Dans le New York Times [1], Tom
Friedman affirme que « le sujet
pour les Palestiniens n’est plus
de savoir comment ils résistent à l’occupation
israélienne à Gaza, mais plutôt d’y
construire un mini-Etat décent, un Dubaï
sur la Méditerranée ». Sara Roy s’insurge.
1,4 million de Palestiniens vivent
aujourd’hui dans ce territoire, une population
appelée à passer à près de deux
millions d’ici 2010 [2]. La moitié du territoire
connait la densité de population
la plus élevée du monde. Le camp de
réfugiés de Jabalya concentre 74.000
habitants pour 1 km2. Selon le dernier rapport
de la Banque mondiale, les Palestiniens
connaissent la pire dépression
économique de leur histoire moderne,
due principalement aux restrictions
durables imposées par Israël, à commencer
par les effets des bouclages. Cela
a réduit le niveau des échanges extérieurs,
comme l’emploi des travailleurs
palestiniens en Israël.
Au chômage et à la pauvreté s’ajoute la
malnutrition. 41% des Gazaouis ne survivent
aujourd’hui que grâce au Programme
alimentaire mondial. Dans cinq
régions de la bande de Gaza, plus de
50% de la population est en « insécurité
alimentaire » et 30 % en état de « vulnérabilité
alimentaire ». Depuis 2000,
l’économie du territoire a perdu environ
6,3 milliards de dollars de revenus potentiels,
à quoi s’ajoutent au minimum 2,2
milliards de dollars de dommages causés
par l’armée d’occupation. Selon la
chercheuse, la bande de Gaza a perdu
en quatre ans au moins un cinquième de
son potentiel économique. Et cependant,
souligne-t-elle, pour les dirigeants israéliens,
le plan de désengagement devrait
mettre un terme aux réclamations palestiniennes.
Alors qu’il faudrait créer, d’ici
2010, quelque 250.000 emplois uniquement
pour maintenir le faible taux actuel,
outre les écoles et les services sanitaires
à construire, le même plan s’accompagne
de la décision israélienne de réduire voire
de mettre un terme à l’emploi des Palestiniens
en Israël.
Les destructions de ces quatre dernières
années ont été dévastatrices. Environ
4600 maisons ont été détruites entre 2000
et 2004, ainsi que des écoles, usines et ateliers,
hôpitaux, mosquées, serres et des hectares
de terres cultivées, des milliers
d’arbres ont aussi été arrachés. L’enfermement
de toute une population a restreint
l’accès à la scolarité et aux infrastructures
de santé. Mais, au-delà, ce sont
des décennies d’occupation avec leurs
conséquences économiques qui sont purement
et simplement rayées de la narration
officielle, rappelle Sara Roy. Lorsque la
seconde Intifada a éclaté, la bande de
Gaza subissait un bouclage continu depuis
déjà sept ans, conduisant déjà à un chômage
et un niveau de pauvreté sans précédent.
Si les effets du bouclage ont été
si importants, c’est essentiellement du
fait de l’intégration de ce territoire aux
besoins de l’économie israélienne et de
l’expropriation de ses ressources durant
des décennies. Une absence de maîtrise
des ressources et la constitution d’un
bassin de main d’oeuvre et d’un marché
captif l’ont rendu dépendant, sans moyens
d’auto-suffisance ni viabilité possible.
Ce que la chercheuse qualifie de « dédéveloppement ».
Le nécessaire retour des terres aux Palestiniens
ne suffit donc pas pour envisager
un début de développement. Même avec
la liberté de mouvement intérieur, prohibé
ces dernières années, et la possibilité
de construire librement des industries.
La porosité des frontières,
estime-t-elle, est indispensable pour
l’accès au marché du travail. Elle est
pourtant exclue. Israël se réserve le
contrôle de l’espace aérien et de la haute
mer, une ceinture électrifiée clôt
l’ensemble du territoire, mais en outre un
nouveau terminal sous contrôle israélien
est en cours d’installation non plus
à Rafah mais à la frontière entre Gaza,
l’Egypte et Israël. Les quarante-huit kilomètres
séparant la bande de Gaza de la
Cisjordanie demeurent également sous
contrôle des forces d’occupation, tandis
qu’Israël entend continuer à fournir l’électricité,
l’eau, le gaz et le pétrole au prix
fort.
Pour la chercheuse, même si le gouvernement
israélien proclame que « Gaza
n’est plus un territoire occupé » - ce qui
constitue une reconnaissance de fait d’une
occupation niée jusqu’alors- une telle
situation ne peut que perpétuer l’économie
de dépendance de la bande de Gaza,
au moment où se complète la colonisation
de la Cisjordanie. Aucun développement
n’est sérieusement envisageable
à Gaza sans solution politique permettant
une réelle indépendance, et elle dénonce
le risque de contrôle sous une forme différente.
L’assistance internationale, dès
lors, n’éradiquerait pas la pauvreté, elle
ne ferait que la moderniser, dit-elle, solidifiant
les structures de l’occupation en
faisant mine de les ignorer.
Isabelle Avran