Photo : Un berger palestinien et son troupeau dans la ville de Hizma en Cisjordanie, près du mur de séparation et de la colonie israélienne de Pisgat Ze’ev à Jérusalem Est le 12 décembre 2011 (Active Stills)
Présentation
Depuis 2021, un nombre croissant de dirigeants israéliens ont proposé de nouvelles politiques pour gérer leur occupation de la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est, et de Gaza. Ces politiques sont ancrées dans le nouveau concept de "réduction du conflit" - une approche introduite en 2018 par l’historien israélien Micah Goodman qui recommande de gérer le "conflit en deçà du seuil de la guerre, tout en améliorant le cadre de la vie pour la population palestinienne".
Cette approche, qui est une version révisée du modèle de "paix économique" de Benjamin Netanyahou, vise à enraciner l’occupation militaire du régime israélien afin d’empêcher la création d’un État palestinien ou d’une réalité à un seul État.
Contrairement à la stratégie de "paix économique", l’approche visant à "réduire le conflit" est conçue pour réduire les "vagues de terreur et les affrontements violents" palestiniens en élargissant prétendument les libertés des Palestiniens au sein du système d’apartheid israélien.
Cette note politique déconstruit l’approche israélienne de la "réduction du conflit" et les changements de politique qu’elle implique. Il analyse les nouvelles décisions économiques du gouvernement à l’égard de la Cisjordanie et de Gaza, en soulignant leurs implications potentielles graves et irréversibles pour les Palestiniens. L’article soutient que tout amendement qui n’aboutirait pas à un démantèlement total des systèmes israéliens d’apartheid, d’occupation et de colonisation n’apporterait ni une amélioration de la vie des Palestiniens, ni leur approbation du statu quo.
Présentation du concept de "réduction du conflit"
Goodman a d’abord présenté le concept de "réduction du conflit" comme une solution au fossé grandissant entre la soi-disant gauche israélienne - qui a appelé à la fin de l’occupation israélienne pour empêcher la création d’un État unique d’apartheid - et la droite israélienne, qui s’oppose à tout retrait d’Israël des terres qu’il a occupées en 1967. Cette approche doit être comprise comme une nouvelle version de la stratégie précédente de "gestion du conflit" par la "paix économique". Les politiques mises en œuvre dans le cadre de la stratégie de "paix économique" ont renforcé la dépendance économique des Palestiniens à l’égard du régime israélien tout en mettant en œuvre des tactiques militaires oppressives à leur encontre.
En revanche, l’approche consistant à "réduire le conflit" part du principe que les outils d’oppression israéliens génèrent des frictions quotidiennes "inutiles" qui augmentent la probabilité de griefs palestiniens, et donc d’affrontements violents. Dans le cadre de cette stratégie, le régime israélien n’a pas besoin de démanteler son occupation, mais simplement de la gérer différemment – c’est-à-dire ostensiblement de manière moins oppressive. Ainsi, l’approche consistant à "réduire le conflit" a complètement abandonné toute discussion sérieuse sur la solution à deux États.
L’approche consistant à "réduire le conflit" suppose à tort que la résistance palestinienne est apolitique et sans rapport avec la lutte pour la libération de l’apartheid et de l’occupation israéliens.
En d’autres termes, les politiques de "paix économique" ont été introduites pour renforcer la dépendance économique des Palestiniens à l’égard d’Israël sous le couvert de deux États, afin de rendre une fraction de la société palestinienne complice de la poursuite du statu quo. Il est important de noter que ces politiques ont créé une élite économique palestinienne complaisante, qui a travaillé en partenariat avec les autorités d’occupation israéliennes pour réprimer violemment la rue palestinienne qui les défiait. Par ailleurs, l’approche de la "paix économique" ne prévoyait pas de dispositions pour atténuer les souffrances des Palestiniens sous l’occupation militaire israélienne.
