A l’occasion de cette belle soirée organisée par la coordination Ile de France de l’AFPS, je voudrais faire quelques remarques sur le thème de cette rencontre consacrée à la résistance populaire non violente contre le mur en Palestine.
Parler de non-violence en Palestine, lieu emblématique de la violence qui caractérise le fonctionnement du monde aujourd’hui (à la fois en termes de relations internationales et dans la gestion interne des Etats) apparaît comme paradoxal.
La Palestine est en effet le lieu d’exercice de la violence militaire d’Israël et aussi de la contre-violence palestinienne dans un contexte politique de situation coloniale – d’oppression et d’humiliation et de résistance anti-coloniale. Mais aussi dans un lieu géostratégique essentiel pour la superpuissance militaire américaine alliée décisive d’Israël, ce qui permet à celui-ci de refuser par la force tout processus de décolonisation souhaité par le monde entier.
Rappelons en effet la nature nouvelle de la période qui nous autorise à parler de changement d’époque à l’aube du XXIème siècle. Ce changement porte surtout sur la nature de la guerre. Aujourd’hui, du fait en particulier de la crise écologique la guerre tend à devenir principalement une lutte pour la survie que les plus forts (les Etats-Unis et leurs alliés d’abord) sont en train d’engager contre le reste de la planète. Une lutte qui implique, au cas où les choses tourneraient mal pour les plus forts, y compris des doses d’extermination de masse, l’utilisation d’armes extrêmes – de destruction de masse – jusqu’au recours – prévu – à l’arme nucléaire. Et ce dans la cadre d’une guerre « préventive » décidée unilatéralement par la puissance attaquante.
Cette dimension nouvelle du contexte porte sur les limites fondamentales de l’actuel modèle de développement mondialisé tel que les Etats-Unis l’ont imposé et géré. Ce modèle on le sait, compromet gravement les conditions d’habitabilité de la planète et surtout empêchera la majorité de la population du monde – des milliards d’hommes et de femmes – d’accéder à un niveau minimum de bien-être (parce que considéré comme contradictoire avec le niveau de bien-être atteint par les pays riches). Or la crise financière actuelle et les « solutions » qui se profilent vont accentuer ce décalage meurtrier.
Tel est le sens d’ensemble, en partie nouveau, de la guerre menée au Moyen-Orient par l’alliance israélo-américaine et en particulier contre le peuple palestinien.
Ce contexte est posé aux forces – aux mouvements – contre la guerre et pour la paix en Occident et dans le monde. Ce mouvement – qui s’est exprimé massivement contre la guerre en Irak, mais qui ne s’est pas vraiment structuré – est contraint d’affronter les guerres actuelles rigoureusement « désarmé » dans ses formes de lutte et dans ses mots d’ordre, s’il veut rester un mouvement populaire et démocratique réunissant des forces nouvelles issues du mouvement écologique et des mouvements de matrice religieuse.
L’aggravation de la tragédie palestinienne s’explique par cette volonté d’imposer et d’appliquer cette conception du monde à venir que proposent les forces dominantes de la mondialisation libérale. Après le 11 septembre qui a accéléré cette tendance, il s’agit alors d’enfermer le peuple palestinien à l’intérieur du binaire guerre-terrorisme. Depuis Sharon en particulier, le pouvoir israélien veut empêcher le peuple palestinien de rester sur le terrain du projet politique. Pour y parvenir, il a mené une destruction systématique de l’organisation économico-sociale et politico-institutionnelle palestinienne allant jusqu’à la liquidation de Yasser Arafat pour pouvoir réduire la question palestinienne à un problème de terrorisme ( rappelons nous la phrase de Sharon : « Arafat = Ben Laden ») et pour cela, il a consciemment aidé à la croissance du phénomène radical islamiste.
En un mot, Sharon a voulu par la reconquête militaire de la Palestine annuler l’alternative à la guerre, c’est à dire la mise en œuvre du droit, c’est à dire de l’Etat palestinien souverain dans les frontières de 1967.
