Alors que les déplacements à l’intérieur de Cisjordanie sont devenus plus
faciles au cours des derniers mois, les villages qui entourent Naplouse souffrent
toujours de mesures très strictes d’enfermement.
Les checkpoints s’ajoutent à des centaines de barrages et un certain nombre
de no’man’s land empêche une majorité de villageois d’aller dans leurs champs
et aux marchés. C’est une situation qui dure depuis des années et dont les
conséquence sont fatales pour les villages.
Au cours des dernières semaines nous sommes allés voir de nombreux villages
dans les environs de Naplouse. Partout où on va - Beit Furik, Salem, Iraq
burin, Tell, Deir El-Hatab, Azmut, Asira ash-Shamaliya, Tallusa, Far’a - c’est la
même histoire qui se répète : mesures d’enfermement qui isolent de Naplouse ou
des villages environnants, destruction totale de l’économie locale, taux de
chômage incroyablement élevé qui conduit à encore plus de pauvreté...
La survie de ces villages dépend de leur possibilité d’accès à la ville et
cette possibilité est quasiment interdite à tous les Palestiniens.
Aisra ash-Shamaliya par exemple, une ville d’à peu près 10000 habitants au
nord de Naplouse (derrière le Mont Ebal) était habituellement à dix minutes en
voiture de Naplouse ; maintenant, les villageois en ont pour deux heures avant
d’arriver à la ville.
Au lieu de faire quelques kilomètres à travers la vallée proche jusqu’à la colline dénommée "17" puis de redescendre vers les faubourgs de Naplouse, ils doivent maintenant passer par an-Naqura ’ au checkpoint de la colonie de Shave Shomron.
A seulement quelques kilomètres de là, il faut encore qu’ils passent par un autre checkpoint, Beit Eba, pour entrer à Naplouse.
Ce chemin est au moins dix fois plus long que le chemin normal par la "17".
L’an dernier il était encore possible de traverser la vallée en dessous de la
"17" mais ce chemin est aujourd’hui complètement interdit et personne n’ose
plus y aller.
Si l’an dernier encore les gens étaient arrêtés et humiliés aux barrages de
la vallée souvent pendant plus de cinq heures, maintenant c’est leur vie qu’ils
jouent s’ils entrent dans cette zone. Les soldats n’hésitent plus à tirer depuis les collines voisines.
Il en résulte tout un tas de difficultés pour les villageois. Non seulement
ils perdent plus de temps, non seulement le chemin de Naplouse est rallongé,
mais le coût du trajet devient faramineux .
Alors que " la 17 " était encore accessible (malgré bien des difficultés) ils
dépensaient moins de 5 shekels pour aller à Naplouse.
Le long détour par Shave Shomron et Beit Eba coûte maintenant 20 shekels..
Beaucoup ne peuvent s’offrir une telle dépense au quotidien.
Un grand nombre d’étudiants ont quitté le village et louent un appartement à Naplouse. Beaucoup des gens du village qui travaillent dans le privé ont perdu leurs emplois ou bien ont dû se mettre à rester toute la nuit à Naplouse.
La plupart des 30% de travailleurs qu’emploie l’Autorité Palestinienne (PA) ont conservé leurs jobs au prix d’incroyables difficultés pour aller sur leurs lieux de travail.
L’isolement du village frappe de plein fouet l’économie locale.
Ainsi dans d’autres villages comme Tallusa, on ne paie pratiquement plus le travail à l’intérieur du village.
A Asira, il y a des gens qui paient l’électricité avec de l’huile d’olive.
Asira est une grande productrice d’huile d’olive, et l’excellente qualité de cette huile d’olive est largement reconnue.
Malheureusement, on n’a pu vendre à l’extérieur du village qu’un très petit pourcentage du million de litres d’huile d’olive produit .
Depuis qu’une grande partie des villageois ont perdu leur travail dans les autres régions de Cisjordanie, d’Israël ou de Naplouse, Asira dépend complètement de l’agriculture locale. Et comme la production agricole est devenue encore plus difficile (par exemple : trop de barrages entravent l’accès des fermiers à leurs terres sans que la sécurité ne soit le véritable objectif de l’armée israélienne) la distribution abondante des marchandises est presque impossible.
