extraordinaire.
̏ Et les Enfants d’Israël… empruntèrent aux Égyptiens des bijoux d’argent, des bijoux d’or et des vêtements… et ils dépouillèrent les Égyptiens.
Comme les Enfants d’Israël partaient pour de bon, ̏ emprunter ̋ voulait dire voler. Non pas Pharaon ou l’État, mais des gens ordinaires, leurs voisins.
Il est aujourd’hui généralement admis parmi les expert que l’exode ne s’est jamais réellement produit, et que l’histoire a été écrite environ un millier d’années après le prétendu événement. Mais pourquoi un rédacteur attribuerait-il à ses ancêtres un tel comportement répugnant ? Spécialement s’il n’a jamais existé ?
La seule réponse que je puisse imaginer est qu’à cette époque les auteurs et les rédacteurs ne trouvaient rien de répugnant dans cette histoire. Tromper et voler des non-Israélites était bien.
C’est également bien aujourd’hui pour les colons et le gouvernement d’Israël.
(Comment savons-nous que l’histoire de l’Exode fut inventée bien plus tard ? Parmi d’autres indications, parce que les lieux égyptiens mentionnés dans le récit n’existaient même pas à l’époque du Moïse imaginaire, mais existaient à celle des Maccabées, des siècles plus tard, lorsque le texte fut écrit.)
UN AUTRE CHAPITRE de la Bible est encore mieux adapté aux événements actuels. C’est un texte que chaque écolier israélien apprend au début de son adolescence. Dans l’original en hébreu, c’est d’une beauté littéraire exquise, indépendamment de sa très grande force morale
Il raconte (1 Rois 21) que :
̏ Naboth le Jizréélite possédait une vigne… tout près du palais d’Achab, roi de Samarie.
Et Achab parla ainsi à Naboth : ‘Donne-moi ta vigne que je puisse en faire un jardin, car elle est tout près de ma maison, et je te donnerai à la place une vigne meilleure ou, si tu préfères, je t’en paierai la valeur en argent.’
Et Naboth dit à Achab : ‘Que le Seigneur me garde de te donner le patrimoine de mes pères !’ Achab rentra chez lui maussade, et de mauvaise humeur… Mais Jézabel, sa femme, vint le trouver et lui dit : ‘Pourquoi as-tu l’esprit si triste ?’
Sa femme prit les choses en mains et donna l’ordre aux anciens de Samarie de faire juger Naboth sur la base de fausses accusations, et elle le fit lapider à mort.
Dieu, le Tout-puissant, n’aima pas du tout cela. Il envoya son prophète, Élie, qui vint voir Achab et lui dit : ‘As-tu tué et aussi pris possession ? ...Là où les chiens ont léché le sang de Naboth, les chiens lécheront aussi ton sang ! ̋
Et c’est ce qu’il se passa. Achab mourut en héros dans une bataille, touché par une flèche tirée au hasard. Les chiens léchèrent son sang qui coulait de son char de combat. Ils mangèrent aussi la chair de Jézabel, sa femme.
En hébreu l’histoire a une résonance bien plus belle que dans la traduction. Des non-religieux peuvent le lire avec autant de plaisir esthétique que des religieux.
SI DIEU se trouvait par là aujourd’hui, il enverrait sûrement un de ses prophètes de service à Nétanyahou (un nom à belle consonance biblique) pour lui parler des chiens qui lèchent le sang aujourd’hui. (Journalistes ? Reporters de la télévision ?)
La ̏légalisation ̋ proposée de la saisie de propriétés privées arabes, quelles qu’en soient les conditions, est tout simplement du vol. Tout propriétaire arabe citerait Naboth, ̏ Allah me l’interdit…
Nétanyahu n’a pas besoin d’inquiéter sa femme, Sarah’le, qui a ses propres problèmes avec la justice. Au lieu de Jézabel, il a la Knesset et le Procureur Général.