D’où l’extrême violence de l’occupant – soutenu par les Etats-Unis – qui a mis la volonté indéracinable de résistance du peuple palestinien au cœur du cyclone.
Le dilemme qui est posé à la résistance palestinienne est, en gros, celui-ci :
Face à la fermeture politique totale du pouvoir israélien et face à son agressivité militaire, faut-il poursuivre l’utilisation de moyens militaires pour provoquer chez les israéliens un nombre de victimes qui deviendra insupportable – un peu comme au Liban Sud – face au Hezbollah ?
Ou faut-il mettre l’accent sur une relance de la mobilisation populaire pacifique y compris pour s’affronter au « mur » et aux routes bloquées ? Ce qui n’exclue pas un certain nombre de victimes du fait de la répression prévisible israélienne.
Les enjeux de ce débat, après l’échec de la deuxième Intifada « militarisée » et la prise de conscience qu’en l’état il n’y a pas d’« option militaire » sont, on le voit, énormes.
En particulier, ces enjeux portent sur les rapports entre société civile et insurrection civile et/ou militaire sur la nécessité d’éviter la militarisation de la société et du système politique pour garantir la démocratisation, sur l’impact politique immédiat et à terme des différents moyens de lutte, en un mot sur les rapports entre diplomatie-négociation et mobilisation de la société.
Le choix actuel de l’action non-violente n’est donc pas le produit d’un choix éthique, idéologique, mais est issu à la fois d’une pratique et d’un débat politique et stratégique : il entend répondre à une nécessité politique et pragmatique immédiate et peut-être à une nécessité historique. Il n’est pas une condamnation de la résistance armée – toujours considérée comme une forme légitime de résistance à l’oppression et exercice du droit de résistance à l’oppression.
Par conséquent, il ne s’agit pas d’opposer résistance populaire armée et résistance populaire non-violente : il s’agit d’opposer résistance et terrorisme.
Il y a résistance populaire (armée ou non-violente) et non terrorisme lorsque celle-ci se propose :
d’impliquer les masses,
de devenir lutte populaire et s’organiser dans ce but,
de construire des alliances – des coalitions – internes et internationales,
de travailler sur les contradictions de l’adversaire,
d’exprimer un projet de pouvoir démocratique et, par conséquent,
de maintenir au premier rang, au poste de commande, la politique et non les armes.
Ce fut le cas exemplaire de la résistance (armée) vietnamienne. Ce fut le cas aussi de la résistante (non-violente) en Inde et en Afrique du Sud.
Il n’y a donc pas à s’interroger longuement sur la légitimité de la résistance populaire, il faut partir de l’illégitimité fondamentale de l’occupation.
Il faut donc voir pourquoi et comment l’objectif de la fin de l’occupation israélienne amène, après l’impasse de la deuxième Intifada, à des formes nouvelles de lutte de libération nationale.
En résumé, le choix actuel de nos amis palestiniens s’appuie sur trois ordres de considérations :
1.La mobilisation contre le Mur est une priorité stratégique dans la lutte contre l’occupation, dans la lutte pour la terre et l’eau.
2.Cette mobilisation doit s’articuler sur une stratégie d’ensemble de résistance populaire non-violente contre l’occupation et la colonisation.
3.Cette mobilisation doit d’emblée avoir une dimension internationale, impliquer sur le terrain, en Palestine, toutes les forces solidaires dans le monde. C’est à dire tous les anticolonialistes et pacifistes israéliens et internationaux
Le succès – ou la défaite – de ce mouvement pèsera dans l’avenir non seulement – mais d’abord – en Palestine, mais aussi en Israël et d’une manière générale sur la logique de guerre au Moyen-Orient qui peut déboucher sur une catastrophe pour tous les peuples de la région. On mesure donc la signification et l’importance que représente l’engagement de soutenir ce choix opéré par des secteurs importants de la société civile palestinienne qui tend à se structurer de manière autonome et peut constituer le noyau d’une reconstruction par le bas du mouvement national de libération de la Palestine actuellement en perdition.