Dans ce rapport, nous avons détaillé l’expulsion des communautés palestiniennes de la zone C (en Cisjordanie illégalement occupée), en particulier les communautés bédouines de la vallée du Jourdain et des collines du sud d’Hébron, depuis le début du génocide à Gaza en octobre 2023. Sur la base de recherches documentaires et d’entretiens menés dans 59 communautés, nous avons analysé la façon dont les déplacements ont augmenté de façon spectaculaire. Nous montrons également que les moyens de déplacement et de transfert forcés ont changé qualitativement. Au cours des décennies de déplacements forcés, qui ont commencé en Cisjordanie en 1967 avec l’occupation israélienne du territoire, les lois imposées par Israël pour faire avancer la colonisation et administrer son régime d’apartheid ont été l’épine dorsale de la politique. Cela a changé surtout depuis octobre 2023. La violence systématique et brutale des milices de colons soutenues par l’État a désormais supplanté les lois d’apartheid en termes d’efficacité. Les communautés palestiniennes ont développé une stratégie de retardement et de survie face aux ordres de démolition et d’évacuation, au refus d’accès à l’eau, à l’éducation, aux soins de santé et aux restrictions de la liberté de mouvement imposées par l’armée israélienne.
La violence des colons en Cisjordanie a commencé avec l’établissement de la première colonie et poursuit la politique d’Israël depuis la Nakba, lorsque l’armée et les milices sionistes ont travaillé main dans la main pour exécuter la première expulsion massive de Palestiniens de leurs maisons et de leurs terres et ont détruit au moins 530 villages et villes palestiniens. Pourtant, depuis le début de l’année 2023, Israël s’efforce sans relâche de financer et d’armer la population des colons, en intégrant les milices de colons qu’il utilise comme force paramilitaire dans la structure de l’État. Cette tendance s’est renforcée depuis le début du génocide israélien à Gaza. L’ampleur des pogroms menés par les milices de colons, soutenues par l’armée israélienne, est sans précédent en Cisjordanie occupée. Ils se sont avérés beaucoup plus efficaces et les communautés palestiniennes s’efforcent toujours de trouver des moyens de résistance contre cet assaut.
Les communautés déclarent avoir perdu leurs maisons, leurs terres agricoles et leur bétail, piliers de leur survie économique, tout en subissant des harcèlements, des violences brutales et des restrictions d’accès à des ressources essentielles telles que l’eau et les pâturages. Les témoignages illustrent la nature coordonnée de ces efforts, les milices de colons et les forces militaires régulières travaillant en tandem pour pousser les communautés à abandonner leurs terres. La violence sexiste, qui vise en particulier les femmes et les enfants, et la destruction systématique des infrastructures économiques aggravent les conséquences psychologiques et matérielles pour les Palestiniens déplacés. La destruction des biens, les agressions contre les personnes et les restrictions d’accès aux ressources, notamment à l’eau, créent des conditions de vie intolérables pour les communautés palestiniennes. Les communautés déplacées sont confrontées à la fragmentation, aux difficultés économiques et disent être négligées par les institutions palestiniennes et internationales.
Il est important de comprendre la politique israélienne de déplacement forcé dans le cadre de ce que la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, appelle « l’effacement colonial ». Dans son rapport d’octobre 2024 à l’Assemblée générale des Nations unies, elle explique comment :
« Depuis sa création, Israël a traité le peuple occupé comme un encombrement détesté et une menace à éradiquer, soumettant des millions de Palestiniens, pendant des générations, à des indignités quotidiennes, des massacres de masse, des incarcérations massives, des déplacements forcés, la ségrégation raciale et l’apartheid. La poursuite de l’objectif du « Grand Israël » menace d’effacer la population palestinienne autochtone. »
Nous soulignons que le déplacement ou l’effacement est l’objectif central du projet colonial d’Israël, qu’Israël utilise le génocide, l’apartheid, l’occupation illégale, la ghettoïsation (fragmentation/ségrégation) ou d’autres moyens pour atteindre cet objectif.
La construction du mur de l’apartheid par Israël a été l’un de ses plus grands projets de nettoyage ethnique depuis l’occupation de 1967. L’horrible génocide israélien à Gaza, qui visait initialement, et vise peut-être encore, le transfert massif de la population palestinienne vers le Sinaï égyptien, a désormais pour objectif, entre autres, de nettoyer ethniquement toute la partie de la région située au nord du corridor de Netzarim des Palestiniens. En décembre 2023, le ministre israélien de la défense de l’époque, Yoav Gallant, a prédit que « lorsque ce que les l’armée israélienne a fait à Gaza apparaîtra clairement, cela sera également projeté sur la Judée et la Samarie [Cisjordanie] ».
