En mai dernier, avec une violence inégalée, les Israéliens ont déversé, en 11 jours, plus de bombes que lors des agressions précédentes sur plusieurs semaines. Le feu et des bruits effroyables ont couvert Gaza, la nuit étant le moment le plus terrible. Quand une salve de missiles tombe sur Gaza, toute la population – 2,1 millions de personnes, dont 70 % ont moins de 15 ans – est sur le qui-vive : « Est-ce que les prochains missiles vont venir jusqu’à nous ? ». La nuit la plus terrible, 450 missiles sont tombés en quarante minutes. Les gens de Gaza, les enfants de Gaza, ont vu la mort de leur fenêtre, et ils ont cru, véritablement, qu’ils allaient mourir, tant les bombardements étaient rapprochés et puissants.
Les harcèlements israéliens ne s’arrêtent jamais, rappelant sans cesse à qui vit à Gaza qu’il ne peut vivre en paix, manger à sa faim, boire une eau propre, jouer et grandir quand il s’agit d’un enfant. Il y a les dégâts visibles, et les invisibles. C’est ceux-là qu’il faut guérir !
Car aucun cerveau ne peut sortir indemne de telles épreuves. Il déclenche des mécanismes de sauvegarde pour que l’individu ne meure pas de peur et de réactions biologiques trop fortes. Des modifications s’installent dans les circuits cérébraux, irréversibles si on ne les soigne pas.
Les psychismes sont de plus en plus atteints au fur et à mesure des agressions, et les capacités d’adaptation au stress s’amenuisent. La dernière agression a été si violente que tous les habitants ont été marqués, à des degrés divers, et qu’il leur a fallu plusieurs mois pour sortir de la sidération du choc traumatique.
On ne guérit pas seul des traumatismes psychiques, il faut des soins spécifiques, d’abord une présence humaine bienveillante, une ana¬lyse précise de ce qui se passe et des moyens pour agir sur les différentes composantes du stress traumatique. Il faut des réponses psychothérapiques prolongées et des thérapies complémentaires.
Or, en juillet 2021, Amani (Association franco-palestinienne d’aide et de formation médicales), préférant s’impliquer ailleurs dans un projet nouveau, s’est désengagée, laissant le centre sans revenus. Un coup dur. Mais il était inconcevable d’abandonner en pleine thérapie, et dans un moment de grande vulnérabilité, des enfants qui venaient de subir des agressions majeures. Un grand espoir cependant dans cette « nuit » : l’AFPS et sa belle contribution financière pour plus de la moitié du coût pour finir l’année.
Le projet a été rebaptisé Atfaluna (nos enfants), mot qui dit bien notre responsabilité. Et l’AFPS a renouvelé son soutien pour un cycle de 7 mois à partir de janvier 2022 dans un nouveau quartier difficile et très exposé, où la population n’a pas encore bénéficié de soins psychologiques : Beit Lahiya.
Le centre est devenu une oasis, fertile sur le plan humain, un lieu de sécurité et de ressources pour tout le nord de Gaza, où se repose le psychisme des enfants, un lieu qui leur donne accès au jeu, à un moment d’enfance. Un lieu de ressources, ouvert à la fratrie des enfants en cours de soins, aux parents qui, souvent démunis, peuvent chercher ensemble des solutions, comme dans ce groupe de mamans qui se réunissent régulièrement pour dépasser leur souffrance et leur fardeau.
L’équipe de sept personnes, est constituée d’une maîtresse de maison qui veille sur le bien-être des enfants et leur prise en charge, d’une coordinatrice, Nabila, fondatrice du Centre éducatif privé de Beit Lahiya depuis 2009, structure juridique sur laquelle s’appuie Atfaluna. S’ajoutent deux psychologues, et trois psychopédagogues, enseignantes formées à de nombreuses techniques et qui travaillent en lien avec les psychologues. Le docteur Dinomais complète l’équipe à distance. En tant que médecin pédopsychiatre, et il supervise les situations difficiles ; les avancées et difficultés sont ainsi partagées.
Les enfants viennent cinq demi-journées par semaine en complément de leur scolarisation. Il faut compter un mois de bilan, et six de soins pour chacun.
Les Palestiniens de Gaza n’ont pas les moyens de participer au coût des soins, qui reviennent en moyenne à 500 € par enfant, soit 70 € par mois pendant 7 mois. Une somme modeste pour permettre à un enfant de repartir dans la vie. L’engagement d’un groupe ainsi que les parrainages individuels peuvent ajouter une possibilité de planifier les soins. C’est l’occasion de liens interindividuels riches de part et d’autre. Les Palestiniens de Gazas ne s’en sortiront pas seuls, ils ont besoin de nous.
Photo : Dessin spontané d’une petite fille en début de séjour à Atfaluna / Jeanne Dinomais
Jeanne Dinomais
>> Cet article fait partie du n°80 de notre revue trimestrielle Palestine-Solidarité ou "PalSol".
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