Le voilà ! Depuis le temps qu’il était attendu ! Une petite équipe est allée en début d’après-midi accueillir à la gare Salah Hamouri et Jean-Claude Lefort. Pour l’occasion, un journaliste s’est déplacé. Les banderolles sont là, les sourires et le soulagement surtout. En effet jusqu’au dernier moment on s’est demandé si cette rencontre allait pouvoir avoir lieu.
Une équipe de militants s’est déplacée dès le début de l’après-midi pour accueillir Salah à sa descente du train.
Revenons donc un peu sur la chronologie :
* Salah Hamouri, jeune franco-palestinien a passé 7 ans dans les geôles israéliennes pour délit d’opinion. Rappelons qu’il n’avait rien fait, il lui était seulement reproché d’éventuelles "intentions". Mais pour éviter une peine trop longue, il avait été "invité" à plaider coupable.
* Sa peine devait initialement s’achever le 28 novembre 2011, mais elle a été arbitrairement prolongée jusqu’au 12 mars 2012. La raison invoquée était à peine croyable : du fait de la libération de 1027 prisonniers politiques palestiniens, les prisons n’étaient plus en surpopulation ! Les peines ont alors été recalculées suivant un autre calendrier.
* Salah a finalement été relâché le 18 décembre, lors de la seconde vague de libération de prisonniers palestiniens, en échange du soldat franco-israélien, Gilad Shalit. Depuis le 18 décembre, Salah était soumis à des restrictions de circulation, qui devaient prendre fin le 12 mars 2012.
Rencontre informelle avec les militants locaux, il faut aussi se reposer...
* Le 12 mars il devait donc être définitivement libre. Totalement libre, sans aucune condition, sauf que pour obtenir cette liberté de circulation, l’administration israélienne devait apposer un tampon sur le passeport français de Salah. Et là encore, il s’est trouvé face on pourrait dire à un véritable "blocus administratif". Et ce n’est que le 1er avril 2012 que ce tampon a été apposé : Salah peut enfin venir en France.
Mais ce jeudi 12 il est là à Niort parmi nous, accompagné de Jean-Claude Lefort, président de l’AFPS nationale. Ce dernier a oeuvré très activement à la libération de Salah, faisant le lien avec les différents mouvements de soutien en France. L’après-midi commencera par une visite en petit comité auprès de la maire et députée, Mme Geneviève Gaillard, ainsi qu’une rencontre avec les militants locaux qui ont organisé la journée. Salah a les traits tirés, il est visiblement fatigué mais tout aussi déterminé. Jean-Claude Lefort nous a prévenus : Salah n’a pas pour habitude de parler de lui-même. Il ne pense qu’à ses compagnons de détention dont il se fait le porte-parole.
Salah ne parle quasiment pas de lui-même, il veut surtout se faire le porte-parole de ses anciens camarades de détention.
La soirée arrive, le grand moment de la rencontre régionale. Militants, sympathisants, ils sont venus de tous les coins du Poitou-Charente. Sont représentés l’AFPS de La Rochelle, l’AFPS d’Angoulême, le comité de Poitiers et celui de Saintes. La salle est comble. Salah entre sous les applaudissements de bienvenue. La parole est d’abord laissée à chaque délégation afin que chacun puisse se présenter, l’accent est bien mis sur le fait qu’il s’agit d’une rencontre régionale. Niort en est seulement l’hôte, en sa qualité de centre géographique. Ainsi Salah peut voir le soutien qui l’a entouré de partout, et c’est par des remerciements qu’il commencera son message. Remerciements pour ce qui a permis sa libération, mais aussi pour le message d’espoir que ce soutien massif a apporté à tous ses codétenus. Et au fur et à mesure de la soirée, au fil des nombreuses questions, il esquissera la vie en prison de prisonniers politiques palestiniens.
C’est toute la région du Poitou-Charente qui est représentée ce soir.
Mais d’abord qui sont ces prisonniers ? Et dès le départ c’est l’ahurissement : ils sont des femmes, des hommes, mais aussi des enfants, des handicapés physiques ou mentaux... tous en prison. Est posée la question : mais quel motif invoquer pour mettre un enfant de moins de 10 ans en prison ? Et Salah de revenir sur la colonisation, les expropriations, la situation aux checkpoints, etc... tout ce qui est le quotidien de ce peuple. Et si un enfant sent la colère monter en lui quand il voit ses parents être "brutalisés", si cet enfant jette ne serait-ce qu’une pierre dans la direction des soldats ou inscrit un tag, il est considéré comme dangereux et peut être emprisonné. Et cela parfois pour de très longues années...
Beaucoup de prisonniers aussi sont en "détention administrative". C’est une mesure de "sécurité" pour l’état. La détention administrative ne nécessite pas de motif d’inculpation, et elle dure 6 mois renouvelables indéfiniment. Absolument toutes les catégories de la population, toutes les couches y sont représentées. On rappelle qu’il n’y a pas de prisonniers de droit commun, puisque la Palestine est occupée et qu’il n’y a pas de droit. Tous les prisonniers sont des prisonniers politiques. Les chiffres sont faramineux, mais ce qui est peut-être le plus parlant c’est de voir que globalement, dans chaque famille palestinienne il y a un prisonnier politique ou un ancien prisonnier. Chaque famille sait ce que cela veut dire.
