Qui piège le monde arabe ? Les dossiers explosifs placeront sous eux la table des systèmes arabes. D’aucuns disent que bon nombre de ces problèmes s’inscrivent dans le cadre de l’impossible, d’autant qu’il est ancien. Une série noire est entrée sur sa ligne menaçant d’engendrer plus de dépouilles, de confrontations et de complexités locales et régionales. Il ressemble à une guerre d’un type nouveau que Donald Rumsfeld a qualifiée “d’incendies de forêts”, au temps où il était à la tête du Pentagone. Après avoir quitté la “citadelle”, il a renchéri : “C’est la guerre des cités”.
La guerre paraît être éternelle et rien ne se produit par hasard, mais est soumis à un scénario préparé avec minutie, visant à placer la région tout entière à l’intérieur d’un grand sinistre. Depuis l’occupation de l’Irak, la lecture est devenue possible dans le scénario, n’ayant plus besoin de totems : la dislocation du monde arabe en sectes et tribus, pour vider le conflit arabo-israélien de son contenu et instaurer le projet de l’Etat palestinien indépendant. De là, ce terrible condominium entre chefs de tribus et de sectes, les ulémas de ce temps, alors que les bouches des élites ont été mises sous les scellés rouges.
C’est la ligne de démarcation avec l’inconnu, dit notre ami Clovis Maksoud qu’inquiètent les politiques de la jungle, appelant à changer les règles du jeu, au lieu de les restaurer. Mais ce sombre souhait n’a pas de place dans la réalité, ni dans les faits, car nul ne peut faire face au déluge. Ce qui s’est passé à Gaza est moins une victoire, que le passage à la catastrophe. Il s’agit d’un blocus, d’une soumission à travers le pain, le travail et l’espoir.
Maurice Duverger, le penseur historique, a imaginé que l’homme - le leader et l’homme : le gouvernail et l’homme-boussole, est celui qui bouge et joue au point de rencontre entre le génie des circonstances et le génie de la cause. Ainsi était Yasser Arafat. Avant lui, Ahmed Choukairy n’avait pas ce poids. Ni Hajj Amine Husseini. Quant à Mahmoud Abbas, son efficacité paraît limitée, ainsi que son rôle, commme s’il jouait dans le point perdu entre “Hamas”, Israël et l’Amérique. Naturellement, l’Histoire ne se meut pas, comme les hommes ne se réitèrent pas, à leur tour, mécaniquement.
C’est pourquoi, des solutions ont été proposées à la crise opposant “Hamas” à l’autorité de Abbas, notamment la dissolution de l’Autorité nationale et son remplacement par des institutions placées sous l’égide internationale, comme c’est le cas, à présent, du Kosovo serbe. Cette formule serait transitoire et déterminée par un délai jusqu’à ce que soient tranchés le sort de l’Etat, le droit de retour, Jérusalem et les colonies. Cette échappatoire, disent ses promoteurs, est préférable de loin aux conflits, à la crispation aux affrontements, à la famine et plus saine que la force de Hamas tentée de brandir ses armes en direction des hommes de Fateh.
Le contraire est également vrai. En cas d’acceptation de la démission de l’Autorité et de sa transposition sous l’ombrelle de la tutelle internationale, il serait procédé au déploiement de forces internationales séparant Israël des territoires de l’Autorité. Les auteurs de cette vision estiment que cette solution pave la voie à l’Etat et sauve les Palestiniens d’un triste sort. Il faut que les efforts tendent vers cette orientation, pour la première fois, soixante ans après le revers palestinien, la cause de Palestine s’étant transformée en dernier cas d’occupation dans le siècle actuel. Cela signifierait, s’il venait à se concrétiser, la fin du rêve biblique du “Grand Israël”, rassemblant la “Judée-Samarie”, soit la Cisjordanie, allant de la mer au fleuve. Il est naturel qu’Olmert y souscrive.
De même, les islamistes palestiniens n’approuvent pas cette solution, parce qu’elle signifie la consécration de “l’entité sioniste”. Seule l’Autorité palestinienne réclame des observateurs et des forces de séparation et avec elles l’Union européenne et une large fraction de l’opinion publique israélienne. De leur côté, l’Administration américaine et le Congrès se disent disposés à examiner cette question, le commentateur éminent Friedman ayant fait écho à leur option dans un article ayant ce titre : “Pourquoi n’envoyons-nous pas des forces américaines de séparation entre les Israéliens et les Palestiniens, comme nous l’avons fait en Irak où nous avons mis fin au régime de Saddam Hussein ?”
Mais la lutte des frères a éliminé la formation d’un nouveau gouvernement à Ramallah qui serait un clou dans le cercueil du règne de l’Etat enterré par ses protecteurs. Un nouveau revers s’ajoutant à la série des anciens revers, au moment où l’Irak se noie dans le sang de ses fils ; que le Liban se morfond au-dessus de la braise des poblèmes et des dissensions sur tous les dossiers.
Les Américains qui sont maudits, matin et soir, par les Arabes, comme s’ils sont les seuls responsables de notre échec (où est donc notre responsabilité ?), se réjouissent de ce phénomène qui immobilise bien des collectivités arabes, poussant les élites vers la prison ou l’exil. Aussi, les crises politiques, ont-elles généré des crises sociales, économiques et culturelles. Ce à quoi a fait allusion le sommet saoudo-égyptien de Charm el-Cheikh, insistant sur une solution en Palestine, comme base de la réédification, dans le sens émis par le général De Gaulle à la fin des années 50 du siècle dernier, ainsi que Bismarck et Jean Monnet, artisan de l’unité européenne.
Jusqu’à quel point la Palestine est le début et la fin de la cogitation de la région depuis soixante ans ? La raison arabe était en dehors de la glacière et se trouve maintenant à l’intérieur, la part américaine étant très claire dans cet effondrement. Au lieu d’extirper le modèle taliban d’Afghanistan, il est importé à Gaza et ailleurs, alors que le monde autour de nous évolue à un rythme effarant ! Le Liban n’est pas éloigné de ce phénomène. Mais les forces vives dans la petite patrie sont disposées à affronter toutes sortes de situations. Après cette grande guerre, le feu blanc doit s’élever et proclamer le Liban comme une région située en dehors de la zone des volcans.
Telle est la noble mission du président Sleiman. Un jour, Edward Saïd a écrit : “L’ogre est parmi nous” et appelé à s’en débarrasser, en revenant aux valeurs de l’action politique, telle que les ont formulées les grands du Liban, loin du “machiavélisme” mortel. Cet Orient doit adopter ces valeurs ou vieillir, parce que le globe terrestre ne changera pas sa rotation”, selon les termes d’André Fontaine.