Alors que le modèle de "réduction du conflit" poursuit des politiques économiques similaires, il propose des moyens par lesquels le "désir de l’opinion publique palestinienne de jouir pleinement de ses droits civiques" peut être reconnu sans qu’il soit nécessaire qu’Israël mette fin à son occupation, et sans que les frontières souveraines palestiniennes soient reconnues. En conséquence, le fait d’accorder aux Palestiniens des facilités économiques, ainsi qu’une plus grande mobilité en Cisjordanie et un accès au monde extérieur, fait partie d’une stratégie israélienne plus large qui vise à limiter les griefs à l’égard de l’occupation afin de la préserver. Cette stratégie repose sur l’hypothèse raciste selon laquelle les Palestiniens accepteront l’occupation coloniale israélienne si ses mécanismes d’oppression sont assouplis et rendus moins visibles.
Fondamentalement, l’approche consistant à "réduire le conflit" suppose à tort que la résistance palestinienne est apolitique et sans rapport avec la lutte pour la libération de l’apartheid et de l’occupation israéliens. Au contraire, cette perspective repose sur la conviction que la plupart des confrontations violentes entre Palestiniens et Israéliens découlent des conditions de plus en plus amères dans lesquelles vivent les Palestiniens. Cette approche part donc du principe que ce n’est pas l’occupation israélienne en soi qui perpétue le conflit, mais la manière dont elle est gérée par l’oppression manifeste des Palestiniens. Reconfigurer l’occupation pour rendre la vie "plus facile" aux Palestiniens peut donc "réduire le conflit" - et un conflit réduit signifie la poursuite de l’occupation elle-même.
Malgré les tentatives malencontreuses de Goodman d’unifier le spectre politique israélien par cette approche, la "gauche" israélienne est en train de disparaître rapidement et les dirigeants israéliens sont désormais divisés entre une droite pragmatique et une droite extrême, qui rejettent toutes deux les négociations politiques et la création d’un État palestinien. Ainsi, toute nouvelle mesure israélienne visant à "réduire le conflit" - en adoucissant les tactiques militaires oppressives ou en augmentant les opportunités économiques pour les Palestiniens - doit être comprise comme un moyen de prolonger indéfiniment le statu quo de l’occupation par le régime israélien de la Cisjordanie et de la bande de Gaza.
Créer l’illusion de la liberté
En 2019, un groupe d’étudiants et de jeunes politiciens israéliens a créé l’"Initiative pour réduire le conflit" sur la base des huit recommandations de Goodman pour "améliorer" la vie des Palestiniens d’une manière qui profite également à Israël. Depuis lors, l’initiative a fait partie de presque toutes les sessions de la Knesset au cours desquelles l’économie palestinienne, la zone C de la Cisjordanie et Gaza ont été discutées. L’approche consistant à "réduire le conflit" apparaît aussi explicitement dans le programme électoral du parti Nouvelle Espérance et a été défendue aussi bien par Neftali Bennett (droite) que par le soi-disant centriste Yair Lapid.
Les quatre premières recommandations de Goodman visent à accroître le sentiment de liberté des Palestiniens sous occupation. Tout d’abord, Goodman plaide en faveur de plans militaires israéliens visant à relier tous les cantons palestiniens des zones A et B par de nouvelles routes. Cette proposition repose sur le fait que la mobilité limitée en Cisjordanie est l’une des conditions qui rendent la vie des Palestiniens particulièrement difficile, puisqu’ils sont continuellement confrontés aux points de contrôle israéliens, aux colonies, aux patrouilles militaires et aux barrages routiers. Des routes réservées aux Palestiniens, plus efficaces et mieux reliées entre elles, contribueraient à dissimuler les infrastructures de l’occupation, donnant théoriquement aux Palestiniens le sentiment que l’occupation a en quelque sorte disparu.
