Si on interroge un diplomate ou un homme politique européen sur le conflit israelo-palestinien, il sortira à coup sûr la vieille expression de « solution à deux Etats. »
Contacté par mail, un porte-parole de l’Union européenne, qui a refusé d’être interviewé pour cet article a répondu : « L’UE rappelle son engagement à négocier une solution à deux États dans les frontières de 1967 … avec l’État d’Israël et un État de Palestine iNdépendant cohabitant en paix, en sécurité et selon le principe de la reconnaissance mutuelle. » Si on lui avait posé la question il y a vingt ans, la réponse aurait été sensiblement la même.
La politique européenne reste étonnamment statique depuis le début du processus de paix d’Oslo dans les années 90. Pourtant la situation sur le terrain et le contexte diplomatique ont radicalement changé.
Comme l’a encore montré l’élection législative israélienne du 2 mars, la politique d’Israël s’est droitisée depuis l’époque où la solution à deux États semblait encore faisable.
Sous l’administration Trump, les États-Unis, principal soutien d’Israël, n’ont plus peur de bouleverser les normes internationales existantes ; le président Trump s’enorgueillit même d’enfreindre les lois, dont celles qui régissent la politique au Moyen-Orient.
A l’aube d’une 53ème année d’occupation ininterrompue, un nombre croissant de Palestiniens s’interrogent sur la viabilité d’une solution de paix basée sur les frontières de 67.
Ces derniers développements bien considérés, pourquoi l’Union européenne – qui fonde sa politique étrangère sur les droits de l’homme la démocratie et le droit international – échoue à l’adapter à sa gestion du dossier israélo-palestinien ?
« L’UE est encore coincée dans son paradigme de la solution à deux États », selon Miguel Rodriguez Vidosa, un responsable pour le Machrek de du groupement d’ONG EuroMed sur les droits de l’homme dans la région euro-méditerranéenne. Les paramètres de ce paradigme « subordonnent le respect du droit international et des droits de l’homme aux négociations directes, au processus de paix et au bilatéralisme entre les deux parties. »
Cet attachement à une solution à deux États déconnecte la politique européenne des nouvelles réalités politiques qui vont à l’encontre de cet objectif. Depuis 2009, Israël est gouverné par des coalitions d’extrême-droite emmenée par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou, qui fait de l’entrave à la naissance d’un Etat palestinien une des pierres angulaire de sa politique.
Même aujourd’hui, alors que son maintien au pouvoir est remis en question après sa courte victoire au scrutin du 2 mars, son principal rvial Benny Gantz vient de la droite politique plutôt que de la gauche autrefois puissante. Le fait que l’annexion de larges parties de Cisjordanie, une idée marginale en son temps, devienne l’opinion politique majoritaire dans la majorité comme dans l’opposition, démontre une fois de plus cette dérive droitière. La fusion de l’économie israélienne et de ses infrastructures avec les projets de colonisation en cours en Cisjordanie occupée s’est également poursuivie sans relâche.
Pendant ce temps là, les États-Unis « ont déplacé les poteaux des buts hors du terrain » - selon l’expression d’un diplomate européen qui évoque le sujet - alors que l’UE continue de suivre le même script. Même après la reconnaissance unilatérale de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël, de la souveraineté israélienne sur le plateau du Golan et après la suspension des aides financières aux Palestiniens, l’UE a déclaré qu’elle attendrait de voir les termes exacts de l’initiative de paix élaborée par Jared Kushner.
Maintenant que "l’accord du siècle" est connu, l’Union européenne reporte des discussions plus avancées sur une réponse politique de fond au lendemain des législatives israéliennes. Pour l’instant, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, s’est contenté d’exprimer sa préoccupation quant au fait que le plan américain « s’écarte des paramètres convenus au niveau international » sur une solution à deux États.
En privé, un diplomate explique que plusieurs dirigeants européens sont vraiment mécontents du plan de Trump mais qu’ils ne sont pas prêts à exprimer leur désaccord publiquement. Des pays membres s’inquiètent particulièrement des appels à l’annexion immédiate lancés par nombre d’hommes politiques israéliens. Cela explique notamment le ton adopté par Borrell lorsqu’il a déclaré qu’une telle action d’Israël ne resterait pas « incontestée », explique encore le diplomate.
Pourtant, difficile de savoir la forme que prendra cette « contestation ». Pour tous les avertissements répétés de l’UE, Israël n’a cessé de consolider sa souveraineté des deux côtés de la Ligne Verte, en prenant bien soin de confiner les Palestiniens dans des cantons - ou, selon un terme peut-être plus approprié, dans des bantoustans.
