Depuis un an que le Mur est en construction, la plupart des choses sont devenues routine, mais rien n’est normal. Dans cette zone, plus de 15 000 arbres sont morts derrière le Mur. Plus de deux cents agriculteurs ont perdu leurs terres et leur travail. La production a été réduite de moitié par rapport aux années précédentes. Le temps nécessaire pour rejoindre les champs a été multiplié par au moins 3, il en est de même pour les distances. Cela est il normal ?. Pourtant les gens ont commencé à s’habituer à voir la barrière, et la procédure commence même à paraître familière aux agriculteurs et aux soldats.
Mais ce qui arrive à la terre n’est pas normal.
Même si un homme peut s’adapter à une situation nouvelle, la terre ne le peut pas, car c’est contre nature. J’ai vu que la plupart des oliveraies n’ont pas encore été récoltées, et je sais que cela signifie qu’une grande quantité d’huile est encore sur les arbres et qu’elle attend des mains pour la récolter. Là bas, ce qui se trouve sur les arbres est la principale source de nourriture pour les habitants de Jayyous, et la principales source de revenus pour la saison. A cette époque, avant la construction du Mur, ces arbres auraient été récoltés. Malheureusement, certaines des fermes ont été complètement abandonnées parce que leurs propriétaires ne peuvent plus les atteindre ou qu’elles sont trop éloignées. Certaines zones ont été complètement isolées du reste du village et encerclées par le Mur. La plupart des chemins agricoles sont fermés et le seul moyen qui reste est de gravir les montagnes et de transporter les produits à la main, ce qui n’est pas pratique. Les pertes en huile d’olive seront considérables cette année. Des centaines de tonnes d’olives sont maintenant situées derrière le Mur.
La situation n’est pas meilleure en ce qui concerne les légumes et les agrumes. Là bas vous ne voyez pas grand monde, seulement ceux qui ont pu avoir un permis et qui ont pu tenir le coup après la chute des prix de l’an dernier. L’endroit paraît silencieux, mais c’est toujours un morceau de paradis. J’ai inspiré l’air pur, et j’ai écouté le chant clair des oiseaux. Marcher entre les vergers et les plantations d’agrumes m’a fait oublié le Mur et le temps qu’il restait avant que la barrière se referme de nouveau. Dans un tel endroit, vous pouvez percevoir comment Dieu a créé cette magnifique terre et comment il souhaitait qu’elle soit. Ici vous pouvez compter des dizaines de sorte de fruits différents chaque saison. Je me rappelle mon enfance quand je venais avec mes parents pour travailler et jouer. La terre continue à donner génération après génération, et la nature est toujours magnifique. Alors pourquoi cet endroit paraît si triste maintenant ?
Je me suis mis à ramasser des olives et j’en ai récolté environ 30 kg en 2 heures. Les arbres croulent sous les fruits qui attendent des mains pour les cueillir. Les olives sont fraîches et brillantes, mais elles attendent la visite de leur propriétaire. L’olive est un don de Dieu, mais nous ne pouvons pas en profiter. Dès que j’en ai eu fini avec les olives, je suis allé ramassé des oranges, des goyaves, des tomates et des concombres. J’en ai rempli deux cageots en quelques minutes. J’ai ramassé des légumes et des fruits très frais et plein de goût, mais il n’y a pas de marché pour eux. J’ai terminé plus tôt que prévu, certainement en raison du stress qu’impliquent les horaires d’ouverture et de fermeture de la barrière.
J’ai passé le temps qui me restait à regarder les fermes autour et à voir ce qui s’y passait. Dans une ferme voisine, j’ai entendu comme des gémissements sous les arbres. La plupart des goyaves jonchaient le sol et la couleur de la terre était devenue jaune. Je connais le propriétaire de cette ferme depuis que mon enfance ; habituellement il vient chaque jour pour s’ occuper de ces arbres. Les arbres ont attendu qu’il vienne récolter les fruits, mais il n’est pas venu. Quand les fruits sont murs et que personne ne les ramasse, ils tombent immédiatement comme des larmes, et vous pouvez entendre le bruit qu’ils font lorsqu’ ils s’écrasent sur le sol. Alors j’ai compris pourquoi cet homme pleurait quand je l’avais rencontré deux jours plus tôt. L’armée israélienne lui avait refusé le permis de passer, même à 65 ans. Ils lui avaient octroyé un permis l’an dernier, mais pas cette saison. Quand j’ai vu ça, j’ai rempli une caisse de goyaves pour la lui donner.
Quand je suis rentré et que je lui ai donné la caisse en lui disant "Elles viennent de chez toi", il m’a répondu "je le savais, merci". Alors je me suis demandé : "Mais comment pouvait-il le savoir ?". La réponse : moi-même, j’aime, je sais et je peux sentir mes enfants, même quand je suis loin d’eux, et ces arbres ont l’âge de son fils aîné. Sa terre est comme ses propres enfants. Ils se connaissent si bien que les deux pleurent d’être séparés.
Savez vous ce que signifie le Mur ?
Dieu le sait, beaucoup d’amis aussi.