Goodman suggère également de transférer certaines parties de la zone C à la zone A afin de permettre aux Palestiniens d’agrandir leurs logements en fonction de leurs besoins. Toutefois, cela n’implique pas un retrait progressif d’Israël de la zone C ; cela implique plutôt qu’Israël est prêt à transférer des portions limitées de la zone C aux Palestiniens parce qu’elles sont adjacentes à des villages palestiniens et ne se prêtent pas à l’expansion des colonies de peuplement. En outre, les Palestiniens n’hésitent pas à souligner que ces gestes sont souvent liés à l’expansion des colonies israéliennes. En 2021, et pour la première fois en 20 ans, le régime israélien a approuvé la construction de plus de 1 000 logements pour les Palestiniens dans la zone C, quelques jours seulement après avoir approuvé la construction de 2 200 logements pour les colons israéliens, également dans la zone C. Ainsi, tout transfert de parties de la zone C à la zone A pour la construction de logements palestiniens qui s’accompagnerait d’une expansion des colonies israéliennes renforcerait la résistance palestinienne.
La stratégie de la "réduction du conflit" nécessite également de faciliter la connexion des Palestiniens avec le monde extérieur. À cette fin, Goodman propose d’accorder aux Palestiniens l’accès aux aéroports israéliens. En 2022, le régime israélien a fait un pas dans cette direction en autorisant les Palestiniens de Cisjordanie à utiliser l’aéroport de Ramon, situé dans le sud du Naqab, pour leurs déplacements. Bien que bénéfique en apparence, cette mesure ne fait qu’exacerber le contrôle israélien sur les Palestiniens.
En effet, pour accéder à l’aéroport de Ramon, les Palestiniens doivent recourir aux infrastructures de transport israéliennes, ce qui oblige le régime israélien à renforcer ses mécanismes de surveillance.
Enfin, Goodman recommande paradoxalement qu’Israël soutienne les efforts diplomatiques palestiniens visant à obtenir une reconnaissance internationale en tant qu’État, sans reconnaître les frontières d’un État palestinien. Alors que la reconnaissance d’un État palestinien "augmenterait le sentiment de liberté et d’indépendance des Palestiniens", explique Goodman, si l’on ne reconnaît pas les frontières palestiniennes, les incursions des forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie continueront à ne pas être considérées comme des violations d’un territoire souverain. C’est un élément important de sa proposition originale en hébreu qui a été omis dans la traduction anglaise. Quoi qu’il en soit, il est peu probable que la création d’un État palestinien soit soutenue par un régime israélien, en particulier par le nouveau gouvernement de coalition d’extrême droite.
Les composantes économiques de la réduction du conflit
Le régime israélien utilise depuis longtemps l’économie pour contrôler et pacifier les Palestiniens. C’est ce que prévoit le Protocole économique de Paris (PEP) de 1994, un accord entre Israël et l’Autorité palestinienne (AP) destiné à donner l’illusion d’une autonomie économique palestinienne tout en rendant paradoxalement les Palestiniens économiquement dépendants du régime israélien. Au cours des cinq dernières années, les dirigeants israéliens n’ont fait que faire évoluer le modèle de "paix économique" de Netanyahou, qui s’inscrit parfaitement dans le cadre de la PEP.
Toute nouvelle politique économique israélienne qui offre aux commerçants et aux travailleurs palestiniens des opportunités de mobilité et de collaboration avec Israël afin de soi-disant améliorer leur niveau de vie - et donc de "minimiser" le conflit - est fondamentalement erronée et illogique. Elles doivent être comprises comme un moyen d’enraciner la fragmentation géographique et économique palestinienne, ainsi que la dépendance économique à l’égard d’Israël, dans un état de sous-développement perpétuel.