En vertu du statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), les déplacements forcés constituent en soi un crime contre l’humanité. Il fait également partie des crimes de génocide, d’apartheid et de persécution, et constitue un crime de guerre.
La question des déplacements forcés et des droits des réfugiés palestiniens et des personnes déplacées à l’intérieur du pays au retour/rapatriement, à la restitution des biens, à l’indemnisation et à la non-répétition/satisfaction doit être placée au centre du débat et est essentielle à tout effort véritable visant à mettre fin aux crimes d’Israël. Non seulement parce qu’elle concerne les droits élémentaires de la majorité - et d’un nombre sans cesse croissant - de Palestiniens, dont beaucoup ont déjà été déplacés à de multiples reprises. Ce n’est qu’en mettant fin à la politique israélienne de déplacement forcé et en la sanctionnant comme dénominateur commun et objectif ultime de ses politiques que l’on pourra rendre justice au peuple palestinien et faire respecter le droit international.
Les efforts déployés par les États-Unis et d’autres États alliés d’Israël pour imposer des sanctions à des colons individuels ou à des organisations de colons ne sont pas répréhensibles en soi, mais ils passent sciemment à côté de la forêt, et dans la mesure où ils sont de facto utilisés comme un stratagème pour protéger Israël de la responsabilité et détourner les politiques qui visent à s’attaquer à la cause profonde des crimes d’Israël. De même, comme nous l’expliquons ci-dessous, l’idée que la « différenciation » entre les relations avec Israël et l’entreprise de colonisation est une politique viable, et encore plus suffisante, pour s’attaquer aux multiples crimes internationaux d’Israël est trompeuse.
Le cadre des accords d’Oslo, qui a divisé la Cisjordanie en trois territoires distincts, a servi de schéma directeur à l’épuration ethnique qui a suivi. La « zone C », qui représente 60 % de la Cisjordanie et a été placée « temporairement » sous le contrôle total d’Israël conformément à l’accord, est devenue le point central des politiques de déplacement d’Israël. La construction du mur de l’apartheid en 2002, à peu près le long de la zone C, a constitué une nouvelle étape dans la mise en œuvre du nettoyage ethnique de la Cisjordanie et la réduction de la population palestinienne à des ghettos isolés. L’accord du siècle conclu en 2020 entre le président américain de l’époque, Donald Trump, et le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, visait à officialiser l’annexion de facto de la zone C. Ce même « accord » prévoyait également de déplacer la population de la bande de Gaza vers l’Égypte.
Avec l’arrivée d’une autre administration Trump, Israël se prépare déjà à une nouvelle avancée vers l’annexion de jure de la Cisjordanie, ou d’une grande partie de celle-ci. Cela signifie inévitablement une nouvelle escalade des déplacements forcés.
Le Comité spécial des Nations unies chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits humains du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés a prévenu que :
« Les multiples violations du droit international commises par Israël dans sa guerre contre Gaza, son système d’apartheid et d’injustice en Cisjordanie occupée, dans le contexte plus large de l’occupation et de l’annexion des territoires palestiniens et du Golan syrien qui durent depuis des décennies, et son mépris permanent des résolutions contraignantes du Conseil de sécurité et des ordonnances de la Cour internationale de justice, affaiblissent gravement le système international fondé sur des règles. Les obligations établies par le droit international pour limiter la barbarie de la guerre et protéger les droits humains, y compris le droit à l’autodétermination, sont menacées par les violations commises par Israël et par le fait que d’autres États ne sont pas disposés à demander des comptes à Israël et continuent de lui apporter un soutien militaire et autre. »
Cela fait écho aux appels lancés par le Comité national palestinien BDS, qui dirige le mouvement BDS mondial, lorsqu’il affirme que :
« L’action stratégique et fondée sur des principes de la base et de la société civile - des conseils municipaux, des syndicats et des institutions du monde entier - n’a jamais été aussi essentielle qu’aujourd’hui, non seulement pour mettre fin au génocide, mais aussi pour sauver le monde d’une chute imminente dans une ère dystopique où « la force fait le droit ».
Puisse ce retour au pouvoir de l’extrême droite américaine et l’escalade quotidienne des crimes israéliens choquer toute personne de conscience et la pousser à agir, à organiser une résistance pacifique sans précédent à l’injustice, à l’oppression, au racisme et au fascisme, des États-Unis à la Palestine, du Congo au Soudan, et partout entre les deux. »