Le droit applicable à la situation en Palestine a été considérablement renforcé par l’avis rendu par la Cour Internationale de Justice le 9 juillet 2004 sur l’illégalité du mur construit par Israël en Palestine. L’une des conséquences les plus importantes sur laquelle l’accent doit être mis sans relâche est dans l’obligation qui pèse sur les États de se mettre en conformité avec le droit international tel qu’il a été déclaré par la Cour. En effet, bien qu’il s’agisse d’un avis qui n’est pas assorti de la force exécutoire propre aux arrêts, il n’empêche que l’autorité de la Cour donne à ses opinions consultatives une valeur déclaratoire telle que personne ensuite ne peut encore discuter comme s’il restait un doute sur le droit en vigueur. Il n’y a plus d’hésitation possible sur le contenu de la norme qui devrait être appliquée.
Dans cet avis bien des choses sont soulignées quant aux obligations des divers sujets de droit pour faire cesser une illégalité constatée et parvenir au but essentiel : la paix.
Nous soulignerons ici un point essentiel : la reconnaissance sans ambiguïté de la qualification de territoire occupé (paragraphe 78) met les États devant les engagements qu’ils ont pris pour protéger les populations exposées à une occupation militaire contre les brutalités, exactions, dénis de droits auxquels peut conduire la présence d’une armée étrangère. On sait que pour tenter d’échapper aux obligations qui pèsent sur la puissance occupante, Israël, soumis au droit humanitaire par ses propres engagements ou en vertu du droit coutumier, a depuis les origines du conflit refusé à la Palestine la qualification de territoire occupé. Se référant aux grands principes du droit international s’opposant à l’acquisition de territoires par la force, la Cour ramène dans le champ du droit humanitaire en cas de conflit armé la situation existant en Palestine. Dès lors, tout le droit construit au fil des décennies trouve ici à s’appliquer, notamment les principes formulés à La Haye en 1907 et tout le droit des Conventions de Genève.
La Cour détaille la longue série de violations de ces dispositions qui provient de la construction du mur (par. 120 et suivants) : violation de l’interdiction de tout transfert de parties de la population de la puissance occupante dans le territoire occupé dans la mesure où le mur vise à la protection, et à terme sans doute incorporation au territoire d’Israël, des colonies de peuplement ; non-respect de l’obligation d’assurer l’ordre et la vie publics ; entraves aux droits des travailleurs, à la liberté de circulation, au respect des biens mobiliers et immobilier. Dès lors : « La construction d’un tel mur constitue...une violation par Israël de diverses obligations qui lui incombent en vertu des instruments applicables de droit international humanitaire » (§ 137).
Ces constatations ne sont pas des formules rhétoriques. La Cour affirme qu’elles entraînent des obligations directes pour les États (§ 158), celles de faire appliquer le droit humanitaire. Et bien que la Cour ne détaille pas les modalités à suivre par les États pour parvenir à cet objectif, le renvoi très ferme aux Conventions de Genève conduit à puiser dans celles-ci la marche à suivre. On y trouve alors l’engagement pris à travers l’article 146 de la IV e Convention de Genève de rechercher et poursuivre « les personnes prévenues d’avoir commis ou d’avoir ordonné de commettre l’une ou l’autre des infractions graves » à la Convention. Nous sommes là devant un engagement conventionnel précis fondant ce que l’on nomme la compétence universelle.
Quel en est le principe fondamental ? L’idée est que les auteurs des violations du droit peuvent bénéficier de la complaisance de la justice de leur pays ou, si ce n’est pas le cas, peuvent tenter d’échapper à la répression en fuyant le territoire sur le territoire duquel ils ont commis leurs actes. Les États étant démunis de moyens de rechercher les coupables ailleurs que sur leur propre territoire, il n’y a de possibilité de lutter efficacement contre l’impunité que si les attitudes de tous les États sont convergentes. Si tous respectent l’article 146, les coupables n’ont aucune chance de rester impunis. Mais l’on sait que ce dispositif est pour le moment infructueux. Cela tient à diverses raisons. Indépendamment des raisons politiques qui sont certainement les plus importantes et qu’il convient de dénoncer, il y a des raisons pratiques. Si un suspect de violations du droit humanitaire se trouve un jour sur un territoire qui n’est pas le lieu de ses actes, les juridictions nationales doivent le poursuivre, mais elles auront des difficultés à mener des investigations sur des actes illégaux commis sur un autre territoire où elles ne pourront pas enquêter directement. Les magistrats sont alors limités dans leurs possibilités. De ce fait, les victimes hésitent à saisir les juridictions étrangères. Celles-ci demeurent dans leur frilosité et les coupables se sentent en sécurité.
Non seulement l’avis de la Cour est un rappel de l’engagement universel des États au respect du droit humanitaire, mais la Cour rend les choses plus faciles du point de vue des procédures nationales prévues en application de ce droit dans la mesure où tout le travail de preuve et de démonstration juridique est fourni dans l’avis sous la caution de la Cour. Le chemin de la compétence universelle comme voie d’application du droit humanitaire de Genève longtemps obstrué, est aujourd’hui, de ce fait, en partie dégagé.
Si un responsable israélien de la décision relative au mur ou de son exécution se trouve sur le territoire d’un État tiers et si une plainte est déposée contre cette personne devant les tribunaux de cet État, ceux-ci disposent avec l’avis du 9 juillet 2004 de tous les éléments de base du dossier. Ils y trouveront les références aux éléments qui ont permis à la Cour de conclure comme elle l’a fait. Ils y trouveront le détail des violations précises auxquelles conduit l’édification du mur. L’absence de mesures contre les coupables sera beaucoup plus difficile à justifier.
Le devoir des États ayant adhéré aux Conventions de Genève est donc désormais d’adapter leur législation, pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, aux engagements pris. Le devoir des magistrats est de prendre connaissance de l’avis dans tout son contenu. La possibilité ouverte aux victimes est de saisir les juridictions de tout État sur le territoire duquel se trouverait l’un ou l’autre des responsables de la construction du mur. Ainsi sera grandement facilitée la répression indispensable des responsables de cette action illégale et respecté l’énoncé de la Cour selon lequel : « (...) tous les États parties (...) ont l’obligation (...) de faire respecter par Israël le droit international humanitaire incorporé dans cette convention » . (§ 159).
Monique Chemillier-Gendreau [1]