1) Le point de vue de Goodman sur les relations économiques
L’approche de Goodman, qui consiste à "réduire le conflit", est conçue pour permettre une révision du PEP, notamment par le biais d’une collaboration économique entre les Palestiniens et le régime israélien. Dans le cadre de cette approche, l’ancien Premier ministre israélien Yair Lapid et le Premier ministre palestinien Mohammad Shtayyeh ont participé à une réunion en septembre 2022 parrainée par le ministère norvégien des Affaires étrangères, dont l’objectif était de promouvoir la construction de l’État palestinien. Le comité de liaison ad hoc a ensuite proposé de restructurer les relations financières entre les Palestiniens et les Israéliens, ainsi que de relancer le comité économique conjoint, qui avait été gelé après la seconde Intifada. À ce jour, aucune de ces propositions n’a progressé et elles seront probablement toutes deux abandonnées sous le sixième gouvernement de Netanyahou.
M. Goodman propose également des facilités économiques supplémentaires - basées sur les changements de politique recommandés par l’Institut d’études de sécurité nationale - visant à obtenir l’assentiment politique des Palestiniens. Par exemple, il soutient l’idée de consacrer progressivement des terres supplémentaires dans la zone C à la coopération économique palestino-israélienne, y compris aux investissements étrangers et à des parcs industriels supplémentaires qui resteraient sous le contrôle d’Israël. Ces parcs viendraient s’ajouter aux projets existants, tels que le parc industriel multidisciplinaire de Bethléem (BMIP) et la société du parc agro-industriel de Jéricho (JAIP Co.), qui n’ont pas atteint leurs objectifs de soutien à la croissance économique palestinienne. Certes, la proposition de Goodman repose sur l’investissement étranger - un rappel important que la "réduction du conflit" sert également les intérêts des parties prenantes au-delà de la Palestine colonisée.
En outre, Goodman appelle à la création d’itinéraires logistiques "sûrs" en Cisjordanie afin de faciliter le processus de transfert des marchandises palestiniennes vers les marchés israéliens, incitant ainsi davantage de commerçants palestiniens à s’efforcer de conclure un accord avec le régime israélien. Il appelle également à l’augmentation et à la diversification de la main-d’œuvre palestinienne dans les territoires de 1948. Bien qu’elles semblent bénéficier aux Palestiniens, ces deux politiques ne font que renforcer leur assujettissement économique :
a) La création de routes logistiques "sûres"
Depuis 2018, l’administration civile israélienne, l’USAID et le Quartet, aux côtés de plusieurs grands producteurs palestiniens, ont travaillé sur un nouveau modèle d’exportation de produits palestiniens vers les marchés israéliens en permettant aux camions israéliens d’entrer dans la zone A et de charger des marchandises directement à partir des portes des usines palestiniennes. Ce nouveau modèle, connu sous le nom d’arrangement "porte à porte", réduit considérablement le temps passé à transférer les produits et rationalise le processus d’acheminement des marchandises palestiniennes vers les marchés israéliens.
L’accord est présenté comme financièrement avantageux pour les grands producteurs palestiniens, qui pourraient augmenter leur production et leurs bénéfices après s’être conformés aux conditions israéliennes. Cependant, il comprend plusieurs exigences pour les Palestiniens par rapport la sécurité : 1) les usines palestiniennes doivent ériger des barrières de ciment et des clôtures grillagées, soutenues par un système d’alarme connecté directement à un bureau militaire israélien à la porte commerciale la plus proche ; 2) les employés palestiniens, formés par l’armée israélienne, doivent charger la cargaison palestinienne et faire un rapport quotidien à leurs superviseurs militaires israéliens ; et 3) chaque camion de fret doit installer un système de suivi GPS qui permet aux agents militaires israéliens de surveiller les expéditions sur la route à travers la Cisjordanie.
En septembre 2022, 21 entreprises palestiniennes à al-Khalil (Hébron), Ramallah et Naplouse ont conclu l’accord de « porte-à-porte ». Le total des expéditions utilisant cette méthode s’élevait à 61 880 entre mars 2018 et septembre 2022, réduisant les coûts logistiques d’environ 8,6 millions de dollars. Comme pour le modèle de "paix économique", cet arrangement garantit qu’une partie des producteurs palestiniens à grande échelle est séparée du reste des exportateurs palestiniens, qui en souffrent. En effet, les autorités d’occupation israéliennes exigent que les Palestiniens participant à l’accord de porte-à-porte dépassent le volume de leur commerce avec Israël de 10 millions de NIS par an - un résultat auquel très peu de Palestiniens peuvent aspirer.
