Leur amalgame s’est
construit de façon mutuelle
et progressive jusqu’au point
où il n’est plus possible de
traiter de l’une sans prendre
l’autre en considération.
Mais jamais encore l’intensité
de l’interrelation et ses
multiples ramifications n’a
été aussi visible que ces derniers
mois. Le report en Janvier
des élections au Conseil
législatif palestinien et les
élections générales anticipées
qui se tiendront en mars 2006 en
Israël ont amené ce mélange des vies
politiques palestinienne et israélienne à
de nouveaux sommets.
Le résultat des élections législatives en
Palestine amènera à un changement de
fond de la nature du système politique
palestinien et la manière dont il opère. Ce
sont ces élections parlementaires, pas
l’élection présidentielle, qui sont la clé
de la transformation démocratique cruciale
dont ce système « patriarcal » a
besoin. La légitimité politique interne
du système provenait de l’autorité qu’avait
la direction charismatique du défunt Yasser
Arafat. Ce contrôle individuel omniprésent
a mené à une absence totale de
séparation des pouvoirs, à une marginalisation
du rôle des institutions et à
une restriction de leur efficacité politique.
Cela a aussi entraîné une diminution
importante de toute participation
politique au processus décisionnel. Toute
l’autorité reposait dans la personne du président.
Tous les aspects du processus
politique palestinien étaient concentrés
entre ses mains et il en usait à volonté.
Il était le système politique palestinien ;
aucune décision n’était prise sans qu’il
le sache, rien n’était réalisé qu’il n’ait
ordonné. Il n’y avait pas de limite à l’étendue
de son pouvoir.
En conséquence les efforts israéliens et
internationaux, se sont centrés, jusqu’au
sommet de Camp David, sur des tentatives
de satisfaire personnellement Yasser
Arafat afin d’atteindre un accord politique
qui réponde aux désirs d’Israël.
Quand le sommet s’est soldé par un
échec, il n’y a plus eu pour ces joueurs
là de système politique palestinien avec
qui traiter tant qu’Arafat resterait sur le
devant de la scène.
Le changement a commencé avec la mort
de Yasser Arafat. Mais l’élection de
Mahmoud Abbas, avec sa personnalité
réservée et les capacités qu’il apportait,
différentes de celles de son prédécesseur,
ne permettait pas à elle seule de
créer le mouvement démocratique vers
un règlement politique. Des élections
législatives étaient nécessaires pour transférer
la légitimité de fondations basées
sur un individu - fondations révolutionnaires,
historiques,
charismatiques,
que Yasser
Arafat représentait-
au niveau légal et institutionnel,
nécessaire
pour renforcer Mahmoud
Abbas.
Cependant, quand ce
dernier a fait part de
son intention d’organiser
des élections,
deux événements
extrêmement importants
et inattendus se
sont produits : des
groupes opposés, et
d’abord le Hamas, ont
annoncé leur intention de se présenter
et le début du changement inévitable à
l’intérieur du Fatah s’est profilé avec un
déplacement de sa direction parlementaire
vers la jeune génération.
Ces deux surprises auront pour conséquence
une transformation radicale du système
politique, de sa manière de fonctionner
et de ses approches politiques.
Le système sera davantage institutionnalisé
et le président n’en sera plus le pivot
principal. Au contraire, ce pivot va se
déplacer vers le Conseil Législatif qui
fonctionnera selon les principes parlementaires
et comprendra une opposition
forte.
Cette transformation démocratique amènera
plus de stabilité interne pour le système
politique palestinien mais aussi un
Conseil législatif qui sera plus dur et
Préparer le terrain pour une
plus vigilant quant au processus de négociation.
En conséquence, aucun accord
politique qui ne respectera pas les droits
des Palestiniens ne sera signé.
Côté israélien pendant ce temps, la démission
du Likoud du Premier ministre israélien
Ariel Sharon et la formation de son
nouveau parti, Kadima, ont secoué le
système politique israélien. La popularité
actuelle de Sharon vient du fait qu’une
majorité d’Israéliens estiment qu’il est
l’homme politique le mieux à même de
s’occuper de sécurité et d’obtenir un
règlement politique qui assurera un maximum
de gains aux Israéliens.
Le résultat des élections palestiniennes,
surtout avec l’entrée du Hamas et de la
jeune génération du Fatah au Conseil
législatif, sera probablement jugé extrême
et indésirable par la majorité des Israéliens
et ce fait, ajouté à la défection de
personnalités telles que Shimon Pérès
qui ont quitté leur parti pour rejoindre
Kadima, entraînera très probablement
une victoire de Sharon. Une telle victoire
le découplera des extrémistes de
droite dont l’influence se trouvera réduite
dans le nouveau système politique israélien.
Cela lui donnera aussi un mandat
général pour avancer dans la voie qu’il
a choisie pour réaliser la vision, partagée
avec Pérès, d’un règlement avec les
Palestiniens qui ne fâchera pas le monde,
en particulier les Etats-unis.
Il faut cependant noter que cette transformation
du système politique israélien
n’est pas basée - comme beaucoup
le pensent - sur un déplacement de Sharon
de la droite vers le centre mais plutôt
sur un déplacement du centre vers
Sharon, dont la place demeure dans le
camp de la droite israélienne.
Sharon a déjà dit qu’il acceptait la vision
de George W.Bush d’un règlement basé
sur le principe de deux Etats, ce qui
implique qu’il ne s’oppose pas à l’établissement
d’un « Etat » palestinien. Mais
depuis lors, il a, de manière unilatérale,
constamment délimité sur le terrain les
frontières de cet « Etat » en fonction des
conditions israéliennes. Celles-ci incluent
l’opposition à la feuille de route, le plan
de paix soutenu par la communauté internationale.
Sharon veut ainsi donner aux Palestiniens
« les miettes d’un Etat », un Etat
sans réelle indépendance et sans souveraineté,
établi sur toute portion de terre
qu’Israël ne pourra pas annexer car trop
densément peuplée de Palestiniens.
L’annexion de ces terres entraînerait un
déséquilibre - dans une perspective
israélienne juive- dans la réalité démographique
et amènerait finalement Israël
à se transformer en état bi-national. C’est
la raison pour laquelle Sharon a mené le
désengagement unilatéral de l’intérieur
de la Bande de Gaza tout en continuant
à construire des colonies en Cisjordanie
et à isoler Jérusalem de son arrière pays,
qu’il poursuit la construction du mur de
séparation et l’instauration de cantons.
Son objectif est de circonscrire les Palestiniens
dans des zones géographiques
éparpillées, les plus petites possible, et
de maintenir la vallée du Jourdain en
une « zone de sécurité »isolée, sous
contrôle israélien. Voilà les caractéristiques
du règlement que Sharon veut
imposer aux Palestiniens et au monde,
en créant des faits sur le terrain. C’est ce
règlement qui constituera sa plateforme
politique après les élections.
Quel sera le résultat politique de ces
(deux) élections ? Y aura-t-il une lueur
d’espoir d’avancée possible ? Ou bien
ces scrutins mèneront-ils à une nouvelle
impasse et à l’impossibilité d’atteindre
un règlement politique acceptable et non
imposé ?
Plutôt que de créer l’espoir d’une avancée,
Sharon va continuer à imposer des
faits sur le terrain sans tenir compte des
Palestiniens. Les élections palestiniennes
se concluront par la réaffirmation de la
position palestinienne : le rejet d’un
« Etat en miettes ». Très vraisemblablement,
la conséquence des élections des
deux côtés sera la possibilité accrue de
confrontation, préparant le terrain à un
troisième soulèvement, une intifada « de
printemps ».