Mash’a, village situé à 20 km
au sud-est de Qalqilya, avait
été le théâtre de premiers rassemblements
de militants israéliens et
internationaux contre le Mur, mais
l’armée israélienne les avait tous expulsés
à la fin du printemps 2003 ; après
avoir été placés sous couvre-feu, Mash’a
et ses habitants ont perdu 98 % de leurs
terres.
Budrus est un village du district de
Ramallah, situé non loin de la Ligne
Verte. Quand, à la fin 2003, ses habitants
apprennent du personnel de l’OCHA
(Office des Nations unies pour la coordination
des affaires humanitaires), que
le Mur va empiéter largement sur leurs
terres, ils alertent les internationaux et
les Israéliens qui s’étaient mobilisés à
Mash’a. Les manifestations se sont multipliées
au long de 2004 et les bulldozers,
gênés dans leur tâche, ont fini par
se replier sur la Ligne Verte.
- © Sarita Ahooja. CMAQ
- Des activistes israéliens et des internationaux sont enchaînés à un cylindre pour bloquer la route
de Bil’in aux soldats israéliens.
Cette victoire était dans tous les esprits
des habitants de Bil’in, un village situé
12 km au sud-est de Budrus, lorsqu’ils
ont appris, au début de cette année, que
plus de la moitié de leurs terres allaient
être confisquées pour la construction du
Mur et l’extension des trois colonies les
séparant de la Ligne Verte.
La résistance s’organise à Bil’in
Un comité populaire contre le Mur et
l’extension des colonies est constitué, qui
prend aussitôt contact avec les militants
israéliens qui avaient aidé les villageois
de Budrus : Ta’ayoush, la Coalition
des femmes pour la paix, les Anarchistes
contre le Mur, Gush Shalom. L’idée est
arrêtée puis mise en oeuvre dès la mifévrier
2005, d’organiser tous les vendredi,
à 10 heures, une manifestation
pacifique qui partira du village et rejoindra
les champs et les oliveraies confisqués.
Participeront à cette manifestation
le PENGON et les associations
palestiniennes qu’il regroupe, ainsi que
les internationaux se trouvant sur place :
l’ISM, les représentants « EAPPI » du
Conseil Oecuménique des Eglises [1],
sans oublier les militants de la CCIPPP
et de l’AFPS.
La manifestation hebdomadaire, toujours
non-violente, fait parfois preuve
d’une belle créativité. Le 5 août, les
manifestants sont arrivés jusqu’à la barrière de barbelés qui limite le site prévu
pour le Mur, porteurs d’un serpent en tissu
rembourré, de 6 mètres de long, symbole
du Mur qui serpente à l’intérieur des
territoires palestiniens. Les soldats israéliens
les ont reçus à coup de grenades
assourdissantes et de jets de gaz lacrymogène
; ils ont avancé, mais les manifestants
se sont regroupés en joignant
leurs mains et ont réussi à les repousser
derrière les barbelés.
Les manifestations du vendredi rassemblent,
autour des villageois, au minimum
cent personnes auxquelles se joignent
souvent des députés israéliens
palestiniens de la Knesset et des membres
du Conseil Législatif Palestinien. Celles
de la mi-août ont reçu le renfort des
Femmes en Noir venues à Jérusalem
pour leur congrès. Chaque fois y participent
de nouveaux Israéliens ; si c’est,
pour certains, la première fois de leur
vie qu’ils franchissent les quelques kilomètres
qui les séparent de la Cisjordanie,
ce n’est en général pas la dernière.
Des manifestants toujours plus nombreux.
Quand la répression militaire se fait plus
violente, les manifestants viennent en
plus grand nombre le vendredi suivant.
Ainsi en a-t-il été dans les semaines qui
ont suivi le 28 avril. Les militaires avaient
été appuyés ce jour-là par une unité spéciale
du service des prisons qui a fait
usage d’une nouvelle arme : les balles
au sel. Les médias - souvent présents le
vendredi à Bil’in - ont rapporté ce déchaînement
de violence et la Cour Suprême
d’Israël, siégeant en Haute Cour, l’a
même condamné.
- DR
Au lendemain de l’évacuation des colonies
de la bande de Gaza, les autorités
israéliennes ont sans doute jugé le
moment propice pour sévir à Bil’in. Le
vendredi 2 septembre à l’aube, le village
est envahi par un grand nombre
de soldats qui exigent vainement du responsable
du Comité populaire qu’il
n’« invite » plus d’Israéliens. A l’arrivée
de ces derniers, les militaires font
preuve à leur égard d’une violence dont
s’indigne le quotidien Ha’aretz. L’auteur
de l’éditorial du mardi 6 compare « la délicatesse
dont avaient fait preuve l’armée
et la police envers les colons du Gush
Katif et leurs supporters » aux « images
scandaleuses de soldats frappant à coups
de pied et de balles en caoutchouc des
manifestants de gauche ».
Le vendredi 9 septembre, toujours à 5
heures du matin, l’armée et la police des
frontières envahissent Bil’in, décrètent
le couvre-feu et arrêtent huit militants
israéliens venus la veille, comme chaque
semaine, pour préparer la manifestation.
En réaction, beaucoup de villageois bravent
le couvre-feu, sortent de leurs maisons
et protestent en tapant sur des casseroles.
Quant aux militants israéliens,
avertis de ce qui est en train de se passer,
ils viendront rapidement en nombre.
Ils sont 300 qui se répartissent en petits
groupes dont la plupart réussiront à
gagner Bil’in, en partie à pieds en traversant
une colonie orthodoxe, car l’armée
a bloqué toutes les routes menant au village.
Pour échapper aux soldats, un certain
nombre trouvent refuge dans les
maisons, mais vingt-cinq d’entre eux se
font arrêter (dont Latif Dori, vétéran du
Meretz), et Anat Matar, professeure de
philosophie à l’Université de Tel-Aviv).
Une centaine d’entre eux atteindront la
place principale du village où ils seront
rejoints par un groupe d’Israéliens (dont
Uri Avnery et Dorothy Naor de New
Profile), des internationaux et un certain
nombre de villageois ayant bravé le
couvre-feu. Et c’est avec un nombre
beaucoup plus grand de participants que
les autres vendredis que la manifestation
se mettra en branle en direction du site
prévu pour le Mur. Les soldats peu nombreux
sur la barrière de barbelés, essayeront
vainement d’arrêter des Palestiniens.
Et tout le monde regagnera le village
que l’armée évacuera peu après. Les
militants arrêtés seront relâchés le jour
même, à l’exception d’Abdullah Abu
Rahme, membre du Comité populaire.
Christiane Gillmann,
le 10 septembre 2005