Dans le flux ininterrompu des images tournées en Palestine, dans l’intarissable production des documentaires sur les Palestiniens, voici un film qui sort du lot. Cela tient sans doute au parcours de son auteur, un réfugié palestinien né dans le camp d’Ain el-Helweh, dans le Sud du Liban, dont les parents ont émigré, quand il était enfant, à Dubaï, puis au Danemark. Mahdi Fleifel n’a jamais rompu les liens avec Ain el-Helweh, où il passait ses vacances enfant et où il continue de se rendre régulièrement. Mais il s’est occidentalisé, a vécu dans un plus grand confort que ceux avec qui il avait commencé sa vie, reçu une meilleure éducation.
A World Not Ours imbrique son histoire, qu’il raconte de sa voix off chantante, avec celle du peuple palestinien, et celle de son clan, les réfugiés d’Ain el-Helweh, lesquels, après avoir longtemps cultivé des espoirs de retour au pays, sont aujourd’hui rongés par une bile noire.
Monté à partir des archives amateur de son père, un filmeur compulsif, et de celles qu’il a lui-même tournées en reprenant son flambeau, le film commence dans une atmosphère relativement détendue, celle d’une enfance heureuse, rythmée par les séjours dans ce lieu étrange où la chaleur humaine se propageait au milieu des murs troués de balles, atteignant des pics d’intensité inouïs les soirs de match de Coupe du monde.
Une touche de nostalgie riante
Une bande-son jazz semblant tout droit sortie d’un film de Woody Allen donne à l’ensemble une touche de nostalgie riante, qui va peu à peu s’estomper à mesure que le film revient vers le présent. Le camp que filme Mahdi Fleifel en 2010 n’a rien à voir avec celui dans lequel il a grandi. Sa surface n’a pas crû d’un iota mais sa population a explosé et les maisons se sont construites les unes sur les autres, bouchant tous les coins de l’horizon – une parfaite métaphore du triste sort de ses habitants.
Avec le temps et les désillusions, les membres de la famille du cinéaste ont changé, eux aussi. Ils ont perdu leur sourire. Quant à son ami Abou Eyad, magnifique et tragique personnage, après avoir sacrifié sa jeunesse au combat du Fatah, il ne croit plus à rien, se dit prêt à se faire sauter par désespoir, plus écœuré certains jours par l’attitude des leaders palestiniens que par celle des Israéliens.
La beauté et la force de ce film tiennent à la manière qu’il a d’enregistrer le passage du temps, de donner chair à l’histoire, tout en s’inscrivant dans une forme ludique et personnelle qui flirte parfois avec le cartoon. Elle tient aussi au regard distancié, et en même temps plein d’empathie, que porte l’auteur sur ses personnages, ses frères d’autrefois avec qui ce film lui permet de renouer. Sans jamais se tromper dans le dosage de l’humour, ultime arme des faibles, qu’il manie à la perfection, il opère tout en souplesse par changements de ton et d’atmosphère.
La légèreté de certains passages, la tendresse qui se diffuse dans d’autres, démultiplient, par l’effet du montage, l’intensité des moments les plus sombres. Et, partant, la portée politique de son propos.