Notre rapport « Apartheid automatisé » révèle l’existence d’un système de reconnaissance faciale jamais signalé auparavant : Red Wolf ("Le loup rouge") est le nouvel outil utilisé par les autorités israéliennes à Hébron pour surveiller et contrôler la population palestinienne. Ce système s’appuie sur des bases de données composées exclusivement d’informations sur les Palestiniennes et Palestiniens. Nous prouvons également que la population palestinienne de Jérusalem-Est est confrontée à d’autres systèmes de reconnaissance faciale.
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L’utilisation de la reconnaissance faciale renforce le contrôle du gouvernement israélien sur les Palestiniennes et Palestiniens et contribue à maintenir le système d’apartheid.
Notre rapport « Apartheid automatisé » montre comment cette surveillance s’inscrit dans une tentative délibérée des autorités israéliennes de créer un environnement hostile et coercitif pour la population palestinienne. L’un des objectifs : réduire au maximum leur présence dans des villes particulièrement stratégiques et sensibles, Hébron et Jérusalem-Est étant les seules villes des territoires palestiniens occupés ayant des colonies israéliennes implantées à l’intérieur de leur périmètre.
Comment fonctionne Red Wolf ?
Red Wolf est un système de reconnaissance faciale utilisé par l’armée israélienne aux checkpoints de la ville d’Hébron, en Cisjordanie occupée. Il scanne les visages de Palestiniennes et Palestiniens à leur insu et sans leur consentement. Red Wolf utilise ces données biométriques pour déterminer si un individu peut passer le checkpoint. Par ailleurs, il semblerait que Red Wolf soit relié à deux autres systèmes de surveillance gérés par l’armée israélienne : Wolf Pack et Blue Wolf.
Wolf Pack est une vaste base de données contenant toutes les informations disponibles sur la population palestinienne de Cisjordanie occupée : lieu de résidence, identité des membres de leur famille, s’ils sont recherchés en vue d’être interrogés par les autorités israéliennes, etc. Tout nouveau visage scanné par Red Wolf est automatiquement inscrit dans la base de données de Wolf Pack. Quant à Blue Wolf, c’est une application pour smartphones et tablettes qui permet aux forces israéliennes d’obtenir instantanément les informations stockées dans la base de données Wolf Pack.
Pourquoi Red Wolf menace-t-il les droits des Palestiniennes et Palestiniens ? La reconnaissance faciale utilisée pour l’identification est une forme de surveillance de masse et constitue, à ce titre, une violation du droit à la vie privée. De plus, elle est ici utilisée par les autorités israéliennes pour cibler délibérément la population palestinienne et porte atteinte au droit à l’égalité et à la non-discrimination.
Hébron : sous occupation
Si vous êtes Palestinienne ou Palestinien et que vous vous trouvez dans le centre-ville d’Hébron, un soldat israélien peut, à l’abord de checks points, vous refuser l’accès à votre propre quartier.
La population palestinienne qui habite dans cette ville dépend en effet de checkpoints contrôlés par l’armée israélienne pour accéder à de simples biens et services, au travail, à l’éducation, à la vie de famille ou aux soins de santé. C’est à ces points de contrôle que des Palestiniennes et Palestiniens ont été confrontés à Red Wolf qui scanne leurs visages, les ajoute à de vastes bases de données de surveillance sans leur consentement et décide de leur liberté de circulation en fonction des résultats présentés.
"Les soldats israéliens peuvent simplement vous dire que votre nom n’est pas dans la base de données, et alors, vous n’êtes pas autorisé à retourner dans votre maison"
Eyad, un habitant du quartier de Tel Rumeida, situé près d’un check point
Quelle est la situation de la population palestinienne habitant à Hébron ?
