"Mais Doaa, ce n’est pas beaucoup plus sûr chez moi", m’a murmurée ma cousine de neuf ans en sirotant son thé de l’après-midi, attendant que son père vienne la chercher, alors qu’elle était censée passer le reste de la journée chez nous.
"Je sais", lui ai-je dit d’un ton aussi rassurant que possible. "Mais au moins tu pourras être avec ta mère, ton père et tes frères et sœurs."
Je n’ai pas eu le courage de lui dire que certains parents à Gaza veulent que tous leurs enfants soient près d’eux lorsqu’une autre guerre éclatera inévitablement. Dans de telles conditions, il est préférable d’offrir le paquet complet - soit ils vivent ensemble, soit ils meurent ensemble.
Comment le dernier round a commencé
Les choses ont commencé hier, le 5 août, un vendredi, à 16 heures. Je me suis réveillée de ma sieste au son d’hommes hurlant dans la rue voisine.
"C’était un appartement qui appartenait au mouvement du Jihad [islamique]", a dit l’un d’eux.
C’est alors que j’ai su qu’Israël venait d’attaquer une autre cible palestinienne, l’une des nombreuses figurant sur sa liste interminable de cibles.
Ce à quoi je ne m’attendais pas, c’est que tout s’intensifie aussi rapidement.
Jusqu’à présent, nous avons qualifié de "guerre" chaque massacre commis par Israël à Gaza. Mais la vérité est que nous manquons cruellement de toutes les caractéristiques qui feraient de nous un adversaire à armes égales. Inutile de faire de vaines comparaisons entre les technologies militaires d’Israël et les armes artisanales que les Palestiniens ont pu fabriquer de toutes pièces.
Tout ce qui se passe à Gaza, la série d’attaques incessantes sur une bande de terre assiégée, encore et encore pendant 15 ans, est une interprétation tordue et élaborée des Hunger Games.
Les avions de guerre ne planent pas toujours au-dessus de nous, mais nous vivons toujours dans un danger permanent. Nous sommes nourris avec des quantités rationnées de nourriture, pour être chassés plus tard. Comme des lapins - des cibles faciles qui n’ont nulle part où se cacher.
Cela fait maintenant plus de 24 heures que la dernière escalade a commencé. À 19h15, heure locale, Israël a tué 15 âmes humaines, dont une petite fille de cinq ans, et en a blessé 140 autres, selon le ministère palestinien de la santé. Les maisons qui ont été rasées ou bombardées ? Nous pourrons les compter plus tard.
Les familles palestiniennes n’ont pas fini de pleurer les 232 êtres chers qu’elles ont perdus lors de la dernière "guerre" d’Israël en mai 2021. Les hôpitaux n’ont pas fini de soigner un grand nombre des 1900 personnes blessées lors de cette attaque, et cette dernière série d’agressions ne fait qu’augmenter le nombre de cas à traiter. Les organisations humanitaires n’ont pas non plus été en mesure de reconstruire tous les secteurs endommagés à temps pour le dernier assaut.
Pour couronner le tout, l’économie de Gaza s’effondre, conséquence directe de la politique israélienne. Le chômage est endémique, touchant tout le monde, avec ou sans éducation. Dans ma famille, nous avons cinq diplômes d’études supérieures, mais aucun d’entre nous n’a un emploi à temps plein.
La pauvreté a atteint un niveau record, à tel point que nous sommes maintenant témoins de nouveaux phénomènes sociaux auxquels nous n’avions jamais eu à faire face auparavant - un exemple est la prévalence du travail des enfants, que l’on peut maintenant trouver dans les rues accostant les voitures aux feux de circulation, dans le but de vendre aux gens des biens qu’ils ne veulent pas.
Avoir de l’électricité à toute heure de la journée est désormais un luxe qui n’existe que dans nos rêves. Nous disposons habituellement de 8 heures d’électricité dans la journée, et lorsqu’il y a une crise - et il y a toujours une crise - ces heures sont réduites à 6. Aujourd’hui, le dernier ordre de rationnement est tombé : il n’y aura plus de blocs de 8 ou 6 heures d’électricité. Tant que l’attaque israélienne se poursuit, nous n’aurons que 4 heures.
Aujourd’hui, le 6 août, c’est le premier anniversaire de mon petit neveu. J’avais l’intention de lui acheter un gâteau avec une seule bougie, et de rire de sa façon enfantine de la souffler. Mon cousin et moi avions prévu de nous rendre en ville pour acheter le gâteau, puis d’organiser une grande fête pour mon neveu.
Mais lorsque les frappes israéliennes ne se sont pas arrêtées à cibler le mouvement du Jihad islamique, continuant à frapper différentes zones de la bande de Gaza, les tambours de la guerre ont commencé à résonner. Tout le monde pouvait le sentir. Mon oncle l’a montré en décidant de mettre fin aux petites vacances de sa fille chez nous et de la ramener plus tôt à la maison.
J’ai couché mon neveu le plus tôt possible, pour qu’il ne soit pas conscient du bruit des bombes qui tombent partout. Je suppose que nous devrions reporter la fête d’anniversaire à un autre jour. Tout ce qui serait proche de la normale serait suffisant.
"Espèce d’idiot ! Rentre dans la maison tout de suite", m’a crié ma mère ce matin, alors que j’étais assise dehors dans le jardin en train d’écrire ces mots. Il faisait plus frais à l’extérieur qu’à l’intérieur de la maison, mais lorsque nous avons entendu les bombardements israéliens à proximité, ma mère n’a pas accepté de refus. "Entre et trouve un toit au-dessus de ta tête, des éclats d’obus peuvent te tomber dessus à tout moment !".
Je l’ai juste regardée et j’ai hoché la tête, dans mon esprit, je voulais lui dire : "Pauvre maman ! Tu crois que ce toit d’amiante me protégera des missiles de la toute puissante armée israélienne ?".
J’ai gardé cela pour moi et je suis retournée à l’intérieur.
Traduction : AFPS / DD