On questionne sur les conditions de détention. Salah nous rappelle qu’il ne faut pas perdre de vue l’existence de ces prisonniers politiques palestiniens depuis une soixantaine d’années. Ainsi au cours de ces dizaines d’années ils ont réussi à améliorer un tant soit peu leurs conditions de détentions au fur et à mesure des multiples grèves de la faim. Ils ont ainsi obtenu d’avoir des visites occasionnelles, de faire un peu de sport le matin. Ils ont parfois une télévision et surtout des livres, et par là la possibilité de continuer à s’instruire, suivant les périodes. On est étonné d’apprendre à quel point les prisonniers se sont organisés, reformant une mini démocratie au sein de la prison avec leurs élus, leurs représentants… Ils cherchent à ce qu’au moins leur temps en prison puisse être rendu utile et s’entraident pour étudier. Souvenons-nous que de façon générale l’enseignement et l’instruction ont une grande importance dans le peuple palestinien. Ainsi les prisonniers étudient beaucoup, notamment l’histoire et plus particulièrement celle des différents pays ayant vécu une occupation. Cette histoire montre que toujours les pays occupés ont fini par recouvrir leur souveraineté -au bout d’un temps certes parfois très long-. Cela est leur point d’appui, certains qu’un jour la liberté reviendra en Palestine. Ils ont alors de longues séances de réflexions afin d’élaborer ensemble des projets de démocratie future pour la Palestine.
Mais quand il devient nécessaire de protester, les grèves de la faim sont le seul moyen. L’administration n’acceptant pas ces protestations, les conditions de détentions deviennent alors plus que dures. Ainsi Salah nous cite l’exemple de grande grève de la fain qui a eu lieu récemment pour protester, car les livres avaient brusquement été interdits. Les moyens employés pour faire manger les prisonniers de force avoisinent la torture. En effet l’administration ne veut pas qu’il soit dit que les prisonniers meurent en prison (encore que cela arrive bien souvent, et bien des fois lors de l’interrogatoire !) Ceci amène à la question des soins : il est donné juste ce qu’il faut pour empêcher les détenus de mourir mais pas pour guérir, et les malades continuent à souffrir. Est donné l’exemple de ce cancéreux qui avait été libéré car n’ayant vraisemblablement plus que pour deux mois à vivre. Toujours vivant au bout de quatre mois, il a été rappelé par l’administration israélienne.
La situation des enfants est très préoccupante, entièrement livrés à eux-mêmes (note : il s’agit de prisons modernes aux gardiens électroniques). Ceux qui entrent jeunes restent donc analphabètes, et de façon générale ils grandissent sans repères, sans instruction. Il y a régulièrement des démarches demandant aux autorités israéliennes que des adultes puissent au moins visiter régulièrement ces enfants, afin qu’ils aient un minimum de repères et puissent au moins apprendre à lire. Mais en vain. Salah nous parle de ce jeune entré à 13ans et ressorti à 33ans : son rêve suprême était de pouvoir un jour rouler à vélo, il ne pouvait pas imaginer plus loin.
On est marqué de voir que tout au long de la conférence, évoquant tous ces souvenirs difficiles (et le mot est petit), Salah n’a eu aucune parole de haine ou de rancune. Il est uniquement préoccupé de se faire le meilleur porte-parole possible de ses camarades de détention, avec lesquels il a tant partagé qu’ils sont pour lui des frères. Et il insiste encore et toujours sur la nécessité que les prisonniers politiques palestiniens ne soient pas oubliés maintenant qu’il est lui-même sorti. Jean-Claude Lefort nous fait part d’un projet de parrainage des prisonniers politiques, afin de ne pas les oublier. Les prisonniers servent trop souvent de monnaie d’échange à la manière des anciens esclaves, il s’agit de leur rendre leur identité, les mettre au cœur des débats, afin qu’ils ne restent plus au "cimetière des numéros". La salle applaudit.
La détermination malgré la fatigue, afin que personne n’oublie les prisonniers politiques palestiniens.
La conférence se termine de façon fort sympathique par une collation offerte particulièrement à ceux qui sont venus de loin. Comme il s’agit d’une rencontre régionale, certains ont en effet une bonne heure de route à faire pour rentrer chez eux. Curieusement -et même si Salah a parlé de vécus les pires qui puissent être- l’espoir est là palpable. Cet espoir qui se sent quand il est question de la confiance des palestiniens, tellement certains que dans l’histoire l’occupation a toujours pris fin un jour et qu’il en sera de même pour eux. Cet espoir surtout quand on constate leur formidable courage et leur énergie pour faire du pire endroit -la prison- un lieu de solidarité où on s’entraide pour s’instruire et réfléchir à l’avenir du pays. Et on le voit bien quand on entend Salah, toute la maturité de ses réflexions pour un jeune homme de 27ans.
Ils transforment leur séjour en prison pour en faire quelque chose d’utile ! On ne peut qu’être admiratifs. Et la chaîne de la sympathie et de l’amitié s’étire par-delà les kilomètres entre les peuples…