Pourtant la solution proposée – déplacer de quelques mètres les colons vers une propriété du gouvernement – n’est pas du tout meilleure que la proposition d’Achab à Naboth. En réalité elle est bien pire.
Le roi Bibi, comme le roi Achab, propose d’indemniser en argent, mais il ne propose pas un autre – et meilleur – terrain. En réalité il espère que les Arabes prendront l’argent et partiront au Brésil ou en Suède.
L’offre de déplacer les colons d’Amona vers des ̏ terrains du gouvernement ̋ demande quelques explications. Comment se fait-il que le gouvernement israélien possède des terrains en Cisjordanie occupée (distincte du royaume de Jordanie sur l’autre rive du Jourdain. Le gouvernement et les colons eux-mêmes appellent ce territoire Samarie, comme dans la Bible.)
Au bon vieux temps de l’Empire ottoman, la terre appartenait au sultan, qui la louait aux fellahs (les paysans). Avant la Première Guerre mondiale, alors que le sultan était – comme d’habitude – en faillite, il vendit quelques terres à des sujets privés, pour la plupart de riches marchants de Jaffa, de Beyrouth ou de Monte Carlo. C’étaient des propriétaires absents et les paysans sur place ne changeaient pas.
Cependant la plupart des terres continuèrent à appartenir au sultan, jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, lorsque le gouvernement du nouveau mandat britannique en Palestine prit le relais. Les paysans palestiniens locaux bien sûr restèrent sur place.
C’était la même situation lorsque – après la guerre israélo-arabe de 1948 – le gouvernement royal jordanien prit possession du territoire. Rien ne changea. Le gouvernement de Jordanie conserva la propriété formelle de la terre, les fellahs cultivèrent leurs parcelles comme ils le faisaient depuis des générations.
Quand Israël conquit la Cisjordanie en 1967, une situation totalement différente se présenta. Contrairement aux Turcs, aux Britanniques et aux Jordaniens, le gouvernement israélien actuel a des projets sur la terre. Il veut la transférer à des colons juifs, des colons d’extrême-droite, des colons extrêmement religieux ou les deux à la fois.
La fiction juridique de ̏terrains propriété du gouvernement ̋devint une réalité du jour au lendemain. D’énormes étendues de terrain de la Cisjordanie ont soudain appartenu au gouvernement d’Israël. D’autres étendues énormes qui appartenaient aux Palestiniens qui avaient fui ou avaient été chassés lors de la guerre de 1967, qualifiées de ̏propriété d’absent ̋, furent aussi expropriées par le gouvernement israélien.
Tout cela est maintenant ̏terre du gouvernement ̋ sur lesquels des Israéliens ont toute liberté de s’installer selon la législation israélienne. Il va sans dire que tout cela est totalement illégal au regard du droit international qui interdit catégoriquement à la ̏puissance occupante ̋ de venir installer ses citoyens dans le territoire occupé.
Voilà donc la situation légale : installer des colons israéliens sur des ̏terres du gouvernement ̋ est légal selon le droit israélien, mais absolument interdit par le droit international. Installer des colons sur des terres privées palestiniennes est interdit à la fois par le droit international et le droit israélien.
Dès maintenant, le gouvernement demande aux colons d’Amona de se déplacer vers des ̏terres du gouvernement ̋. Ils ont maintenant le choix entre se faire expulser ou accepter de faire la centaine de mètres vers leur nouvelle résidence.
JE ME DEMANDE ce que le prophète Élie aurait dit de tout cela. Il n’avait pas l’habitude de mâcher ses mots.
Les chiens israéliens ne lècheront pas le sang de Nétanyahou. Ils ne mangeront pas non plus la chair de Sarah’le. À Dieu ne plaise.
Il y a quelques jours une étudiante en art de l’académie Bezalel de Jérusalem a réalisé une affiche présentant un intéressant portrait de Nétanyahou devant un nœud coulant. Elle a été convoquée au quartier général de la police et accusée de sédition.
Même Achab n’était pas allé jusque-là.