Résumé et principales conclusions
1. Répression et intimidation en Palestine et en Israël
Les organisations de la société civile palestiniennes et israéliennes font face à des cadres réglementaires de plus en plus restrictifs ainsi que des campagnes de délégitimation visant à saper leurs crédibilités. Les restrictions à la liberté de circulation des personnes à destination et en provenance des territoires palestiniens occupés entravent la capacité des défenseurs des droits de l’homme à documenter les violations du droit international.
Omar Shakir, directeur de recherche sur Israël et la Palestine pour Human Rights Watch, a été expulsé d’Israël et des territoires palestiniens occupés le 25 novembre, en application d’une loi permettant d’expulser quiconque soutient le boycott d’Israël ou de ses colonies.
Les campagnes de délégitimation en Europe et aux États-Unis
Les stratégies de la délégitimation
Craignant des changements dans l’opinion publique en Europe et aux Etats-Unis, le gouvernement israélien et ses défenseurs ont intensifié leurs efforts pour étouffer les critiques des politiques menées par le gouvernement israélien. Ils utilisent ainsi plusieurs tactiques :
– atteinte à la réputation via de fausses accusations d’antisémitisme, de soutien au terrorisme ou de troubles à l’ordre public ;
– culpabilité par association ;
– interpellation d’acteurs publics tiers ;
– poursuites judiciaires ;
– annulations et modifications d’événements académiques et culturels ;
– campagnes de désinformation numérique visant à simuler des mouvements citoyens ;
– harcèlement et remise en question du travail des journalistes qui couvrent l’actualité en Israël et en Palestine ;
– attaques sur les ressources financières des organisations de la société civile
Après la diffusion en septembre 2000 d’un reportage sur la mort d’un adolescent palestinien à Gaza, le correspondant de France 2 à Jérusalem Charles Enderlin a fait l’objet d’une campagne de désinformation qui affirmait que son reportage avait été truqué. Philippe Karsenty, qui porte plainte contre Charles Enderlin, est condamné définitivement pour diffamation en juin 2013.
Les acteurs de la délégitimation
Le rapport décrit les différents acteurs de la légitimation, en Europe, aux Etats-Unis et en Israël, dont le ministère israélien des affaires stratégiques créé en 2006, qui a publié une série de rapports visant à diffamer les organisations de la société civile qui défendent les droits des Palestiniens. Ces rapports utilisent de nombreuses informations publiées par l’organisation NGO Monitor, qui cible de manière sélective les organisations de défense des droits de l’homme qui travaillent sur les violations du droit international en Palestine et publie des informations tronquées, présentées comme des recherches factuelles approfondies. Plus généralement, le réseau d’influence d’Israël est constitué d’une gamme de think tanks, de groupes de pression et de GONGO (organisations qui se présentent comme non gouvernementales mais sont de facto liées à un gouvernement).
En France, le CRIF est systématiquement aligné depuis le début des années 2000 sur les positions israéliennes. Comme de nombreux acteurs de la délégitimation en France, il réalise un amalgame entre le mouvement BDS (boycott, désinvestissement, sanctions) et l’antisémitisme, et néglige la multiplicité des opinions des organisations de la société civile, dont certaines appellent uniquement au boycott des colonies et/ou au désinvestissement des entreprises présentes dans celles-ci.
Le CRIF s’est fortement engagé en 2019 en faveur de la proposition de résolution Maillard, qui visait à fournir une définition non contraignante de l’antisémitisme. Le projet de résolution donnait 11 exemples d’actes antisémites, dont 7 se concentraient sur la façon dont la critique d’Israël peut relever de l’antisémitisme. Après la mobilisation de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, elle a été adoptée en décembre 2019 sans reprendre les exemples d’antisémitisme liés aux critiques envers Israël.
Les interpellations d’acteurs tiers
Les acteurs de la délégitimation font souvent pression sur les acteurs gouvernementaux ou autres institutions afin qu’ils censurent ou punissent le plaidoyer en faveur des droits des Palestiniens. L’Europe est ainsi devenue un champ de bataille majeur où des attaques répétées visent à légitimer tout discours sur le respect du droit international en Palestine.
La ministre française de la justice Nicole Belloubet a renoncé en décembre 2018 à présider la cérémonie de remise d’une récompense aux associations B’Tselem et Al-Haq, deux organisations de défense des droits de l’homme de référence, respectivement israélienne et palestinienne, mises en cause par Israël et plusieurs organisations en France, dont le CRIF.
En 2016, l’organisation Jewish Voice for a Just Peace in the Middle East, basée en Allemagne, a reçu un message de sa banque indiquant que son compte était en cours de fermeture. Après cette décision de la banque, l’association a découvert un article publié dans le Jerusalem Post, qui indiquait que divers groupes de soutien à Israël avaient demandé à la banque de fermer le compte de Jewish Voice pour son soutien prétendu au mouvement BDS.
En France en 2018, l’Association France Palestine solidarité, l’Union juive française pour la paix et le collectif 69 de solidarité avec la Palestine à Lyon, ont été notifiés que leurs comptes Paypal étaient bloqués sur un principe similaire.
Poursuites judiciaires
Des poursuites judiciaires sont régulièrement initiées contre ceux qui prennent position en faveur du respect du droit international en Palestine.
En France, les conseils municipaux de Stains et d’Aubervilliers avaient élevé Marwan Barghouti, un responsable du Fatah et figure de la résistance palestinienne considéré comme un prisonnier politique par la France, au rang de citoyen d’honneur de leurs villes. En 2015 et 2017, le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme a déposé des plaintes auprès de la justice administrative contre les conseils municipaux et les maires qui avaient pris ces décisions.
3. Conséquences : la liberté d’expression entravée
Le droit à agir en défense des droits de l’homme est affecté par ces campagnes de délégitimation. Ces campagnes ciblent les trois bases du droit à agir en défense des droits de l’homme, notamment établis dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, dans la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, et dans la Convention européenne des droits de l’homme :
– En instrumentalisant la lutte contre l’antisémitisme, les acteurs de la délégitimation limitent les espaces que les défenseurs des droits de l’homme peuvent utiliser pour exercer leur liberté d’expression.
– Les attaques contre le financement des organisations de la société civile mettent en péril la liberté d’association.
– En exigeant l’annulation d’événements qui concernent les droits des Palestiniens, le droit de réunion est bafoué
Recommandations
Dans la mesure où les libertés publiques sont indispensables au sein d’une société démocratique, nous demandons notamment au gouvernement français de :
– Rejeter les demandes d’introduction de nouveaux critères de financement des organisations de la société civile motivées par des critères politiques
– Rejeter publiquement les accusations et attaques des acteurs de la délégitimation comme l’ont fait d’autres gouvernements (Danemark, Pays-Bas…)
– Respecter l’arrêt Baldassi de la CEDH et rejeter l’interprétation de l’appel au boycott comme un appel à la discrimination puni par la loi, dès lors que les motivations s’inscrivent dans un débat politique, qui ne dégénère pas en appel à la haine et à l’intolérance
– Mettre en place une procédure de reconnaissance pour mieux protéger les associations et défenseurs des droits de l’homme.
– Dans le cadre des relations bilatérales avec Israël, rappeler la nécessité de garantir un espace démocratique respectueux des libertés publiques.