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L’article 3 de la CIEDR définie l’obligation selon laquelle "les États Parties condamnent tout particulièrement la ségrégation raciale et l’apartheid et s’engagent à prévenir, interdire et éliminer toutes les pratiques de cette nature dans les territoires placés sous leur juridiction".
Néanmoins, Israël a maintenu un régime institutionnalisé de domination raciale et d’oppression sur l’ensemble du peuple palestinien, ce qui équivaut à l’apartheid.
En 2007 et 2012, le CERD a conclu qu’Israël violait l’article 3 de la Convention et a exhorté l’État à prendre des mesures immédiates pour interdire et éradiquer toute politique ou pratique de ségrégation raciale et d’apartheid.
En 2017, la CESAO a constaté que la fragmentation stratégique du peuple palestinien par Israël constitue le principal outil par lequel il met en œuvre son régime d’apartheid.
Ces développements constituent une reconnaissance cumulative de la création et du maintien par Israël d’un régime d’apartheid sur le peuple palestinien.
1/ Régime institutionnalisé d’oppression et de domination systématiques
– Fragmentation stratégique
Comme l’a reconnu la CESAO, Israël a stratégiquement fragmenté le peuple palestinien en quatre domaines géographiques, juridiques et politiques distincts, à savoir :
1. Le droit civil israélien régissant les citoyens palestiniens ;
2. La loi israélienne sur la résidence permanente régissant les Palestiniens à Jérusalem ;
3. Le droit militaire israélien régissant les Palestiniens, y compris les Palestiniens dans les camps de réfugiés, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ; et
4. La politique d’Israël qui consiste à refuser le retour des réfugiés et des exilés palestiniens vivant en dehors des territoires sous le contrôle de l’État.
Israël a consolidé son régime d’apartheid en enracinant la fragmentation du peuple et du territoire palestiniens, par le biais du refus persistant du droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers et à retrouver leurs biens, de l’ entrave à la liberté de circulation, de résidence et par les restrictions d’accès, en particulier le bouclage de Jérusalem et de la bande de Gaza, et le refus de la réunification familiale.
Ces politiques et pratiques ont joué un rôle essentiel pour garantir que les Palestiniens de différentes régions ne puissent pas se rencontrer, se regrouper, vivre ensemble, partager la pratique de leur culture, et exercer tout droit collectif, en particulier le droit à l’autodétermination, y compris la souveraineté permanente.
– Fondements juridiques de l’État
Depuis 1948, Israël a promulgué une série de lois qui ont créé un régime institutionnalisé de domination raciale et d’oppression systématique sur le peuple palestinien indigène.
>> Lois sur la citoyenneté et l’entrée sur le territoire
La loi de 1950 sur le retour accorde à chaque personne juive le droit exclusif d’entrer en Israël en tant qu’immigrant juif. En revanche, les réfugiés palestiniens ne bénéficient pas du même statut et se voient refuser catégoriquement le droit de retourner dans leurs foyers et de retrouver leurs biens. La loi légalise en Israël le principe historique selon lequel les personnes juives entrant sur un territoire contrôlé par Israël peuvent prétendre à l’adhésion à l’État, tout en se voyant conférer un droit de "nationalité" supérieur à celui de personnes d’un autre statut se trouvant également dans la juridiction ou le territoire de contrôle effectif d’Israël.
La loi de 1952 sur la citoyenneté confirme en droit le racisme institutionnalisé d’Israël en conférant automatiquement la citoyenneté israélienne à toute personne juive qui entre en Israël en vertu de la loi du retour, tandis que les Palestiniens se voient refuser leur droit de retour dans leurs foyers et leurs biens. Distincte du statut de "nationalité", la loi sur la citoyenneté israélienne reconnaît le "retour" comme une voie d’accès à la citoyenneté israélienne, mais uniquement pour les Juifs. La loi définit trois autres façons de devenir citoyen israélien : par la naissance, le mariage ou la résidence. Cependant, en raison du statut supérieur de la "nationalité juive", la citoyenneté ne constitue pas une base pour l’égalité des droits en Israël.
La loi de 1952 sur l’entrée en Israël accorde un traitement préférentiel aux immigrants juifs en vertu de la loi sur le retour, leur permettant d’entrer comme s’ils étaient des citoyens israéliens. Par contre, la loi crée un statut précaire de "résident permanent" en Israël pour les Palestiniens de Jérusalem-Est occupée, en traitant les Palestiniens comme des visiteurs étrangers sur leur terre natale, et en permettant leur transfert forcé par le biais d’une révocation institutionnalisée de leur résidence.