La ville d’Hébron est divisée en deux zones : H1 (80 % de la ville) administrée par les autorités palestiniennes et H2, la vieille ville d’Hébron, contrôlée par les autorités israéliennes. Les Palestiniens et Palestiniennes qui résident à H2, sont soumis à des restrictions draconiennes en matière de circulation. Dans la zone H2, les 33 000 Palestiniens et Palestiniennes sont limités dans leurs déplacements, alors que les 800 colons israéliens, protégés par un millier de soldats, sont illégalement installés dans plusieurs colonies enclavées.
Le système utilise donc les données stockées pour déterminer si une Palestinienne ou un Palestinien peut ou non passer un point de contrôle. Si aucune occurrence n’existe pour une personne, le passage lui est refusé. Si la base de données indique que la personne dont le visage est scanné est recherchée, Red Wolf peut également lui refuser l’entrée au point de contrôle.
À Hébron, dans la zone H2, la pression exercée par les autorités israéliennes sur la population palestinienne est déjà très marquée : les rues sont truffées de caméras de surveillance installées sur les façades des bâtiments, les lampadaires, les toits, etc. Pour la population palestinienne, cette surveillance omniprésente exacerbe leur perception que certaines zones de Hébron leur sont interdites, même celles qui se trouvent à quelques mètres de chez eux.
Jérusalem-Est : surveillance omniprésente
L’implantation du système israélien de surveillance et de reconnaissance faciale ne se limite pas qu’aux checkpoints. À Jérusalem-Est, un réseau de milliers de caméras de vidéosurveillance est déployé dans la vieille ville. Depuis 2017, les autorités israéliennes modernisent ce système afin d’améliorer ses capacités de reconnaissance faciale et de se doter de pouvoirs de surveillance sans précédent.
Le réseau de caméras de vidéosurveillance, en constante augmentation, soutient un vaste système de reconnaissance faciale connu sous le nom de Mabat 2000. Il permet aux autorités israéliennes d’identifier les manifestants et de garder les Palestiniennes et Palestiniens sous surveillance constante, même lorsqu’ils vaquent à leurs activités quotidiennes et à l’intérieur même de leur habitation car des caméras sont parfois pointées sur leurs fenêtres.
"Je suis surveillée tout le temps... chaque fois que je vois une caméra, je suis anxieuse. C’est comme si on était toujours traité comme une cible."
Neda, une habitante de Jérusalem-Est
De nouveaux outils de surveillance des autorités israéliennes viennent cibler des sites d’importance culturelle et politique, tels que la porte de Damas, une des entrées de la vieille ville du côté est, qui est depuis longtemps un lieu de rencontre et de protestation pour les Palestiniens et Palestiniennes.
Nous avons cartographié les caméras de vidéosurveillance sur une zone de 10 kilomètres carrés dans Jérusalem-Est. Dans l’un de ses quartiers, à Sheikh Jarrah, nous avons constaté la présence de d’une ou deux caméras tous les cinq mètres. Ce nombre a considérablement augmenté à la suite des manifestations de 2021, déclenchées après l’expulsion forcée de familles palestiniennes pour faire place à l’installation de colons israéliens.
Le vaste développement d’outils de surveillance dans Jérusalem-Est, ville annexée illégalement, consolide le contrôle du gouvernement israélien sur les Palestiniens et les Palestiniennes. Il permet notamment de faire avancer l’objectif stratégique de déploiement de colonies, contraire au droit international. La surveillance a un effet dissuasif sur les personnes qui souhaiteraient manifester contre leur expansion. De fait, les autorités israéliennes ont installé des infrastructures de surveillance supplémentaires dans les secteurs proches des colonies.
Qui sont les entreprises qui fournissent ces outils de surveillance
Hikvision est chinoise, TKH Security est néerlandaise. Nos recherches ont permis d’identifier ces deux entreprises comme les fournisseurs de plusieurs des caméras de vidéosurveillance installées à Jérusalem-Est.
Différents types de caméras fabriquées par l’entreprise Hikvision ont été installées dans des quartiers résidentiels de Jérusalem-Est et sur des infrastructures militaires (tours de surveillance, etc.). Certains de ces modèles peuvent être raccordés à un logiciel de reconnaissance faciale.