Au-delà de l’aggravation de l’écart salarial entre Palestiniens dans une géographie fragmentée, la politique du porte-à-porte permet aux Israéliens d’empiéter davantage sur les terres des Palestiniens et de surveiller leur vie quotidienne. Le régime israélien infiltre les sites de production palestiniens de la zone A, où se trouvent les usines, chaque fois qu’il le juge nécessaire. Israël surveille également ces sites de production, ainsi que les itinéraires logistiques "sûrs" réservés au fret de porte à porte, étendant ainsi considérablement son infrastructure de surveillance oppressive des Palestiniens.
Les forces d’occupation israéliennes ont également intensifié les contrôles de sécurité dans le cadre de leur régime de permis, garantissant qu’un nombre croissant de Palestiniens sont politiquement pacifiés afin de préserver leurs permis de travail et leurs moyens de subsistance économiques. Dans l’ensemble, ces politiques indiquent qu’Israël assure insidieusement l’annexion de facto d’importants centres de production économique palestiniens, et qu’il réduit au silence la dissidence palestinienne en lui offrant des incitations économiques.
b) Renforcer la dépendance économique par le travail
Fin 2016, le régime israélien a publié une résolution appelant à des "innovations" majeures concernant à la fois le volume de travailleurs palestiniens autorisés dans les territoires de 1948 et les procédures de délivrance des permis de travail. Depuis lors, le gouvernement a adopté plusieurs résolutions pour mettre en œuvre ces "innovations". En conséquence, le nombre de travailleurs palestiniens dans les territoires de 1948 est passé d’environ 110 000 en 2016 à 204 000 en 2022. Ce changement s’aligne sur la cinquième mesure de Goodman visant à "réduire le conflit" : augmenter le nombre de travailleurs palestiniens sur le marché du travail israélien (avec un plafond de 400 000).
Figure 1 : Nombre de travailleurs palestiniens migrant vers les lieux de travail israéliens entre 1967 et 2022. Source : Bureau central palestinien des statistiques (PCBS) 4
De même, en mars 2022, Israël a publié la décision 1328 autorisant les travailleurs palestiniens de Gaza à entrer dans les territoires de 1948 pour la première fois depuis 2006. Fin 2022, le nombre de travailleurs autorisés en provenance de Gaza était plafonné à 20 000. Dans le contexte de la "réduction du conflit", l’approche du régime israélien à l’égard de Gaza en particulier est passée du "calme pour le calme" à "l’économie pour le calme", comme l’a explicitement déclaré Yair Lapid, alors ministre des affaires étrangères, en septembre 2021. Il est important de noter qu’en plus d’offrir aux Palestiniens de Gaza des opportunités économiques dans les territoires de 1948, Gaza elle-même est totalement exclue de la proposition de Goodman.
Si les autorités israéliennes affirment que l’augmentation des flux de revenus vers la Cisjordanie et Gaza contribuera à la croissance économique palestinienne - en 2021, on estimait que les revenus combinés des travailleurs palestiniens dans les territoires de 1948 atteignaient 5,5 milliards de dollars (environ 35 % du PIB palestinien) - il convient de faire la distinction entre cette croissance et le développement économique, en particulier dans le cadre d’une occupation militaire restrictive et d’un siège. Au contraire, l’augmentation de la migration de la main-d’œuvre palestinienne vers le marché israélien renforce fondamentalement la dépendance des Palestiniens à l’égard d’Israël et, par conséquent, l’occupation israélienne.