>> Droits à la terre, à la propriété et à l’autodétermination
La loi de 1950 sur les biens des absents permet la confiscation des biens des réfugiés palestiniens en tant que "biens des absents", qui ont été transférés au Curateur de propriétaires absents, privant ainsi les Palestiniens de leurs droits sur leur terre et leur propriété. Sept décennies après la Nakba, Israël continue de refuser aux réfugiés palestiniens le droit de retourner sur leurs terres et de retrouver leurs biens, comme l’affirme la résolution 194 de l’Assemblée générale et comme réaffirmé plus de cent fois depuis. Cette loi continue d’être utilisée aujourd’hui pour confisquer les biens palestiniens dans Jérusalem-Est occupée.
En 2018, Israël a adopté la Loi fondamentale : État-nation du peuple juif, qui consacre dans les fondements juridiques constitutionnels d’Israël sa domination et son oppression institutionnalisées sur le peuple palestinien. La Loi fondamentale de l’État-nation juif stipule que : "[l]’exercice du droit à l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est réservé au peuple juif". Elle détermine en outre "la colonisation juive comme une valeur nationale", donnant une force constitutionnelle à l’expansion des colonies israéliennes illégales dans le territoire palestinien occupé.
– Les institutions paraétatiques sionistes d’Israël
En 1952, Israël a adopté la loi sur (le statut de) l’Organisation sioniste mondiale - Agence juive, qui autorise l’Organisation sioniste mondiale (OSM), l’Agence juive (AJ) et le Fonds national juif (FJN) à fonctionner en Israël en tant qu’entités quasi-gouvernementales.
L’OSM, l’AJ et le FNJ ont pour mission d’exercer une discrimination matérielle à l’encontre des non-juifs et d’empêcher le peuple palestinien autochtone d’accéder à ses moyens de subsistance, y compris ses richesses et ressources naturelles, ou d’exercer un contrôle sur ceux-ci, en exploitant et en détournant les ressources naturelles palestiniennes au profit des colons juifs israéliens.
Israël s’en remet officiellement à ces institutions pour toutes les questions de législation et de politique touchant au développement, au commerce, à l’agriculture, à l’accès et au contrôle des ressources naturelles, y compris les terres, l’urbanisme et les affaires civiles.
En 1998, le CESCR a constaté que "la confiscation systématique à grande échelle des terres et des biens palestiniens par l’État et le transfert de ces biens à ces organismes [sionistes] constituent une forme institutionnalisée de discrimination, car ces organismes, par définition, refuseraient l’utilisation de ces biens à des non-juifs".
2/ Maintien du régime d’apartheid israélien
– Une fragmentation profonde
C’est par la fragmentation systématique et généralisée qu’Israël occulte la réalité de son régime d’apartheid et réprime totalement la capacité des Palestiniens à s’y opposer et à le contester et assure le maintien du régime d’apartheid.
Comme l’a souligné la CESAO, la communauté internationale a joué un rôle dans la normalisation de la fragmentation du peuple palestinien par Israël de manière plus générale, et elle a : "involontairement collaboré à ce procédé en établissant une distinction stricte entre les citoyens palestiniens d’Israël et les Palestiniens du territoire palestinien occupé, et en traitant les Palestiniens hors du pays comme "le problème des réfugiés"". Le régime d’apartheid israélien est construit sur cette fragmentation géographique, qui est désormais acceptée comme normative. La méthode de fragmentation sert également à masquer l’existence même de ce régime."
– L’impunité institutionnalisée
Faciliter la perpétuation de ces politiques et pratiques est un cadre juridique conçu pour produire l’impunité et empêcher les Palestiniens de contester efficacement les nombreuses aspects du régime d’apartheid. La législation et les ordres militaires d’Israël, qui codifient le régime d’apartheid, font du système judiciaire israélien, y compris la Cour suprême d’Israël, des instruments du système, ce qui confère une légitimité aux fondements juridiques du régime.