Bien que le village soit très proche de Naplouse, la vente des denrées sur ses marchés est devenue presque impossible.
La situation médicale du village est, elle aussi, alarmante. Se rendre à l’hôpital Rafidiad de Naplouse est presque impossible, et oblige les villageois à emmener les malades dans les hôpitaux de Jénine ou Jéricho, à des douzaines de kilomètres du village.
Des petits problèmes de santé, blessures légères ou accouchements sont un
risque pour les personnes concernées et se terminent parfois par la mort.
Il y a quelques années les villages d’Asira, de Tallusa et de Yasid avaient ouvert un nouveau lycée. Comme il se trouvait à environ 5 kilomètres de Naplouse, au milieu du triangle Asiar-Yasid-Tallusa et que l’armée israélienne contrôle l’embranchement qui donne accès au village et à l’école, personne ne peut plus arriver à l’école.
Les scolaires n’ont pas d’autre choix que de se débrouiller avec un système de "substitution" pour pouvoir apprendre. La première "substitution" va de 8h à 12h, la seconde va de 10h à 4h. en septembre prochain, les professeurs et les directeurs de la région étudient un projet pour rouvrir le lycée à l’extérieur du village.
Le résultat de ces problèmes, provoqués par l’occupation, c’est que des dizaines de familles dépendent des programmes d’aide de la Croix Rouge.
Les conséquences désastreuses sont innombrables : augmentation des gens qui s’en vont du village, maladies, malnutrition, pas d’investissement dans la
construction locale. Et comme le harcèlement quotidien de l’occupation israélienne n’est pas spectaculaire la situation des villageois reste ignorée ou oubliée du monde.
Azmut, Deir El-Hatab et Salem comme les villes de Beit Furik fournissent d’autres exemples d’une situation qui se détériore en permanence.
Les trois premiers villages sont situés à seulement quelques kilomètres à l’est de Naplouse et Beit Furif est plus loin au sud-est de la principale ville de la région. Salem est dominée par la colonie israélienne illégale d’Itamar.
Sur la montagne au-dessus de Salem, Deir El-Hatab et Azmut il y a la colonie de
Elon Moreh. Entre Naplouse et ces trois villages, il y a une route militaire, une grande tranchée creusée au Caterpillar, parfois remplie d’eau usée, une porte
militaire jaune et, la plupart du temps, au moins une jeep de l’armée israélienne.
Azmut est de plus isolé des deux villages par une autre route militaire conduisant à la route des colons au dessus des villages, et les coupant de la plus grande partie de leur terre et de leurs vergers d’oliviers. Beit Furik est coupé de Naplouse par un checkpoint et un mirador récemment construit sur la route de la colonie d’Elon Moreh à Itamar. L’armée israéliene a aussi rajouté des barrages à différents endroits entre Beit Furik et le check point.
Tandis que l’année dernière, les voitures ne pouvaient plus entrer à Salem (à
peu près 5000 habitants) ni dans les deux villages voisins d’Azmut et de Deir
El-Hatab (qui comptent ensemble 5000 villageois), l’entrée en est ouverte maintenant, de temps à autre, par l’armée.
L’alimentation et autres denrées n’ont plus besoin d’être acheminées au villages par des ânes. On peut aussi atteindre fréquemment les villages à travers un champ voisin, ne tranchée au sud et une vallée à pic au nord.
Ces chemins sont plus ou moins accessibles maintenant - quoique seuls les
jeunes et les personnes en forme sont en mesure de les utiliser. La plupart du
temps, cette zone n’est gardée que par une seule jeep militaire.
Pourtant, beaucoup de gens qui n’ont pas le droit de se promener autour du checkpoint sont souvent renvoyés ou envoyés au checkpoint Beit Furik.
A partir de là, ils peuvent aller à Salem en traversant la route des colons et un grand champ ouvert où ils peuvent facilement être repérés, attrapés et se faire tirer dessus par l’armée israélienne.
Le même système est souvent utilisé par des véhicules de toutes sortes pour
transporter les gens ou les marchandises à Naplouse. Au moins une fois par
jour ; voitures et camions sont bloqués dans la tranchée au milieu du champ. Alors, l’armée peut se montrer et harceler le conducteur, détruire parfois ses
pneus ou n’importe quelle partie de son véhicule. Très souvent, les soldats
israéliens tirent en l’air ou à travers les champs et atteignent souvent des maisons
en bordure du village.
