S’il vous plaît, regardez bien l’Amérique, Premier Ministre Netanyahu.
Regardez ses villes et ses villages, dont les rues sont inondées de manifestants demandant une justice restauratrice et un terme à la violence contre des civils innocents approuvée par l’état.
Regardez la 16ème Circonscription du Congrès à New York, où Eliot Engel, fidèle allié d’Israël au Congrès depuis plus de 30 ans, a été récemment évincé par Jamaal Bowman, éducateur noir progressiste qui a déclaré au magazine Jacobin qu’« il ne comprenait pas pourquoi les contribuables américains subventionnent la détention d’enfants palestiniens tandis que les Démocrates critiquent la détention d’enfants à la frontière mexicaine ».
Regardez, et vous comprendrez que plus de 50 années de contrôle israélien de la vie des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza et l’expansion des colonies juives ne cessent d’éroder l’adhésion historique de l’Amérique à Israël.
En tant que Juif américain, le fils d’un survivant de l’Holocauste, partisan convaincu du droit à l’auto-détermination à la fois des Israéliens et des Palestiniens, je le sais. Je le sais, en partie, à partir de beaucoup de longues conversations que j’ai eues au sujet d’Israël avec ma fille, récente diplômée de Harvard qui étudie les droits de l’homme.
En avril dernier, le Comité de Solidarité avec la Palestine de Harvard a organisé la « Semaine de l’Apartheid Israélien », présentant une série d’événements et de conférences qui ont mis en exergue l’injustice et la violence liées à l’occupation de la Cisjordanie par Israël. J’ai passé la majeure partie de notre appel sur Facetime cette semaine à me disputer avec ma fille alors qu’elle défendait le choix du titre, qu’elle établissait des comparaisons entre l’apartheid en Afrique du Sud et la Palestine contemporaine, et qu’elle déplorait le fait que certains étudiants juifs semblaient plus préoccupés de protéger la réputation d’Israël que la vie des Palestiniens.
J’ai réagi. Je lui ai dit que cette comparaison était minable et historiquement inexacte, que 20 % des citoyens israéliens sont des Palestiniens arabes qui, en dépit d’une indéniable discrimination, disposent d’un accès entier aux droits civiques et politiques. Je lui ai expliqué que l’occupation était bien sûr problématique, mais qu’elle était en fin de compte une mesure provisoire, et non le reflet de la conviction d’un peuple qu’il a le droit d’en dominer un autre de façon permanente. Je lui ai dit que le mauvais gouvernement de la Cisjordanie par l’Autorité Palestinienne était responsable de davantage d’abus et d’injustices qu’elle ne le pensait.
Je lui ai dit que peut-être si Israël annexait la Cisjordanie, en transformant cet état de fait prétendument temporaire en un système permanent d’inégalité de droit, nous pourrions parler d’apartheid — mais ceci, j’étais confiant, n’arriverait jamais.
Mais comme l’impossible devient vraisemblable, je suis à court d’arguments. Vous faites un énorme pari, M. le Premier Ministre, en espérant que le soutien de longue date des Etats-Unis à Israël tiendra bon alors que Israël défie le droit international et professe — comme le fait l’annexion — qu’il cherche à dominer en permanence et à contrôler la vie des Palestiniens. Mais votre confiance reflète un profond malentendu sur l’orientation de la politique de l’Amérique et des personnes qu’elle considère comme des partenaires dans la lutte contre la discrimination et l’inégalité.
Pendant des décennies, un consensus bipartite a fait d’Israël un phare de la démocratie, un champion des droits de l’homme, et le plus important allié des Etats-Unis au Moyen-Orient. Ce partenariat à été essentiel pour la sécurité et l’existence d’Israël.
De la reconnaissance d’Israël en 1948 par le Président Truman, à la décision du Président Nixon de transport aérien d’urgence de matériel militaire pendant les jours charnières de la Guerre du Kippour en 1973, et au soutien financier, militaire et politique continu que les E.U. apportent à Israël, l’idée que les Américains — Démocrates et Républicains, jeunes et vieux — se tiendraient de façon inébranlable aux côtés d’Israël a été un principe premier de la politique américaine.
Mais cet engagement, comme tant d’autres, est déstabilisé par la vague de fond du progressisme qui secoue la politique américaine. Israël est de moins en moins considéré comme un pays vulnérable entouré par une mer d’ennemis engagés à le détruire, et davantage comme une brute de quartier qui a pendant plus de 50 ans refusé aux Palestiniens la chose même à laquelle les Juifs aspiraient depuis la destruction du Second Temple — leur propre patrie.
Le soutien à Israël est en baisse dans la génération de ma fille. Selon un sondage fait en 2019 par Gallup, seulement 17 % des Américains âgés de 18 à 34 ans — à comparer aux 36 % de ceux âgés de plus de 55 ans — exprimaient une opinion « très favorable » d’Israël. Plus d’un tiers des Américains âgés de moins de 35 ans déclaraient qu’ils avaient une opinion défavorable d’Israël. Ce résultat est particulièrement prononcé parmi les Démocrates, spécialement chez les jeunes. Seulement 13 % des Démocrates ont aujourd’hui une opinion très favorable d’Israël, à comparer aux 43 % des Républicains.
Les récits qui pourraient justifier le fait de prendre la terre d’un autre par la force – en disant que le territoire n’est pas vraiment « occupé », que les péchés d’Israël sont insignifiants par rapport à ceux de ses voisins, qu’il n’y a aucun partenaire palestinien pour faire la paix, et ainsi de suite — sont des histoires israéliennes, pas américaines. Pour la génération sceptique de ma fille, l’annexion représente cependant un autre exemple de force prévalant sur la justice. Et je n’aurai aucune réponse.
L’annexion ne marquera pas le début de la chute en disgrâce d’Israël dans l’Amérique progressiste — pour les jeunes Américains, ce sera la goutte d’eau qui fait déborder le vase. L’Amérique et Israël sont deux pays à la croisée des chemins — procédez à l’annexion, M. le Premier Ministre, et l’on verra qui a perdu l’Amérique.
Allen S. Weiner est Maître de Conférence en Droit et directeur du Programme de Droit International et Comparé à l’Ecole de Droit de Stanford. Il est aussi le directeur du Centre sur les Conflits et les Négociations Internationales de Stanford. Twitter : @AllenSWeiner
Katie A. Weiner est une récente diplômée d’honneur de l’Université de Harvard, où elle était Rédactrice en Chef Adjointe de la Revue Politique de Harvard. Twitter : @katieaweiner
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT prisonniers de l’AFPS