Malgré son rôle majeur dans la lutte contre l’impunité, la CPI doit actuellement faire face à l’opposition véhémente des États-Unis. En effet, dès sa prise de fonction en janvier 2025, le président américain, Donald Trump, a adopté une position hostile contre la Cour, qu’il accuse de menacer la souveraineté des États-Unis et celle de son allié Israël. Le 6 février 2025, il a signé un décret imposant des sanctions à l’encontre de la CPI, incluant le gel des avoirs et l’interdiction de séjour pour ses représentants et toute personne soutenant ses enquêtes visant des citoyens américains ou leurs alliés.
Ces mesures faisaient suite à la délivrance, dans le cadre de l’enquête sur les crimes commis à Gaza, de mandats d’arrêt en novembre 2024 pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité contre le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, son ancien ministre de la Défense, Yoav Gallant, ainsi que Mohammed Deif, commandant en chef de la branche militaire du Hamas.
Ce n’est pas la première fois que les États-Unis adoptent une telle posture hostile vis-à-vis de la CPI. En 2020, lors de son premier mandat présidentiel, Donald Trump avait déjà imposé des sanctions contre la procureure de la CPI, Fatou Bensouda, en réaction à l’enquête ouverte sur d’éventuels crimes de guerre commis par des membres des forces armées américaines en Afghanistan, sanctions ensuite levées sous la présidence de Joe Biden en 2021.
Les États-Unis ne sont d’ailleurs pas les seuls à manifester une telle animosité. En mars 2003, après l’émission d’un mandat d’arrêt contre le président russe, Vladimir Poutine, pour transfert illégal et déportation d’enfants ukrainiens, la Russie a adopté des mesures de rétorsion contre la Cour. Quelques semaines plus tard, une enquête pénale a été ouverte contre le procureur de la CPI, Karim Khan, et plusieurs juges, accusés de décisions illégales, tandis qu’une loi a criminalisé toute coopération avec la Cour.
Même si les États-Unis, tout comme la Russie, sont tiers au Statut de Rome et n’ont donc pas d’obligation de coopérer avec la CPI, les sanctions imposées à cette juridiction soulèvent de sérieuses questions en droit international. En cherchant à intimider le personnel de la Cour, elles portent atteinte à son indépendance judiciaire. En outre, en entravant le bon fonctionnement d’une institution essentielle à la lutte contre l’impunité des crimes internationaux, elles sapent la coopération internationale en matière de poursuites et compromettent le droit des victimes à obtenir justice. Elles envoient également un signal négatif quant à l’effectivité de la justice pénale internationale, créant un dangereux précédent où des États puissants cherchent à échapper à toute responsabilité.
L’ONU a dénoncé ces sanctions, les qualifiant de violations de la liberté d’action d’une juridiction indépendante. De même, plusieurs États parties au Statut de Rome ont exprimé leur soutien à la CPI, conformément à leurs obligations découlant de l’Accord sur les privilèges et immunités de la Cour pénale internationale de 2002.
À cet égard, l’Union européenne, dont tous les États sont parties au Statut de Rome, pourrait jouer un rôle clé en activant sa loi de blocage, conçue pour neutraliser les effets extraterritoriaux de sanctions imposées par des pays tiers lorsqu’elles sont considérées comme contraires au droit international. Une telle activation serait d’autant plus utile que les sanctions américaines ne ciblent pas seulement la CPI, mais plus largement les entreprises impliquées directement ou indirectement dans son fonctionnement, telles que les banques, agences de sécurité ou encore hôtels accueillant des témoins. Ce sont là autant de partenaires financiers, sécuritaires et logistiques qui risquent de suspendre leur collaboration avec la Cour.
Face à cette offensive contre la justice pénale internationale, l’inaction n’est pas une option. Dans un contexte où la confrontation entre l’administration Trump et la CPI illustre les limites du droit international lorsqu’un État puissant refuse d’y adhérer, il est plus que jamais essentiel que les États membres de la CPI réaffirment leur soutien à la Cour et leur engagement en faveur d’un ordre juridique international fondé sur le multilatéralisme et la coopération judiciaire face aux crimes les plus graves.
CM, juriste
Photo : Manifestation de la Grande Marche du Retour, bande de Gaza, 13 avril 2018 © Mohammed Zaanoun/Activestills