Dès le 26 août, l’AFPS condamnait avec la plus grande fermeté l’attentat antisémite de la synagogue de la Grande-Motte [1]. En effet, pour notre association il est fondamental de ne tolérer aucun amalgame : de la même façon qu’on ne peut soupçonner chaque Juif d’être un soutien des massacres de Gaza, on ne peut pas assimiler les actions de solidarité avec la Palestine ou les critiques de la politique du gouvernement Israélien à de l’antisémitisme.
Comment dès lors ne pas être scandalisé quand, au même moment, le grand rabbin de France, Haïm Korsia – la plus haute personnalité religieuse de la communauté juive française - associe délibérément le judaïsme, qu’il représente, à la défense inconditionnelle d’Israël ? En soutenant, sans la moindre nuance, la politique génocidaire du gouvernement israélien [2] , le grand rabbin de France alimente inévitablement la confusion et crée les conditions d’un amalgame antisémite, mettant ainsi les juifs en danger. Qui plus est, il profère, dans la même interview, des propos à résonance raciste : d’une part, il qualifie la gauche de « gueux excitant des sots » pour s’assurer le vote des Musulmans ; d’autre part, il affirme que les massacres des Palestiniens à Gaza ne sont « pas du même ordre » que les massacres des Israéliens le 7 octobre. Ces dérives ont été aussitôt dénoncées par plusieurs organisations juives, dont nous avons souhaité présenter quelques réactions.
BD
Un grand rabbin contre les Juifs de conscience
Par Sonia Fayman, pour l’Union juive française pour la paix
Honte au grand rabbin de France, qui a osé dire sur BFMTV que « tout le monde serait bien content qu’Israël finisse le boulot… », reprenant les mots d’Ariel Sharon lors de la deuxième intifada. C’est l’idée de toujours des conquérants sionistes de la Palestine : exproprier, tuer, expulser les Palestiniens de leurs terres.
Il est loin le temps où des rabbins américains ont réfuté le sionisme, dans la célèbre déclaration de Pittsburgh en 1885 [3]. Plus près de nous, le rabbin Jehiel Jacob Weinberg (cité par Yakov Rabkin dans son dernier livre [4]) expliquait, en 1999, que « la nationalité juive est différente de celle de toutes les nations en ce sens qu’elle est uniquement spirituelle », rejetant ainsi la pertinence d’un État juif. Aujourd’hui encore, des rabbins, des communautés juives s’élèvent contre l’impunité d’Israël et le génocide des Palestiniens : par exemple, la rabbine Alissa Wise, qui a été une des dirigeantes de JVP [5], notre organisation sœur aux États-Unis, publie un livre important [6], avec Rebecca Vilkomerson, autre dirigeante de JVP, dans lequel elles critiquent les institutions juives états-uniennes qu’elles estiment totalement délégitimées pour parler au nom des Juifs.
Or, Haïm Korsia, comme les dirigeants du CRIF, affiche un soutien forcené à la tentative d’extermination d’un peuple par le gouvernement d’un État voyou qui se donne tous les droits, notamment celui de prétendre représenter les Juif. ves du monde entier. Nous rejetons totalement la prétention d’Israël à nous représenter, à un moment critique où les confusions entre la judéité et la religion juive et entre Juifs et sionistes sont à leur paroxysme. En exaltant le nationalisme, Israël a déformé l’esprit du judaïsme et s’est approprié une centralité juive que nous lui refusons, avec des penseurs comme Daniel Boyarin [7], historien des religions et philosophe (« la nation juive est une nation de la diaspora »).
L’apologie du terrorisme d’État israélien par Haïm Korsia est une grave atteinte à la sécurité des Juif·ves en France car ses propos orduriers sont de nature à susciter de l’antisémitisme de la part de personnes mal informées qui assimilent le monde juif à Israël. L’UJFP, engagée dans la démystification de cet amalgame et de son corollaire entre antisionisme et antisémitisme, se heurte à une intoxication orchestrée par les tirs groupés des institutions juives religieuses et laïques, du gouvernement et de l’extrême droite. Face à eux nous rappelons et valorisons la diversité des voix juives et le soutien aux droits des Palestiniens, dans lequel se retrouvent de plus en plus de groupes et de personnes juives qui ne peuvent plus tolérer qu’en leur nom Israël poursuive sa stratégie génocidaire appuyée par les États marchands d’armes.
Nous comptons sur les organisations amies comme l’AFPS pour dire haut et clair que les relais d’Israël en France sont des agents de la haine raciste et attisent l’antisémitisme.
