Photo : Des Palestiniens fuient le nord de la bande de Gaza vers le sud, 27-11-23 © UNRWA/Ashraf Amra
Le gouvernement israélien poursuit son objectif d’appropriation des terres palestiniennes et d’éviction de la population autochtone sans parvenir à « finir le travail ».
Dans la bande de Gaza, entre fin la 2023 et 2025, près de deux millions de Palestiniens, Gazaouis et réfugiés de 1948 et 1949, ont été déplacés de nombreuses fois. Les camps de réfugiés ont été endommagés ou complètement détruits, comme celui de Jabalia [1]. Human Right Watch [2] a particulièrement documenté l’intention derrière ces destructions systématiques : créer les conditions empêchant le retour.
Mais dès l’annonce de la trêve, les Palestiniens se sont massivement mis en mouvement pour regagner leurs maisons, quitte à s’installer dans les ruines. Les réfugiés ont de nouveau tout perdu, ils tentent malgré tout de reconstituer un semblant de vie familiale et communautaire, conscients de ne pas laisser se produire une nouvelle Nakba.
En Cisjordanie, le nettoyage ethnique s’est accéléré depuis janvier 2025 avec l’offensive contre les camps de réfugiés de Jénine, Tulkarem et Nur Shams, Al Fara .Les habitations détruites sont rendues inhabitables [3]. Selon l’Ocha [4] et l’Unrwa, fin février 2025, 37 400 réfugiés ont été déplacés de force dans les gouvernorats de Tulkarem et Jénine.
Se débarrasser des réfugiés
Au-delà des destructions matérielles, ce sont les liens familiaux, les relations sociales, les structures de solidarité, les espaces culturels et cultuels, les espaces d’éducation et de formation, les comités populaires que la puissance occupante tente sciemment de briser.
Pour Trump et le gouvernement d’extrême droite israélien, la solution radicale – au moins pour Gaza – est aussi simple que choquante et contraire au droit international : le déplacement « volontaire » vers l’Egypte et la Jordanie. Dans l’immédiat, les décideurs israéliens et étasuniens, qu’ils soient politiciens ou militaires, allient cynisme et pragmatisme pour imposer à l’Unrwa l’interdiction d’opérer dans le Territoire palestinien occupé.
Si la déportation massive ne peut se concrétiser, des alternatives sont envisagées : le maintien, sous étroite surveillance, des réfugiés et déplacés internes dans le sud de la bande de Gaza [5]. Autre option : la gestion du territoire et des habitants confiée à une Autorité palestinienne de technocrates, les réfugiés perdant ainsi leur statut de réfugiés et les droits qui s’y rattachent.
L’« après Gaza » est aussi pensé par des acteurs économiques et financiers, et par certains États occidentaux et arabes engagés dans la normalisation avec Israël qui s’érigent en négociateurs pour imposer leurs solutions6 [6], faisant pression sur les pays d’accueil (Jordanie, Liban) et limitrophes. Sans jamais consulter les intéressés.
La situation particulièrement critique des réfugiés et déplacés remet à l’agenda de nombreuses questions, mais les réponses doivent être trouvées dans le cadre du droit international, et pas seulement du droit humanitaire.
Où les Palestiniens réfugiés de-vraient-ils s’installer ? Ont-ils droit à réparation, à compensation pour leurs biens perdus ? Ces questions renvoient à l’application du droit au retour pour ces 1,4 millions de Palestiniens et leurs descendants, venus se réfugier au sud de la Palestine en 1948 et aux 913 000 autres réfugiés en Cisjordanie. Un droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme, dans la résolution 194(III) du 11 décembre 1948 de l’Assemblée générale de ONU qu’Israël nie en multipliant les faits accomplis, de sorte que l’ONU et ses États membre renoncent à le faire appliquer.
Un droit à retourner dans ses foyers pour les réfugiés de 1967, également reconnu par la résolution du Conseil de Sécurité n°237 du 14 juin 1967 et affirmé avec force dans la résolution de l’AGNU du 18 septembre 2024 [7] portant sur l’illicéité de l’occupation israélienne dans le Territoire palestinien occupé : « Israël doit permettre à tous les Palestiniens déplacés pendant l’occupation de retourner dans leur lieu de résidence habituelle. » À ce titre, les Palestiniens gazaouis déplacés de force vers la Jordanie devraient être rapatriés chez eux d’ici septembre 2025 !
Qui protège les Palestiniens réfugiés et déplacés ?
Tant qu’une solution juste n’est pas trouvée (dans le cadre des résolutions citées ci-dessus), les Palestiniens réfugiés sont placés sous la protection et l’assistance de l’Unrwa (lorsqu’ils résident dans l’un des champs d’action de cette agence onusienne spécifique : Liban, Syrie, Jordanie, Cisjordanie et bande de Gaza), ou de l’UNHCR s’ils résident dans un pays tiers. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, l’Autorité palestinienne ou tout autre administration palestinienne n’a aucun mandat pour se substituer à l’Unrwa dans ses missions.
