C’est peu dire que les premiers pas au Congrès américain de Rashida Tlaib – première femme musulmane (« ex aequo » avec sa consœur démocrate Ilhan Omar) et première Américano-Palestinienne élue à la Chambre des représentants – ont fait du bruit. Et bien au-delà des Etats-Unis, éternel conflit oblige, et particulièrement sur la terre de ses parents, qui ont quitté la Cisjordanie occupée pour le Michigan dans les années 70.
Passons sur les attaques racistes bas du front de l’alt-right s’indignant de voir l’élue de Detroit prêter serment sur le Coran de Thomas Jefferson, ainsi que sur les cris d’orfraie autour de son usage, validé par Samuel L. Jackson, du mot « motherfucker » pour désigner le président Trump (qui, pour situer le registre du débat, se targuait de pouvoir « attraper les femmes par la chatte ») et qu’elle a promis à ses soutiens de mener à l’« impeachment » (procédure de destitution).
Là où l’impact de Rashida Tlaib est sans commune mesure avec son statut de junior congresswoman, c’est par la radicalité qu’elle insuffle, à l’image de l’ultra-médiatisée Alexandria Ocasio-Cortez, à rebours de la doxa parlementaire sur un certain nombre de dossiers, y compris chez les démocrates (les deux femmes sont issues des rangs des « démocrates socialistes », proches de Bernie Sanders).
« Séparés mais égaux, ça ne marche pas »
Sur l’économie, évidemment, bien plus à gauche que le mainstream démocrate, mais aussi sur la résolution du conflit israélo-palestinien. Alors que les démocrates, à l’instar de la majorité des chancelleries occidentales, s’accrochent à la solution-à-deux-états, Tlaib ne fait pas mystère de ses convictions. En août, elle déclarait que l’issue ne pouvait être « qu’un seul Etat » pour tous, car « séparés mais égaux, ça ne marche pas ». Un parallèle direct avec la lutte pour les droits civiques des Afro-Américains, mais aussi un chiffon rouge pour beaucoup qui voient dans cette « solution » la mort du projet sioniste. Lors de sa prestation de serment, le 3 janvier, le comique palestino-américain Amer Zahr qu’elle avait invité à la cérémonie, a même ajouté (et tweeté) un post-it « Palestine » accompagné d’une flèche pointant vers Israël, afin de « corriger » le planisphère de son bureau.
Someone has already made a slight alteration to the map that hangs in Rashida Tlaib’s new congressional office. pic.twitter.com/mwyshIog4r
— Hannah Allam (@HannahAllam) 3 janvier 2019
Mais c’est avant tout sa décision de porter pour l’occasion une robe brodée traditionnelle (dite « thobe »), qui a mis les Palestiniens en émoi. Sur les réseaux sociaux, de Gaza aux Etats-Unis, ces derniers ont posté des photos d’eux-mêmes vêtus de cette tenue aux motifs régionaux sous le hashtag #TweetYourThobe, la transformant immédiatement en ambassadrice de la culture palestinienne, dans une fusion de la diaspora avec les habitants des Territoires occupés.
« Elle donne chair à notre culture »
Instantanément, la popularité de Rashida Tlaib a dépassé les limites de Beit Ur al-Foqa, le village au nord de Ramallah d’où vient sa mère et où elle s’est mariée. « Dans la situation actuelle si désespérante, avec un président américain qui n’a jamais été aussi pro-israélien, c’est un beau symbole, surtout après ce que Trump a fait à Jérusalem [qu’il a reconnu comme capitale d’Israël il y a un an, ndlr], estime Zeina Ramadan, une analyste média basée à Ramallah. Après ça, c’était un rare moment positif pour les Palestiniens, elle donne chair à notre culture et un visage humain aux Palestiniens dont ils sont si souvent privés dans les médias. » Mais elle n’en attend pas plus : « Rashida reste une politicienne américaine, élue pour servir les intérêts des électeurs du Michigan. »
Pour le start-upper Ashraf Awawda, 28 ans, qui a multiplié les allers-retours entre Ramallah et Washington, l’équation est plus basique : « La victoire d’un seul Palestinien, c’est une victoire de la Palestine. Nous sommes très fiers d’elle. Et elle met en valeur notre communauté aux Etats-Unis, qui réussit très bien mais jusqu’ici sous le radar. »
Puissance des lobbys pro-israéliens
Forts d’environ 150 000 membres aux Etats-Unis, les Américano-Palestiniens sont influents en Cisjordanie, où ils sont nombreux à avoir fait construire des villas, souche d’une intelligentsia plus jeune et radicale que l’OLP. Ainsi, la publication en ligne Electronic Intifada, basée à Chicago et qui défend la solution-à-un-état à rebours du président Mahmoud Abbas, est particulièrement appréciée de la jeunesse éduquée des Territoires.
Mais Awawda doute lui aussi de la capacité de l’élue à faire bouger les lignes américaines sur le conflit face aux puissants groupes de lobbying pro-israéliens (l’Aipac, lié aux républicains, mais aussi l’American Jewish Committee, plus proche des démocrates). « L’influence qui mène au changement est un processus long, tempère George Khadder, entrepreneur trentenaire de Jérusalem-Est, qui a vécu quelques années aux Etats-Unis. Cela dit, sur le débat au Sénat autour de la loi antiboycott d’Israël, elle a fait entendre sa voix. »
En plein shutdown, le sénateur républicain Marco Rubio a tenté de faire passer un texte autorisant les Etats américains à imposer des sanctions aux partisans du mouvement Boycott, désinvestissement, sanctions (BDS), ou, comme cela a été le cas au Texas ces derniers mois, à forcer des enseignants à signer un « pacte de loyauté » à Israël. « Ils ont oublié quel pays ils représentent », avait alors tweeté Rashida Tlaib, récoltant au passage des accusations d’antisémitisme de la part de plusieurs associations pro-Israël. Finalement, les sénateurs démocrates ont voté mardi à la quasi-unanimité contre la proposition de loi, la considérant contraire au premier amendement garantissant la liberté d’expression.