Outre les restrictions de mouvement imposées aux villageois, la colonie d’Elon Moreh constitue l’un des pires problèmes. Presque 80% des terres du village
sont situées derrière ces routes de contournement des colons construites pour
permettre à quelques centaines d’habitants de la colonie de s’installer et de
s’agrandir illégalement sur la terre palestinienne en haut de la montagne.
L’eau qui alimente les trois villages arrive dans les canalisation de Marda.
Malheureusement les colons contrôlent l’eau. Une canalisation de 10,16 cm
distribue l’eau à la colonie et une canalisation de 7,2 cm dessert les populations
des villages. En raison de la pression de l’eau les colons ont réduit exprès le flux des canalisations , et certaines maisons palestiniennes ne peuvent être approvisionnées en eau.
En été, il est courant que près de 70% des villageois ne reçoivent pas d’eau des canalisations et soient dépendants de l’eau qu’ils achètent hors du village., ce qui, en raison de sa mauvaise qualité, provoque souvent des maladies comme l’hépatite.
La route de la colonie empêche les villageois de jeter leurs ordures dans les lieux appropriés situés à l’extérieur du village.
Comme l’armée a construit tout un tas de barrages le long de la principale
autoroute israélienne qui traverse les oliveraies, les bennes à ordures ne peuvent plus y aller.. C’est pourquoi les villageois jettent leurs ordures près des villages et dans les fossés qui les entourent. Parfois ils brûlent les ordures avec d’autres déchets provenant de la zone industrielle proche de Naplouse.
Le taux croissant de cancer est l’une des conséquences de ces pratiques insalubres.
Etant donné qu’une grande partie de la terre des villages est occupée illégalement par les colons et que le reste de la terre derrière la route des colons est particulièrement difficile à atteindre, les coûts de production de l’huile d’olive - source principales des revenus des fermiers - ont dramatiquement augmenté, tandis que le prix de l’huile d’olive a chuté du tiers de son prix initial.
D’autres denrées produites au village comme le fromage sont encore plus difficiles à vendre. Bien des fermiers en viennent à vendre leurs vaches alors même que leurs troupeaux sont l’unique moyen d’existence de la plupart des
villageois.
Les restrictions sur la circulation des villageois ont eu des conséquences sociales terribles.
A Salem les travailleurs agricoles et les employés du secteur privé (travailleurs en Palestine et en Israël) se sont appauvris. 65% des habitants dépendent maintenant de l’aide extérieure. Au début de la seconde intifada le taux tournait autour de 10%. Et alors qu’il y a quelques années 80% en gros de la population travaillait, le pourcentage est maintenant tombé à près de 20% .Et encore, travailler ne signifie-t-il pas gagner assez d’argent pour vivre. Cela signifie surtout que les gens travaillent des heures chaque semaine mais ne gagnent pas assez pour faire vivre leurs familles...
Pour l’instant, on ne peut que dresser la liste de quelques uns des nombreux
problèmes auxquels les villageois ont à faire face. Il faut aussi mentionner un autre aspect des choses, à savoir les fréquentes incursions de l’armée israélienne, dans la journée mais le plus souvent la nuit. De jeunes soldats fortement armés entrent dans les villages, tirent partout au hasard, provoquent les jeunes, lancent des bombes lacrymogènes ou des grenades explosives dans les jardins et les cours. La plupart du temps, le seul véritable objectif de ces nuits d’incursions est de terrifier les habitants pendant des heures.
Chez beaucoup de gens, la détermination à se battre et à s’opposer à la
répression de l’armée israélienne semble moins forte que dans les années passées.
De plus en plus de gens sont épuisés par l’occupation et craignent les
interminables conséquences résultant des actions contre l’armée d’occupation , quoique leur situation puisse difficilement être pire.
Ce qui, ajouté au manque de présence internationale importante dans la région
de Naplouse qui permettrait de soutenir une résistance non violente à l’occupation - les conduit au désespoir.
La situation empire. Le monde reste aveugle et silencieux.