Photo : La police israélienne arrête un manifestant bédouin dans le village d’as-Sa’wa al-Atrash dans le Naqab/Negev, le 13 janvier 2022. Crédit : Oren Ziv
"Nous avons des cartes d’identité israéliennes, nous travaillons, nous respectons la loi, mais cela ne signifie pas grand-chose pour l’État. Au lieu de cela, ils nous disent qu’une plante amenée d’Europe a plus de droits qu’un non-Juif qui est né et a grandi ici. C’est notre soi-disant "démocratie"". Ces mots d’Ali Abu Al-Qi’an, un Bédouin résidant dans le village d’Atir, il y a près de sept ans, résument parfaitement ce qui s’est passé dans le désert du Naqab/Negev la semaine dernière.
Gardé par des unités de police massives armées de matériel anti-émeute, le Fonds national juif (JNF) a commencé à creuser des terres agricoles qui ont longtemps été pâturées par les Bédouins du village d’As-Sa’wa al-Atrash. Il est prévu d’y faire pousser une forêt, mais l’objectif n’est guère environnemental : il s’agit de s’emparer de la terre pour la soumettre au contrôle des Juifs et d’empêcher les Bédouins de l’utiliser. Des centaines de citoyens bédouins ont manifesté sur le site et sur les principales autoroutes du sud, la police israélienne réprimant brutalement les foules et arrêtant plus d’une centaine de personnes.
Haaretz a rapporté jeudi que six membres du conseil exécutif du JNF étaient furieux que le président de l’organisation, Avraham Duvdevani, ne les ait pas consultés au sujet des plans. "Lorsque quelque chose comme cela [les manifestations] se produit, cela entache notre réputation", a déclaré un membre du conseil d’administration dans une déclaration qui soit est étonnamment inconsciente, soit feint d’ignorer la mission historique de l’organisation.
La "bonne réputation" du FNJ est gravée sur des panneaux en bois et des plaques de pierre dans des forêts artificielles des deux côtés de la ligne verte, célébrant fièrement la conquête et la "rédemption" par Israël des terres des villages palestiniens qui ont été détruits et dépossédés depuis 1948. La propre communauté d’Abu Al-Qi’an, Atir, qui a été construite dans les années 1950 après que le gouvernement militaire israélien ait expulsé la tribu de ses maisons pendant la Nakba, doit être démolie afin d’étendre une autre forêt du JNF cruellement nommée "Yatir". Ces projets sont menés main dans la main avec l’État israélien, qui accorde à la JNF une place de choix dans ses instances foncières et de planification.
La résistance à cette politique coloniale dans le Naqab se déploie de manière différente et parfois discordante. Comme tous les Palestiniens, la communauté bédouine n’est pas un groupe monolithique ; outre les identités claniques et tribales, certains segments de la population sont étroitement alliés à l’État israélien et servent dans ses forces de sécurité, tandis que d’autres affirment davantage leur identité et leur activisme palestiniens. Le parti islamiste Ra’am, qui bénéficie d’un fort soutien parmi les électeurs bédouins, tente de tirer parti de sa place dans la coalition pour bloquer le plan de boisement, tandis que la Liste Unie affirme qu’il est vain de siéger dans un "gouvernement de changement" qui non seulement poursuit les politiques de son prédécesseur, mais les intensifie activement.
Pourtant, c’est précisément cette complexité qui rend les protestations de cette semaine si extraordinaires. Il y a dix ans, le Naqab est devenu un point central de la conscience palestinienne lorsque Israël a commencé à mettre en œuvre le "plan Prawer" visant à déplacer 70 000 Bédouins dans des villages dits non reconnus - auxquels Israël refuse de fournir des services publics de base - et à les forcer à s’installer dans des agglomérations appauvries. La résistance qu’il a suscitée au niveau local et international a permis de faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il abandonne le plan, bien que les autorités aient continué à poursuivre leur mission par d’autres moyens.
Aujourd’hui, le spectacle de centaines de Bédouins affrontant la police et le JNF a une fois de plus saisi le sentiment d’injustice qui imprègne la communauté bédouine et tous les Palestiniens à l’intérieur de la ligne verte et au-delà. Ce sentiment s’est manifesté avec force lors du soulèvement de mai dernier, et il n’a cessé de gronder sous la surface depuis. Il est trop tôt pour dire combien de temps durera cette dernière vague, mais elle nous rappelle que la citoyenneté - et d’ailleurs le service militaire et la représentation politique - ne peut toujours pas protéger les Bédouins des impulsions coloniales d’Israël.
Amjad Iraqi est rédacteur et écrivain au magazine +972. Il est également analyste politique au sein du groupe de réflexion Al-Shabaka, et était auparavant coordinateur du plaidoyer au centre juridique Adalah. Il est un citoyen palestinien d’Israël, basé à Haïfa.