Photo : Yahya Sinwar en 2011. Source : Wikipédia.
Yahya Sinwar, l’homme le plus recherché par Israël et dont on pense qu’il se trouve dans des tunnels situés dans les profondeurs de la bande de Gaza, est le nouveau chef politique du Hamas.
L’assassinat de son prédécesseur, Ismail Haniyeh, à Téhéran la semaine dernière, a laissé le mouvement palestinien face à une décision de leadership qui définirait son orientation et ses perspectives.
La hiérarchie interne a pris cette décision en l’espace de quelques jours.
La promotion interne de Sinwar, qui dirigeait le Hamas à Gaza, se voulait un "message puissant" selon l’universitaire Khaled Hroub.
C’est un message "qui montre que le mouvement ne cède pas à la pression et qu’il n’est pas d’humeur à compromettre ses positions et son adhésion déclarée à la résistance" a déclaré Hroub, auteur de "Hamas : A Beginner’s Guide", à Middle East Eye.
"Si Israël, les États-Unis et leurs alliés dans la région et au-delà espéraient pouvoir soumettre le Hamas par la force, la réponse du mouvement est une ligne politique plus radicale."
Sinwar est généralement considéré comme l’architecte de l’attaque surprise contre le sud d’Israël le 7 octobre, au cours de laquelle des combattants palestiniens ont tué environ 1 200 Israéliens et en ont capturé plus de 250 autres.
Depuis lors, Israël a tué plus de 39 000 Palestiniens à Gaza.
Leila Seurat, auteur de "The Foreign Policy of Hamas", a déclaré que la nomination de Sinwar était motivée à la fois par une stratégie interne et par le désir d’envoyer un signal à Israël.
Le Hamas a dit à Israël : "Vous avez commencé une guerre d’extermination, alors nous allons choisir celui qui a commencé le déluge d’Al-Aqsa" a-t-elle déclaré à MEE, faisant référence au nom donné par le Hamas à l’attaque du 7 octobre.
Traditionnellement, il existe trois grandes bases de pouvoir au sein du Hamas : une basée en dehors de la Palestine, une en Cisjordanie occupée et une à Gaza.
Il est donc probable que le nouveau chef ait été choisi parmi ces trois hommes : Khaled Meshaal, l’ancien chef du bureau politique du Hamas basé à Doha, Zaher Jabareen, chef adjoint en charge du mouvement en Cisjordanie occupée, ou Sinwar, qui dirige le Hamas à Gaza depuis 2017.
Bassem Naim, un responsable du Hamas et ancien ministre de la Santé de Gaza, a déclaré à MEE que Sinwar est le successeur de Haniyeh "selon les règlements internes du Hamas ".
Naim a déclaré qu’après l’assassinat de Haniyeh, le groupe signalait qu’il "allait dans la même direction, s’engageait sur la même voie" qu’auparavant, y compris dans son engagement en faveur du déluge d’Al-Aqsa.
C’est Gaza qui tire les ficelles
Azzam Tamimi, militant et auteur de deux livres sur le Hamas, a déclaré à MEE que la promotion de Sinwar montrait que "Gaza est aujourd’hui celle qui mène la danse".
"Il est intéressant de savoir que Khaled Meshal, qui était le favori aux yeux de beaucoup de gens, est celui qui a insisté sur la nomination de Sinwar " a-t-il déclaré.
Sinwar, né dans le camp de réfugiés de Khan Younis, dans le sud de Gaza, était proche du fondateur du Hamas, Ahmed Yassin, et a fondé les organes de sécurité interne du groupe.
Il a été emprisonné pendant 23 ans par Israël pour son rôle présumé dans l’assassinat de Palestiniens soupçonnés de collaborer avec l’armée israélienne.
On pense que Sinwar est devenu un membre important du premier appareil de sécurité du Hamas, le Majd, en chassant et en éliminant les collaborateurs d’Israël.
Pendant son séjour derrière les barreaux, Sinwar a lu des journaux israéliens et a appris l’hébreu, ce qui, selon lui, l’a aidé à mieux comprendre son ennemi.
En 2011, il a été l’un des principaux prisonniers libérés avec 1 047 autres Palestiniens en échange du soldat israélien Gilad Shalit, enlevé par des combattants de Gaza lors d’un raid transfrontalier en 2006.
Au cours des dix dernières années, Sinwar a accru son influence à Gaza, en particulier dans les affaires militaires.
"En choisissant un homme dans la bande de Gaza assiégée et dévastée, le Hamas fait une déclaration forte de défi et de fermeté qu’il restera dans la bande de Gaza et en Palestine - une force primaire qui ne peut pas être ignorée" a déclaré Hroub.
Un représentant du Hamas, Naim, a déclaré qu’il était "très symbolique que la direction se trouve à Gaza, là où se déroule la bataille".
"Il s’agit d’un engagement plus fort de la part de l’ensemble de la direction pour soutenir cette bataille depuis le 7 octobre jusqu’à aujourd’hui."
Selon Hroub, Sinwar, en tant que chef politique du Hamas, comble le fossé apparent entre les dirigeants à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine.
Les décisions militaires du Hamas à Gaza ont été pendant un certain temps entre les mains de Sinwar et de son cercle, tandis que la direction extérieure s’occupait de la diplomatie.
Bien que cette division du travail ait fonctionné dans l’ensemble, elle a créé "des lacunes et des impressions de différences entre les camps "modérés" et "radicaux"" selon Hroub.
