Bitterlemons : Comment analysez
vous les récentes confrontations
entre le Hamas et l’Autorité nationale
palestinienne ?
Ismaïl Haniya : Nous considérons que
les événements qui se sont déroulés
sont regrettables et douloureux. Ils ne servent
à personne. Nous, au Hamas, avons
assayé de maintenir l’unité nationale en
adoptant une politique de retenue et en
évitant de nous lancer dans des conflits
annexes. Notre conflit fondamental est
avec l’occupation. Cependant, les forces
palestiniennes de sécurité nationale ont
commencé et ont tiré sur nos militants.
Cela a fait empirer la situation et l’escalade
a mené aux événements dont nous
avons été témoins.
Je voudrais insister sur le fait que le
Hamas n’a aucun intérêt à entrer en
conflit avec le Fatah ou l’ANP. Notre
intérêt est que des relations amicales
et fraternelles nous permettent d’unir
nos forces contre l’occupation.
Bitterlemons : Beaucoup de personnes
disent que l’accord trouvé à Gaza entre
les groupes militants ne résoud pas le
problème sous-jacent entre le Hamas
et l’ANP. Vous attendez vous à d’autres
confrontations à l’avenir ?
Ismaïl Haniya : Il est vrai que nous
avons agi très vite pour arrêter toutes
les formes de provocation et de tension
et pour faire disparaître des rues toute
présence armée. Des problèmes majeurs
demeurent et il faut en discuter et les
étudier. Nous sommes tombés d’accord
avec nos frères du Fatah, grâce à la
médiation de nos frères d’Egypte, pour
continuer à avoir des réunions afin d’arriver
à une solution nationale globale. Je
veux y revenir encore : le Hamas n’est
pas l’ennemi de l’ANP ou de nos frères
du Fatah. De plus, nous voulons insister
sur le fait que c’est sur l’ occupant que
nos armes resteront pointées. Nous
sommes absolument convaincus que
des conflits internes ne servent pas notre
peuple, pas plus qu ils ne servent le
Hamas ou le Fatah.
Bitterlemons : Pourtant certains craignent
que les confrontations ne réapparaissent
après le retrait de Gaza. Qu’en
pensez vous ?
Ismail Haniya : Ce n’est pas la réalité.
J’affirme que le Hamas - que ce soit
avant ou après le retrait - agit en fonction
de principes qui stipulent que nous
ne serons pas responsables d’une guerre
civile. Nous voulons assurer à tous que
le Hamas considère le dialogue comme
la seule façon de se comporter avec
l’ANP et avec les autres groupes.
Bitterlemons : Certains ont interprété les
récents événements comme une tentative
du Hamas de faire concurrence à
l’ANP, voire de la renverser. Quelle est
votre réponse ?
Ismail Haniya : Ce n’est pas vrai. Notre
démarche politique interne se fonde sur
le principe du respect du pluralisme politique
et de la concurrence honnête plutôt
que des conflits armés. Nous avons
insisté de manière répétée sur le principe
de l’inclusion, pas de l’exclusion,
basé sur le respect du pluralisme politique et des droits humains des Palestiniens.
Le Hamas se tiendra à cette
approche et l’adoptera dans ses discours,
ses écrits et ses relations avec les
forces, les groupes, les personnalités et
les secteurs palestiniens.
- © Emad Hajjaj, Alquds Alarabi
- En arabe : la coexistence
israélo-palestinienne,
versus Israël.
Malheureusement, des analystes et des
écrivains ont suggéré que le Hamas préparait
un coup de force pour renverser
l’ANP et prendre le contrôle de Gaza
après le retrait de l’ennemi et, en outre,
que le Hamas s’efforçait d’éliminer le
Fatah et les autres groupes de la scène
(politique de Gaza, ndlr). Nous le démentons
formellement. Le Hamas n’a aucune
intention d’exclure les autres et n’acceptera
pas de rester seul sur la scène. Au
contraire, la scène politique palestinienne
peut non seulement comporter toutes
les couleurs du spectre politique et leurs
différents potentiels mais elle en a aussi
besoin. Nous avons insisté plus d’une fois - et nous le faisons à nouveau
aujourd’hui- sur le fait que notre chemin
vers la participation politique au processus
de prise de décision ne passera
que par des élections libres, honnêtes
et transparentes. Le Hamas respectera
le choix du peuple palestinien.
Bitterlemons : Si vous respectez l’ANP
et sa présence, pourquoi continuez vous
à lancer des roquettes alors que vous
savez que cela va créer des tensions
avec l’ANP ?
Ismail Haniya : Vous savez très bien
que, depuis que nous avons décidé
d’une période de calme, nous avons
montré une volonté forte et sérieuse de
nous y tenir. Tout le monde en est témoin,
même l’ennemi sioniste, parce que
quand nous donnons notre parole nous
la respectons. Mais ce que nous avons
vu sur le terrain, c’est l’agression contre
notre peuple qui s’intensifie en Cisjordanie
et nous ne pouvons pas rester
passifs à regarder ces crimes. Les tirs
de roquettes sont une réponse aux violations
israéliennes répétées et ne visent
pas l’ANP. Nous n’avons pas l’intention
de créer des problèmes avec l’ANP.
Bitterlemons : Comment le Hamas voit-il
le retrait israélien de Gaza ?
Ismail Haniya : Le Hamas voit dans le
retrait israélien de Gaza une victoire
nationale du peuple palestinien. C’est
le fruit de la résistance et de la ténacité
du peuple palestinien.C’est pourquoi le
Hamas souhaite un retrait complet de
la Bande de Gaza afin que le peuple
palestinien puisse y jouir de liberté comme
une première étape sur le chemin de la
libération du reste des territoires palestiniens
occupés.
Afin que ce retrait reste une réussite
nationale, le Hamas continuera à appeler
à la formation d’une Haute commission
nationale pour superviser les questions
liées au retrait, sur la base d’un
partenariat dans le sang et la résistance
héroïque. Cette commission aura pour
tâche d’élaborer les critères nationaux,
les vérifications et équilibrages pour
gérer les diverses composantes du retrait.
Elle assumera également une fonction
de surveillance qui s’assurera que les
critères seront bien appliqués. Nous voulons
souligner ici que cette commission
ne sera en rien une administration indépendante
de Gaza ou une alternative à
l’Autorité ou ses ministères. Elle est une
garantie nationale afin de protéger ce
que nous avons accompli et elle veillera
à limiter les risques de chaos afin de
montrer une image positive du peuple
palestinien qui a libéré sa terre par la
résistance et la ténacité.
Bitterlemons : Quelle est votre position
sur le fait d’avoir l’ANP comme seule
autorité sur le terrain ?
Ismail Haniya : Nous avons déjà dit
que nous ne nous considérons pas
comme une alternative à l’ANP et nous
n’avons pas l’intention de l’affaiblir ou
de l’affronter. Par la coopération avec
l’ANP et les autres groupes et forces,
nous voulons rectifier des erreurs et
refixer les conditions (de fonctionnement,
ndlr) de la maison Palestine. Nous
avons rencontré à plusieurs reprises les
dirigeants de l’ANP, les divers services
et ministères et nous avons toujours été
un facteur d’unité. Nous voulons que
l’ANP représente les aspirations et les
ambitions de son peuple, qu’elle combatte
la corruption dans ses rangs et qu’elle
soit une autorité pour tous sans aucune
discrimination.
Entretien publié dans
Bitterlemons, le 25 juillet 2005.