Lors de la conférence internationale tenue à Charm Al-Cheikh, les Palestiniens ont obtenu des promesses d’aides de près de 4,5 milliards de dollars. Toutefois, des préalables s’imposent : la réconciliation interpalestinienne, la levée du blocus israélien et la relance du processus de paix.
Des dizaines de donateurs, des centaines de participants et des milliards de dollars de fonds aux Palestiniens. Ambiance plutôt festive à Charm Al-Cheikh. Pourtant, une ombre de pessimisme prend le dessus. Les participants à cette conférence de reconstruction de la bande de Gaza se sont posé des questions dans les coulisses aussi bien que dans leurs discours officiels sur l’avenir de cette aide en l’absence d’une issue politique. Comment reconstruire sans trêve dans les opérations militaires et sans une levée du blocus imposé par Israël ? Telle était la principale préoccupation des participants. Personne, pourtant, n’était en mesure d’apporter une réponse claire à cette question. De Sarkozy à Ban Ki-moon en passant par les dirigeants arabes, tous ont plaidé pour une ouverture des points de passage qui lient Gaza au monde extérieur.
Ce forum a réuni au bord de la mer Rouge pas moins de 75 délégations, en présence du secrétaire général des Nations-Unies Ban Ki-moon, du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbass, de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, du locataire de l’Elysée Nicolas Sarkozy, du premier ministre italien Silvio Berlusconi ou du Britannique Tony Blair, émissaire du Quartette pour le Proche-Orient.
Invités par l’Egypte, les bailleurs de fonds ont pourtant promis, à partir de la salle de conférences de Charm Al-Cheikh, 4,5 milliards de dollars pour booster le budget de l’Autorité palestinienne et reconstruire la bande de Gaza, dévastée par 3 semaines de guerre israélienne et 20 mois de blocus total. Il s’agit bien d’une nouvelle aide qui n’inclut pas d’engagements pris par le passé. Une somme qui s’étalera sur deux ans et qui dépasse largement les attentes de Salam Fayyad. Le premier ministre palestinien avait étalé aux participants de la conférence son « plan national du redressement rapide et de la reconstruction de la bande de Gaza 2009-2010 ». Les Palestiniens espéraient lever 2,8 milliards de dollars, dont 1,3 pour la bande de Gaza. Fayyad a affirmé à l’Hebdo être « très satisfait ».
Répercussions désastreuses
Une satisfaction qui changerait peu le décor dévasté de Gaza, où tout est à reconstruire. Parce que, selon Jonas Gahr Store, ministre norvégien des Affaires étrangères, « la vraie reconstruction ne pourra effectivement commencer sur le terrain avant qu’il y ait un accès aux territoires palestiniens ». Guerre et blocus ... Les répercussions sont désastreuses. « Plus de 80 % des familles de Gaza vivent de l’assistance des organisations internationales, seules 20 % des entreprises ou industries sont encore en marche et le chômage s’élève à au moins 45 % de la main-d’œuvre », affirme à l’Hebdo Khaled Abdel-Chafi, directeur du bureau du Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) à Gaza. En chiffres, ceci voudrait dire 180 millions de dollars de pertes dans le secteur industriel et 150 millions dans le secteur agricole et entre 50 et 60 millions pour l’infrastructure, sans compter 20 000 maisons partiellement ou complètement détruites.
Concrètement, l’économie de Gaza était basée sur une industrie simple d’immobilier, de textile et de ciment. Les Gazaouis cultivaient aussi des fraises et des fleurs.
C’est la situation qui prévalait depuis l’arrivée de l’Autorité palestinienne en 1994, dans la foulée des Accords d’Oslo. Avant, les territoires occupés vivaient essentiellement des revenus des ouvriers palestiniens qui allaient travailler en Israël. Une fois ce système arrêté, l’Autorité a commencé à compter davantage sur l’aide internationale. « Nous sommes passés de 15 % dans le budget à 65 % à l’époque où Sallam Fayyad était ministre des Finances », explique l’économiste palestinien Omar Shabane. Il critique le premier ministre actuel et affirme qu’il a gonflé sans raison le budget pour passer d’un milliard de dollars en 2002 à 3 milliards pour 2009.
Depuis la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza il y a bientôt 3 ans, l’Autorité palestinienne s’est débarrassée ou presque du fardeau de ce territoire surpeuplé. Elle ne paye depuis que le traitement des 80 000 fonctionnaires et les frais d’électricité et énergie acheminées par Israël. Cette date, d’ailleurs, a marqué le début d’une aide internationale directe au Trésor palestinien.
Un autre dilemme
Du coup, le plan Fayyad est fortement critiqué pour le manque, dit-on, de vision de développement pour les territoires. « Un plan sur Gaza est établi sans consultations avec les Gazaouis, est-ce raisonnable ? », se demande Shabane. En effet, le Hamas a rédigé son propre plan pour la reconstruction. Un document de 86 pages qui a été transmis à la Ligue arabe.
A Charm Al-Cheikh, personne n’en parlait, le Hamas n’étant pas présent à la conférence. C’est un autre dilemme. Comment faire parvenir l’aide sans traiter avec le mouvement de résistance ? Il faudrait peut-être attendre la formation d’un gouvernement palestinien d’union conformément à l’initiative égyptienne de réconciliation interpalestinienne . Selon un diplomate arabe, « les Palestiniens pourraient parvenir à former un gouvernement d’union d’ici la fin du mois de mars. Ils trouveront une formule dans sa formation permettant qu’il soit accepté par la communauté internationale ». Dans leurs discours, les bailleurs de fonds l’ont qualifié de question incontournable. « La réconciliation interpalestinienne est l’une des clés de la paix, une des conditions de la création d’un Etat palestinien », a dit le président français. « Le monde veut aider les Palestiniens, mais les Palestiniens doivent s’aider eux-mêmes en se réconciliant », a-t-il dit.
Questions enchevêtrées
La charrue avant les bœufs ? Un gouvernement d’union nationale qui dirigera la reconstruction, dit-on. Mais il faudrait bien, avant, une trêve militaire entre Israël et les factions palestiniennes de Gaza. « Une réussite du processus de reconstruction dépend de la conclusion rapide d’une trêve pour garantir la réouverture des points de passage, parvenir à une réconciliation et former un cabinet d’union », a déclaré le président Moubarak, hôte de la conférence. D’ici une semaine, a-t-il confirmé, une trêve israélo-palestinienne pourrait entrer en vigueur, ce qui constitue un important pas en avant.
La rencontre a du coup pris une dimension politique. Un créneau pour apporter un appui à une Egypte plus ou moins affaiblie par des critiques de tous bords lors de la guerre contre Gaza et qui a ensuite subi un revers avec le refus de Tel-Aviv de souscrire à un cessez-le-feu, parrainé par Le Caire. Une occasion aussi pour soutenir Abou-Mazen, de plus en plus marginalisé, et pour une Hillary Clinton de marquer son arrivée dans la région.
Toute la bonne volonté qui s’est manifestée à Charm Al-Cheikh ne suffit, à elle seule, de trouver des solutions magiques à des questions aussi enchevêtrées. Clinton l’a affirmé en dernier. Même si elle est « de nature optimiste ». « Cela va prendre du temps. Les négociations sont compliquées, mais les Etats-Unis ne renonceront pas à la solution des deux Etats », a-t-elle déclaré. Un Etat israélien et un autre palestinien qui laisse profiler l’ombre d’un Israël insaisissable et qui risque de tout gâcher. Ce cycle-là paraît aussi interminable.