Soulignons d’abord l’importance de l’institution qui rend cet avis consultatif : la CIJ est l’organe judiciaire principal des Nations Unies, dont les jugements ou les avis ont une valeur considérable même s’ils ne sont pas toujours respectés. Si nombre de publications journalistiques ont déjà souligné le caractère « non obligatoire » de l’avis, il faut insister sur le fait que la Cour y dit l’état du droit international, et qu’elle ne peut être contestée à cet égard. L’avis ne doit donc pas être minimisé.
La Cour prolonge en 2024 la logique qu’elle avait déjà adoptée dans son avis sur le mur en 2004 en confrontant le comportement israélien à différents aspects du droit international : le droit de l’occupation militaire, le droit international des droits de l’homme, le droit du recours à la force et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que la Cour considère, dans la configuration palestinienne, comme une norme ayant une particulière importance, une norme « impérative » (Avis, § 233). Saisie par l’Assemblée générale du comportement israélien depuis 1967, elle prend en compte le Territoire palestinien occupé (TPO) dans son ensemble : Jérusalem-Est, Cisjordanie et Gaza. [2]
La Cour estime qu’Israël a violé le droit international, voire ses « principes fondamentaux » (Avis, § 261). Allant plus loin qu’en 2004, la Cour précise que, par sa politique de colonisation, Israël a violé l’article 3 de la Convention sur l’élimination de la discrimination raciale, qui condamne spécialement la ségrégation raciale et l’apartheid (Avis, § 229). Elle considère par ailleurs que l’annexion de « vastes portions » du territoire et la violation du droit du peuple palestinien à disposer de lui-même « depuis des décennies » (Avis, §§ 238 et 243) doivent conduire au retrait israélien du territoire palestinien occupé « dans les plus brefs délais » (Avis, § 267). C’est une conclusion majeure puisque ce retrait n’est pas conditionné à des négociations : le cadre diplomatique classique (Oslo, Quartet) est désormais dépassé.
Cet avis a des conséquences très significatives pour Israël : en plus de mettre fin à l’illicite par le retrait et par l’évacuation de « tous les colons » (Avis, point 5 du dispositif), il doit aussi réparer intégralement les dommages qu’il a causés (Avis, §§ 269-271). L’avis a également des conséquences pour les États membres des Nations unies qui sont tenus de ne pas reconnaître la situation illicite créée par Israël dans le TPO. Ceci a nécessairement des implications en matière d’assistance à Israël, notamment militaire (vente d’armes et autres soutiens à l’occupation) puisque la Cour affirme l’obligation des États « de ne pas entretenir de relations économiques ou commerciales […] qui seraient de nature à renforcer la présence illicite de ce dernier dans ce territoire » (Avis, § 278). Ceci a aussi des implications pour les entreprises puisque les États sont tenus de « prendre des mesures pour empêcher les échanges commerciaux ou les investissements qui aident au maintien de la situation illicite créée par Israël dans le TPO » (Avis, § 278).
L’avis a enfin des conséquences pour les Nations unies nous dit la Cour : le Conseil de sécurité mais aussi l’Assemblée générale devraient rapidement déterminer les « modalités précises » du retrait. L’Assemblée générale a déjà adopté le 18 septembre 2024 une résolution qui exige le retrait d’Israël dans un délai de 12 mois et qui explicite les obligations de tous les États. Les points 4 et 5 de cette résolution doivent être lus précisément, l’Assemblée générale y demandant par exemple aux États de « prendre des sanctions, notamment des mesures d’interdiction de voyager et de gel des avoirs, contre les personnes physiques et morales qui participent au maintien de la présence illicite d’Israël dans le TPO ». [3]
Rafaëlle Maison, professeure des Universités