Au lieu de respecter son obligation, en tant qu’État Partie, de "condamner la ségrégation raciale et l’apartheid et de s’engager à prévenir, interdire et éradiquer toutes les pratiques de cette nature", le gouvernement israélien a institué un système qui garantit l’impunité pour ces mêmes pratiques, conformément à l’objectif finale de garantir son excluante raison d’État afin de maintenir un régime racialisé de dépossession, de domination et de fragmentation systématique du peuple palestinien.
– La création d’un environnement coercitif
Israël a également maintenu son régime d’apartheid par la création d’un environnement coercitif conçu pour favoriser les transferts de Palestiniens, pour contrôler les Palestiniens et pour affaiblir leur capacité à contester efficacement le régime. Dans le cadre de sa politique actuelle visant à effacer et à remplacer le peuple palestinien des deux côtés de la ligne verte, Israël a mené une politique d’État systématique visant à transférer de force des Palestiniens et imposer des manipulations démographiques dans le territoire palestinien occupé, en particulier à Jérusalem-Est et dans la vallée du Jourdain.
Pour poursuivre ses objectifs démographiques, Israël a imposé une planification et un zonage discriminatoires des deux côtés de la ligne verte, ce qui a entraîné des démolitions illégales de maisons, des expulsions forcées et des déplacements, privant ainsi les Palestiniens de leurs droits à la liberté de mouvement et de résidence, à un logement adéquat, à la terre et aux ressources naturelles.
Le recours d’Israël à un usage excessif de la force contre les Palestiniens vise à intimider les Palestiniens et à entretenir un climat de répression pour saper l’exercice de leurs droits.
En outre, les restrictions de mouvement, notamment les points de contrôle, le mur d’annexion et les bouclages, ont conduit à un refus d’accès aux soins et à une fragmentation de ceux-ci pour les Palestiniens. Israël continue dangereusement de refuser aux Palestiniens le droit de voyager pour accéder aux soins sous couvert de "sécurité", en particulier dans la bande de Gaza, où les patients palestiniens ou leurs compagnons ont été contraints de collaborer en échange de traitements. En tant que tel, le refus de l’accès aux soins constitue une méthode de contrôle et d’oppression, garantissant le maintien du régime d’apartheid israélien.
– Réduire l’opposition au silence
Israël a utilisé la détention arbitraire massive de la population civile palestinienne comme une méthode d’assujettissement, d’intimidation et de contrôle pour opprimer et dominer le peuple palestinien.
Sanctionnée par la Haute Cour de justice israélienne, la torture a été utilisée depuis le début de l’occupation israélienne, y compris contre les enfants palestiniens détenus, devenant au fil du temps une procédure courante.
La création d’un climat de peur, de répression et d’intimidation, la généralisation de la punition collective a été un élément essentiel de l’occupation israélienne, allant du blocus illégal de Gaza aux restrictions de la liberté de mouvement et d’accès, en passant par la révocation punitive des droits de résidence, les démolitions punitives de maisons et la rétention des corps des Palestiniens tués par les forces d’occupation israéliennes.
Israël a également mené une campagne d’intimidation, de harcèlement et de délégitimation des défenseurs des droits de l’homme et des organisations qui défendent les droits des Palestiniens, demandent justice et lui demande de rendre des comptes. Par l’intermédiaire du ministère des affaires stratégiques et des groupes affiliés, le gouvernement israélien a mené des attaques continues, systémiques et organisées qui s’apparentent à une campagne de diffamation concertée contre les défenseurs des droits de l’homme.
– Discours de haine et incitation à la haine raciste
Alors qu’Israël a l’obligation positive, en vertu de la CIEDR, de veiller à ce que les particuliers ne soient pas autorisés à s’engager impunément dans la diffusion de discours de haine et d’incitation à la haine raciale, Israël a facilité des manifestations continuelles et persistantes de discrimination raciale dirigée contre les Palestiniens et la généralisation de la haine raciale dans le discours public.
Le refus d’Israël d’agir a engendré la crainte permanente chez les Palestiniens de représailles de la part des acteurs publics et privés israéliens et un effet dissuasif sur la liberté d’expression, y compris en ligne.
Au lieu de s’attaquer à la menace que représentent les discours de haine et l’incitation à la haine raciale contre les Palestiniens, les législateurs israéliens ont pris des mesures législatives pour réprimer davantage le discours palestinien, privant ainsi les Palestiniens de leur liberté d’expression et empêchant les Palestiniens, individuellement et collectivement, de contester le régime d’apartheid israélien.
Résumé du rapport
Traduction AFPS