"En réunissant la direction militaire et politique autour d’un seul homme, aussi puissant que Sinwar, le Hamas envoie un message d’unité et de résilience" a ajouté Hroub.
Pour Seurat, la promotion interne de Sinwar était la manifestation d’une réalité qui existait déjà depuis des années.
"Même avant le 7 octobre, Sinwar était l’homme de la situation. Pas seulement à Gaza, mais aussi le principal décideur au sein du Hamas" a-t-elle déclaré.
"Les dirigeants extérieurs ont été marginalisés pendant un certain temps. Les dirigeants de Gaza ont repris le pouvoir de décision au sein du Hamas il y a dix ans" a-t-elle ajouté.
"Cette décision de faire de lui le chef politique est la continuation d’un processus qui se déroule depuis 2013, lorsque Sinwar a été nommé au politburo pour la première fois."
Le fonctionnement quotidien du Hamas ne changera pas, a déclaré Naim.
"Chaque dirigeant connaît exactement ses devoirs et ses tâches, et tout continuera comme avant."
L’Iran, le Qatar et l’Autorité palestinienne gardent un œil attentif
La promotion de Sinwar a également été une décision fortement influencée par les affaires du Hamas avec d’autres acteurs, à l’étranger et à l’intérieur de la Palestine.
Tamimi a déclaré que sa nomination plairait à l’Iran, ce qui n’est pas pour déplaire au Hamas, car les "soi-disant régimes arabes sunnites" continuent d’être hostiles au mouvement.
"Malgré les défaillances de la sécurité iranienne qui ont conduit à l’assassinat de Haniyeh, l’Iran est considéré comme l’un des rares alliés que le Hamas continue d’avoir dans la région aujourd’hui" a déclaré Tamimi.
"Toutes les tentatives de Meshal au cours des dernières années pour convaincre les Saoudiens et les Émirats Arabes Unis de mettre fin à leur hostilité envers le mouvement n’ont pas abouti" a-t-il ajouté, notant que de telles considérations ont probablement découragé Meshal de briguer le rôle principal.
Selon Seurat, Meshal n’entretenait pas de bonnes relations avec l’Iran, ce qui aurait été un facteur important dans le choix de M. Sinwar.
Sous la direction politique de Meshal, le Hamas a pris ses distances avec le gouvernement de Bachar el-Assad en Syrie après le déclenchement de la guerre civile. L’Iran, allié clé et soutien d’Assad, ne l’a pas oublié.
Le Qatar sera lui aussi affecté par la nouvelle orientation du Hamas.
Depuis l’assassinat de Haniyeh, Doha n’accueille plus le chef d’un mouvement classé comme organisation terroriste par une grande partie du monde occidental.
"Le fait de faire passer l’équilibre des forces au profit de la direction interne atténuera certainement la pression exercée par le Qatar et les autres pays qui hébergent le Hamas, en totalité ou en partie" a déclaré Hroub.
"Lors des négociations, ces pays d’accueil auront moins de moyens de pression sur le Hamas pour l’amener à accepter ce qu’il n’accepterait pas autrement."
Le Fatah, rival politique acharné du Hamas en Palestine, gardera également un œil attentif sur la situation.
M. Sinwar entretient des relations étroites avec divers groupes palestiniens.
Il a dirigé les pourparlers de réconciliation du Hamas avec le Fatah et l’Autorité palestinienne (AP) en 2017, sous la supervision de l’Égypte, avec laquelle il entretient des relations étroites en matière de sécurité.
"C’est un fervent défenseur de l’unité palestinienne", a déclaré Naim. "Nous devons attendre plus de détails de sa part, mais je suis sûr qu’il soutient tous les efforts en faveur de l’unité palestinienne et de la fin de la division."
En 2021, M. Sinwar a soutenu un accord avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, visant à organiser des élections palestiniennes. M. Abbas a finalement renoncé à organiser ces élections, invoquant les restrictions israéliennes concernant le vote à Jérusalem-Est.
"On a l’impression que Haniyeh était plus pragmatique, plus ouvert et plus conciliant. Mais je ne pense pas que ce soit vrai" a déclaré à MEE Sami Al-Arian, universitaire et militant des droits humains.
Sinwar "était prêt à faire n’importe quel compromis à condition qu’il y ait un terrain d’entente" a-t-il déclaré.
Al-Arian a ajouté que le point d’achoppement des négociations sur l’unité palestinienne n’était pas les personnalités, mais plutôt le programme politique du Fatah et le rejet par Abbas de "toute forme de résistance" à Israël et à son occupation.
En ce qui concerne les pourparlers sur le cessez-le-feu à Gaza avec Israël, Tamimi estime qu’un changement de direction au sein du Hamas n’est pas le facteur décisif.
"C’est Netanyahou qui a constamment torpillé les pourparlers sur le cessez-le-feu" a-t-il déclaré. "C’est lui qui tient à ce que la guerre continue de faire rage, car il n’est pas dans son intérêt d’y mettre fin."
Naim a déclaré que le premier ministre israélien utilisait les longues négociations sur le cessez-le-feu pour couvrir son "intention d’élargir cette guerre à une guerre régionale".
"Nous attendons que les Israéliens et les médiateurs, principalement les Américains, acceptent clairement - sans réticence ni hésitation - l’accord de cessez-le-feu sur lequel nous nous sommes mis d’accord."
Traduction : AFPS