En faisant l’apologie du génocide, Haïm Korsia met les Juif·ves en danger
Extraits du texte publié le 2 septembre par Tsedek sur le blog Médiapart
Tsedek se définit comme « un collectif de juifs et juives décoloniaux·ales luttant contre le racisme d’État en France et pour la fin de l’apartheid et de l’occupation en Israël-Palestine » (note du comité de rédaction)
Les propos tenus par Haïm Korsia, grand rabbin de France, en réaction à la tentative d’incendie de la synagogue de la Grande Motte, sont non seulement condamnables, ils contribuent aussi à alimenter la confusion entre les Juifs et Juives du monde entier et la politique menée par le gouvernement israélien. […] Haïm Korsia va jusqu’à exhorter l’armée israélienne à « finir le boulot ». Cette formule, directement reprise de Netanyahou exprime, on ne peut plus clairement le fantasme d’extermination qui motive le génocide en cours. Cette prise de position est d’autant plus irresponsable que toutes les agressions à caractère antisémite survenues ces derniers mois ont été motivées par la situation génocidaire à Gaza. En agissant de la sorte, Haïm Korsia nous met toutes et tous en danger, nous les Juifs et Juives de France. Plus que toute autre institution, le grand rabbin de France est en effet le principal représentant de la foi juive aux yeux du grand public. En associant aussi clairement judaïsme et défense inconditionnelle d’Israël, il nous rend aux yeux de tous complices des crimes contre l’humanité perpétrés par Tsahal, reprenant en cela un amalgame grossier savamment entretenu par l’État français et les instances de représentation du judaïsme en France. […] Ce sont les valeurs du Talmud que nous chérissons qui sont bafouées ici par Haïm Korsia. […] L’attitude irresponsable adoptée par les institutions juives de France tranche avec la grande dignité des prises de positions de religieux·ses juif·ves à travers le monde […]. Lorsque le grand rabbin de France se félicite de la manière avec laquelle Israël mène ses offensives à Gaza – disant ne pas avoir à en « rougir » alors même que son armée perpètre un génocide –, il fait monter l’antisémitisme. Lorsque l’Union des étudiants juifs de France organise pour ses universités d’été un road trip entre Tel Aviv et Jérusalem, profitant des plages israéliennes alors même que le génocide fait rage à quelques dizaines de kilomètres, l’UEJF fait monter l’antisémitisme. Lorsque le Conseil représentatif des institutions juives de France reçoit en grande pompe le président israélien Isaac Herzog – criminel de guerre ayant apposé sa signature sur les bombes qui tuent les femmes et les enfants palestinien·nes et ayant affirmé qu’il n’y a « pas d’innocents à Gaza » –, lorsqu’il inscrit dans ses principales missions l’expression d’une « solidarité pleine et entière avec l’État d’Israël » et « défend inconditionnellement l’État juif », le CRIF fait monter l’antisémitisme.
[…] Les propos de Haïm Korsia doivent être sanctionnés. Nous ne le savons que trop bien : rien ne nourrit davantage le ressentiment contre les Juif·ves que le spectacle délétère du deux poids/deux mesures dont bénéficient les soutiens du régime criminel israélien. La fin de l’impunité d’Israël comme de ses soutiens est un impératif de justice absolu, d’abord et avant tout pour les Palestinien·nes, mais aussi pour les Juif·ves du monde entier que ses crimes mettent en danger.
Un grand rabbin ne devrait pas justifier les massacres commis à Gaza
Extraits de la tribune publiée le 10 septembre dans Libération par 16 personnalités juives (soulignons que ce texte avait reçu, 5 jours plus tard, plus de 500 signataires).
« Plus fort que le glaive est mon esprit » : cette inscription gravée sur le fronton de la synagogue de Strasbourg ne semble pas concerner Haïm Korsia, le grand rabbin de France. […] Français juives et juifs, nous ne nous reconnaissons en rien dans sa justification des massacres commis par l’armée israélienne depuis onze mois à Gaza. L’intervention de l’armée israélienne à Gaza a provoqué la mort de plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens, en grande majorité des femmes et des enfants. Elle a organisé la destruction systématique des habitations et des infrastructures, n’épargnant ni les écoles ni les hôpitaux, elle a délibérément conduit à affamer et à priver de soins la population, tout en interdisant l’accès du territoire à la presse. Le grand rabbin fait honte à son titre religieux en témoignant d’un mépris humain et d’une négation de l’autre, propres au racisme et à la mentalité coloniale. […].
L’indispensable lutte contre l’antisémitisme, recrudescent en France et en Europe, ne peut qu’être affaiblie par de telles indignités. En tant que juives et juifs, nous refusons d’être associés à ces propos, comme nous dénonçons les amalgames grossiers entretenus par les instances de représentation du judaïsme en France accusant d’antisémitisme tous ceux qui critiquent la politique du gouvernement israélien. Juives et juifs vivant en France, nous écoutons avec respect et soutenons les courageuses voix juives qui en Israël parlent de paix, condamnent la guerre de Gaza, dénoncent l’occupation, appellent à la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien et à une solution pacifique qui, seule, apportera la dignité et la sécurité aux deux peuples, palestinien et israélien. Nous affirmons en particulier notre solidarité avec B’Tselem (Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les Territoires occupés), Breaking the silence (regroupant des anciens soldats), Standing together (militant pour un avenir commun entre les deux peuples), les Refuzniks (jeunes Israéliens refusant d’aller combattre à Gaza ou dans les Territoires occupés) et toutes celles et ceux qui s’opposent aux actes criminels menés par Netanyahou et ses ministres […].