Pour ne rien arranger, le régime israélien ne s’intéresse plus seulement à la main-d’œuvre palestinienne faiblement rémunérée. Ces dernières années, il a diversifié la main-d’œuvre palestinienne dans les territoires de 1948 pour y inclure des personnes travaillant dans les domaines de la haute technologie, de la médecine et de l’ingénierie. Elle a également investi environ 300 millions de NIS pour former les travailleurs palestiniens à de nouvelles compétences professionnelles. Ainsi, l’expansion et la diversification de la main-d’œuvre palestinienne ne font rien d’autre qu’augmenter le nombre de Palestiniens qui dépendent économiquement du régime israélien et de la préservation du statu quo politique.
Pourquoi la "réduction du conflit" est vouée à l’échec
Le concept de "réduction du conflit" suppose qu’une série de changements dans la politique israélienne à l’égard de la Cisjordanie et de Gaza - notamment sur le plan économique - éliminera les conditions qui stimulent les "affrontements" entre les Palestiniens et les forces d’occupation israéliennes. En atténuant prétendument la gravité des souffrances quotidiennes des Palestiniens, l’occupation militaire israélienne devient ainsi plus gérable et plus durable. En d’autres termes, la question de l’autodétermination palestinienne par la création d’un État devient obsolète, ce qui soulage les dirigeants israéliens, toutes tendances politiques confondues, de l’éternelle question de savoir ce qu’il faut faire de la population palestinienne.
En fin de compte, l’idée de "réduction du conflit" révèle que le régime israélien continuera d’agir à son profit aux dépens des Palestiniens, notamment en maintenant les structures mêmes de l’apartheid de colonisation de peuplement qui sont à la base de leurs souffrances actuelles. En effet, comme l’affirme Goodman lui-même, "réduire le conflit" ne nécessite pas un accord formel, le retrait des colons israéliens ou des colonies de Cisjordanie, ou la division de Jérusalem.
Ainsi, les huit étapes proposées par Goodman reposent sur une erreur : Les Palestiniens seront moins enclins à résister si on leur fait croire qu’ils peuvent jouir d’une vie sous occupation coloniale permanente en réduisant les restrictions à la mobilité et en multipliant les possibilités de collaboration économique avec le régime israélien. Il s’agit d’une hypothèse déformée et raciste fondée sur l’idée fausse que les Palestiniens sont une foule apolitique et violente - plutôt qu’un peuple réclamant l’autodétermination - qui peut être pacifiée si on lui accorde de prétendus privilèges.
Certains aspects de l’approche consistant à "réduire le conflit", privilégiée par la droite pragmatique israélienne, ont été invalidés par la victoire du gouvernement de coalition d’extrême droite de M. Netanyahou en décembre 2022. D’une part, la répression israélienne de plus en plus violente de la résistance palestinienne, en particulier dans le nord de la Cisjordanie, a sapé le projet d’élimination des mécanismes à l’origine des affrontements. D’autre part, la coalition extrémiste de Netanyahou, qui pousse à la dépossession et au déplacement des Palestiniens, n’est pas susceptible de suivre les propositions de Bennett et Lapid pour soi-disant "réduire le conflit". Néanmoins, il est probable que les mesures économiques mises en place depuis 2021 continueront à façonner les relations économiques israélo-palestiniennes dans les années à venir.
Et si le nouveau gouvernement de coalition israélien n’a pas encore défini ses politiques économiques à l’égard de la Cisjordanie et de Gaza, son engagement flagrant en faveur de l’approfondissement de l’occupation ne manquera pas d’aggraver les souffrances des Palestiniens. Les Palestiniens n’accepteront jamais cette réalité, même avec l’amélioration des conditions économiques. En d’autres termes, même si les responsables politiques israéliens préconisent des mesures visant à "améliorer" la vie des Palestiniens grâce à une participation accrue au marché du travail israélien, à la mobilité en Cisjordanie ou à l’accès au monde extérieur, la réalité du colonialisme, de l’apartheid et de l’occupation israéliens persistera, tout comme la résistance palestinienne qui s’y oppose.
Traduction : AFPS