Comme le fait remarquer Miguel Rodriguez Vidosa, la fixation au paradigme de la solution à deux États, « a effectivement empêché les Européens de s’attaquer à la situation réelle sur le terrain, caractérisée par l’existence d’un seul État qui pratique la discrimination institutionnelle et par l’annexion de facto du territoire palestinien. »
« Attendre et voir »
Cela semble surprenant que l’UE soit incapable, ou ne veuille pas, adapter sa façon de penser. Elle ne manque pourtant pas de levier, Israël étant son premier partenaire commercial. Si elle choisissait de l’exercer, l’UE dispose d’un pouvoir considérable.
Représentant un tiers du commerce d’Israël, l’UE est un marché d’exportation essentiel pour les produits israéliens ; entre 2011 et 2016, 15 milliards de dollars de marchandises ont été expédiés en Europe. Le continent assure également près de la moitié de toutes les importations en Israël et reste un partenaire important pour la recherche, de nombreuses entreprises israéliennes de haute technologie demandant et recevant des financements pour l’innovation dans le cadre du programme européen Horizon 2020.
Alors que les deux partenaires bénéficient de cette coopération, Israël a pourtant plus à perdre si les relations commerciales avec l’Union européenne se gâtaient. L’appréhension manifestée par le ministère israélien des Affaires étrangères face aux critiques publiques des fonctionnaires de l’UE suggère que les dirigeants israéliens comprennent cette dynamique de pouvoir et s’en méfient, selon le diplomate européen.
En tant que telle, l’intransigeance européenne a moins à voir avec le manque d’options politiques qu’avec les contraintes et les lacunes de son modèle décisionnel fondé sur le consensus. Dans ce cas précis, le système souffre d’un fossé béant entre les États critiques de la politique d’Israël - comme la Suède, l’Espagne et l’Irlande - et ceux qui ne veulent rien dire publiquement - comme l’Allemagne, la République tchèque et la Hongrie.
Plutôt que de prendre des décisions, l’Europe adopte une politique du « attendre et voir » - qui, selon Said Mahmoudi, professeur de droit international à l’université de Stockholm, équivaut à « une soumission totale » aux actions des États-Unis et d’Israël. « Ils espèrent que le temps de Trump sera bientôt passé et qu’ils pourront maintenir le statu quo le temps qu’un président américain modéré arrive au pouvoir ... et que Nétanyahou soit remplacé par un Premier ministre prêt à négocier sur de nouvelles bases. »
Pourtant, cette stratégie a ses limites. D’un côté, cela implique que la situation sur le terrain devienne plus propice à la paix avec le temps, bien qu’on assiste au contraire. De l’autre, plutôt que de s’efforcer à améliorer les circonstances, les décideurs risquent de se retrouver face à des conditions encore moins favorables. « Si Trump est réélu, il faudra repenser la chose », explique un diplomate européen, notamment la question de savoir pourquoi l’Europe continue d’envoyer de l’argent pour la construction d’un État palestinien sans être sûr qu’il voit jamais le jour.
Cela laisse d’autant plus perplexe que plusieurs États de l’UE interviennent activement dans l’arène diplomatique pour maintenir le statu quo, même si cela va à l’encontre de leur objectif déclaré de réaliser un État palestinien. Le mois dernier, l’Autriche, la République tchèque, l’Allemagne et la Hongrie ont présenté à la CPI des arguments sur le fait que l’instance internationale n’avait pas la compétence requise pour statuer sur l’existence de crimes de guerre dans les territoires occupés parce que a Palestine n’est pas un État et que donc, elle ne peut pas reporter sa souveraineté sur le tribunal pour qu’il mène une enquête.
Cette contradiction entre la défense d’un État palestinien et les efforts simultanés pour le couler reste pleine et entière. Toutefois, pour l’instant, les membres de l’UE restent d’accord sur le fait que la poursuite de la solution à deux États est la meilleure des alternatives : ni l’apartheid à un seul État, ni le statu quo ne sont des options intéressantes pour eux.
De plus, et toujours selon ce diplomate européen, de nombreuses personnes en Israël et en Palestine, tout comme le consensus de la communauté internationale, continuent de croire que la solution à deux États reste le meilleur espoir de paix. Il reconnaît néanmoins que « même si ce n’est pas un déni de la réalité, on peut y voir un élément de vœu pieu. »
Il souligne pourtant que le calcul pourrait changer si Israël procédait à l’annexion de grandes zones en Cisjordanie, ou si de nouvelles colonies étaient construites, notamment autour de Jérusalem, ce qui consacrerait le régime juridique discriminatoire à l’égard de millions de Palestiniens.
Traduction AFPS