Les Palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza déplacés de force ont le droit de demander et de recevoir une protection et une aide humanitaire, en vertu des Principes directeurs relatifs aux personnes déplacées dans leur propre pays8 [8]. Selon ces principes validés par l’ONU, en vertu de la souveraineté des États, c’est aux autorités des États dans lesquels se trouvent les personnes déplacées qu’il incombe en premier lieu d’aider et de les protéger. Le rôle de la communauté internationale est complémentaire, ce qui est le cas du territoire palestinien occupé puisqu’on ne peut escompter la protection de la puissance occupante.
Le droit à l’autodétermination
Comment les réfugiés vont-ils faire valoir leurs droits alors que le peuple palestinien est plus que jamais fragmenté, violenté et déshumanisé ? Comment pourront-ils décider de leur avenir, personnel et collectif ? Autrement dit, comment peut advenir le processus d’autodétermination, ce temps où les réfugiés et déplacés internes auront le droit de débattre, d’imaginer, de décider de leur État avec les autres Palestiniens, où qu’ils vivent et quels que soient leurs statuts aujourd’hui ?
L’exercice du droit à l’autodétermination du peuple palestinien en son entier (citoyens d’Israël, réfugiés et exilés, habitants du Territoire occupé) doit être le préalable posé avant toute élaboration de configuration étatique, territoriale. Le peuple palestinien, en son entier, doit pouvoir choisir ses représentants dans les instances internationales.
Peuvent-ils seulement compter sur les instances internationales et les États membres de l’ONU pour faire valoir leurs droits ? La Cour internationale de justice a rendu un avis consultatif le 19 juillet 2024 concluant que la présence continue d’Israël dans le territoire occupé était illicite. Une évidence qui devient un fait de droit édicté par la plus haute instance judiciaire internationale [9]. L’AGNU a adopté le 18 septembre 2024 une résolution qui confirme les conclusions de la CIJ [10].
Ces deux instances ont insisté sur des éléments de droit qui doivent être impérativement respectés par la puissance occupante : le droit à l’autodétermination du peuple palestinien, et l’obligation de réparation pour les dommages, les pertes ou le préjudice causés à toute personne physique et morale concernée et au peuple palestinien par les faits internationalement illicites commis par Israël dans le Territoire palestinien occupé.
Certes, l’impact de ces affirmations reste limité dès lors qu’elles ne concernent que le périmètre du territoire occupé en 1967, laissant ainsi de côté la question du droit à l’autodétermination, du droit au retour et à compensation-restitution des biens pour les réfugiés de 1948. Comme le soulignent Al Haq, Al Mezan et le PCHR dans un communiqué commun le 20 juillet 2024 [11] : « Nous notons que la nature de la question posée à la Cour était limitée temporellement à l’occupation depuis 1967, et en tant que telle ne limite en rien le droit au retour des réfugiés palestiniens depuis 1948, mais constitue plutôt une étape importante vers la réalisation des droits collectifs inaliénables du peuple palestinien ».
Faire advenir l’application des droits
La CIJ « considère que les accords d’Oslo ne sauraient être interprétés comme limitant d’une quelconque manière les obligations incombant à Israël au regard des règles de droit international pertinentes applicables dans le Territoire palestinien occupé » [12] et l’AGNU « réaffirme que l’Organisation des Nations unies est investie d’une responsabilité permanente en ce qui concerne la question de Palestine jusqu’à ce que celle-ci soit réglée sous tous ses aspects ».
Une mise au point indispensable que la juriste Monique Chemillier-Gendreau avait clairement exprimé lors de son exposé devant la CIJ [13] : « […] Les Nations unies sont en charge du maintien de la paix. Elles ont été investies du dossier de la décolonisation de la Palestine par l’échec du mandat confié au Royaume-Uni. Elles sont la seule autorité à même de résoudre sur des bases conformes au droit la situation créée par cet échec depuis des décennies. Et s’il faudra bien que la paix découle d’un accord entre les parties, celui-ci devra être conclu sous les auspices des Nations unies, garantes du respect du droit, et non sous le parrainage arbitraire d’États tiers manquant d’objectivité. »
Les État participants à la conférence internationale sur « un règlement pacifique de la question de Palestine » [14] auront-ils le courage d’imposer, comme préalable à tout règlement, une solution juste pour les neuf millions de réfugiés palestiniens et leurs descendants, ceux de 1948 et de 1967, où qu’ils vivent aujourd’hui dans le monde, et pour tous les déplacés internes ?
Droit au retour, droit à réparation, droit à la protection internationale, droit à l’auto-détermination, tous ces droits ne pourront être piétinés plus longtemps. Ils ne sauraient être remplacés par des sordides arrangements à coup de dollars, au mépris des Palestiniens.