Les caméras de l’entreprise TKH Security ont-elles aussi été installées dans des lieux publics ou sur des infrastructures militaires.
Nous avons contacté ces deux entreprises pour leur faire part de nos préoccupations quant au risque que leurs produits soient utilisés avec le système Mabat 2000 pour de la reconnaissance faciale visant spécifiquement les Palestiniennes et Palestiniens. Elles n’ont pas été en mesure d’expliquer comment elles s’acquittaient de leur responsabilité en matière de droits humains.
Hikvision et TKH Security doivent s’engager à veiller à ce que leurs technologies ne soient pas utilisées pour maintenir ou renforcer davantage encore le système israélien d’apartheid contre les Palestiniens et les Palestiniennes. Pour rappel, en vertu des principes directeurs de l’ONU, toute entreprise est tenue de veiller à ce que ses produits et services n’attentent pas aux droits humains.
Surveiller les Palestiniens et les Palestiniennes : un jeu entre soldats ?
Récompense pour la ou le soldat·e qui scannera le plus de visages de la population palestinienne : on pourrait croire à un scénario de la série “Black Mirror” mais il s’agit en fait d’une méthode de l’armée israélienne. Sur la base des témoignages de militaires israéliens, recueillis par l’organisation israélienne Breaking the Silence, notre rapport explique comment la surveillance des Palestiniennes et Palestiniens est devenue un jeu pour certains soldats.
Un commandant israélien basé à Hébron a déclaré que ses soldats avaient pour mission d’entraîner et d’optimiser l’algorithme de reconnaissance faciale de Red Wolf afin qu’il puisse reconnaître les visages sans intervention humaine.
En 2020, deux membres des forces armées basés à Hébron ont déclaré que l’application Blue Wolf générait un classement basé sur le nombre de Palestiniennes et Palestiniens enregistrés. Sur cette base, les commandants israéliens distribuent des prix aux bataillons qui ont obtenu le meilleur score. Par cette méthode, les militaires israéliens sont incités à maintenir la population palestinienne sous surveillance constante.
En plus de dénoncer les dangers de la reconnaissance faciale sur les droits de la population palestinienne, notre rapport « Apartheid automatisé » montre que l’utilisation de cette technologie par les autorités israéliennes renforce considérablement le système d’oppression et de domination exercé contre le peuple palestinien : cette surveillance permet de restreindre le droit de circuler librement des Palestiniennes et Palestiniens, porte atteinte au droit à la vie privée, à la liberté d’expression et de manifestation, permet la poursuite de l’annexion de Jérusalem-Est, de la colonisation de la Cisjordanie occupée et contribue ainsi à maintenir le système israélien d’apartheid.
Nos enquêtes sur l’utilisation de la reconnaissance faciale. 👇
Ces rapports s’inscrivent dans notre campagne Ban The Scan qui a pour objectif d’informer et d’alerter et sur les dangers que représentent pour les droits humains les technologies de reconnaissance faciale.
Nos demandes
A l’État d’Israël :
– Mettre fin à la surveillance massive et ciblée des Palestiniens et des Palestiniennes.
– Lever les restrictions arbitraires imposées à la population palestinienne dans leurs déplacements dans les territoires palestiniens occupés
– Démanteler le système d’apartheid
Aux États membres des Nations unies :
– Interdire le développement, la vente et l’utilisation des technologies de reconnaissance faciale à des fins de surveillance au vu des dangers que les technologies de reconnaissance faciale représentent pour nos droits humains
Aux entreprises qui fabriquent des outils de surveillance :
– Cesser de fournir toute technologie utilisée par les autorités israéliennes pour maintenir des colonies, ce qui constitue des crimes de guerre au regard du droit international
– Veiller à ne vendre leurs produits qu’à des clients respectueux des droits humains.