Photo : Des Palestiniens protestent sur des terres entre Rafat et Qalandia près de Ramallah, 20 janvier 2023 © Activestills / Oren Ziv
La semaine dernière, le premier ministre de l’Autorité palestinienne, Muhammad Mustafa, a annoncé que le ministère israélien des finances avait débloqué une partie de l’argent des douanes qu’il avait retenu aux Palestiniens pendant des mois sur ordre de son ministre des finances intransigeant, Bezalel Smotrich.
Le montant transféré s’élèverait à 260 millions de dollars, soit l’équivalent des droits de douane palestiniens qu’Israël a perçus au nom de l’Autorité palestinienne pour les mois d’avril, de mai et de juin. Mais même ce montant comprenait une déduction importante : la part de la bande de Gaza dans les recettes douanières, l’aide sociale réservée aux familles des martyrs et des prisonniers politiques, et les dettes de l’Autorité palestinienne à l’égard d’Israël. Entre-temps, la Banque mondiale a décidé d’augmenter considérablement son aide annuelle à l’Autorité palestinienne, la faisant passer de 70 à 300 millions de dollars, selon une annonce faite par le Premier ministre Mustafa la semaine dernière.
La raison de cet afflux soudain d’argent et de l’annulation des mesures punitives du ministère israélien des finances à l’encontre de l’Autorité palestinienne est claire pour la plupart des observateurs : l’Autorité palestinienne est au bord de l’effondrement économique. Si cela se produit, il est probable que cela déclenchera également l’effondrement de l’Autorité palestinienne (AP) en tant qu’autorité gouvernementale.
Les attentes d’un tel scénario ont été de plus en plus exprimées ces derniers mois, y compris par la Banque mondiale, alors que la crise économique en cours en Cisjordanie a été accentuée par les sanctions économiques imposées par Israël à l’AP depuis le 7 octobre. M. Smotrich, un faucon favorable à la colonisation, considère l’AP comme un obstacle à l’objectif israélien ultime d’expansion des colonies dans toute la Cisjordanie, en dépit de la coordination de la sécurité de l’AP avec Israël.
Le ministre des finances de droite a néanmoins accepté d’assouplir certaines sanctions. Selon une source diplomatique occidentale anonyme citée par al-Araby al-Jadeed, la raison pour laquelle il a agi ainsi est que le transfert faisait partie d’un accord entre les États-Unis et Israël. Israël débloquerait les fonds douaniers retenus et, en échange, les États-Unis permettraient à Israël de "légaliser" quatre avant-postes de colonies israéliennes dans le nord de la Cisjordanie (notamment, Israël a déjà entamé ce processus de légalisation il y a un an sous le gouvernement de droite de M. Netanyahu). En outre, la semaine dernière, Israël a annoncé la plus importante saisie de terres palestiniennes depuis plus de 30 ans, en s’emparant de 1 269 hectares de terres dans la région de la vallée du Jourdain.
Pourtant, même le relâchement partiel des restrictions sur l’argent des douanes retenu pour l’Autorité palestinienne n’est pas près de résoudre la crise économique de l’Autorité palestinienne. Les sanctions économiques d’Israël ont contraint des centaines de milliers d’employés du secteur public palestinien à survivre avec des salaires faibles ou nuls pendant des mois, tandis qu’Israël maintient sa révocation des permis de travail pour les quelque 100 000 ouvriers palestiniens qui travaillaient en Israël et dans les colonies israéliennes avant le 7 octobre.
Ces mesures ont paralysé les flux financiers en Cisjordanie, entraînant une inflation des prix et plongeant des centaines de milliers de familles dans la pauvreté.
La crise économique est également aggravée par la profonde instabilité politique provoquée par l’incapacité de l’Autorité palestinienne à protéger les Palestiniens des violents raids israéliens, des campagnes d’arrestation quotidiennes et des missions d’assassinat dans les centres de population palestiniens. De nombreux observateurs voient l’écriture sur le mur et concluent qu’un effondrement économique ou une explosion politique sont susceptibles de secouer la Cisjordanie.
Ce que Smotrich veut vraiment
"Les Palestiniens de Cisjordanie attendent le strict minimum de l’Autorité palestinienne, à savoir qu’elle soit en mesure de verser des salaires réguliers et de faire régner l’ordre public", explique Zayne Abudaka, économiste, activiste et entrepreneur palestinien, à Mondoweiss. "Mais le fait que l’AP dépende tellement d’un revenu qui peut être retenu par Israël la rend incapable de faire le minimum qu’on attend d’elle. Cela accroît la pression sociale dans les rues."
"À long terme, la situation deviendra incontrôlable, mais je ne crois pas qu’Israël ou les États-Unis laisseront tomber l’Autorité palestinienne", affirme M. Abudaka. "L’AP est un élément important du système économique qui permet de faire des affaires en Cisjordanie et de maintenir le contrôle de la sécurité, et même Smotrich, qui retient l’argent des douanes, le sait."
Smotrich n’est pas seulement le ministre des finances. Il détient également des pouvoirs sur les Palestiniens grâce au contrôle qu’il exerce sur l’administration civile, l’organe israélien qui gouverne la majeure partie de la Cisjordanie. Son intention est de voir la chute de l’AP et de placer l’ensemble de la Cisjordanie sous l’autorité israélienne. En avril, M. Smotrich a appelé au renversement de l’Autorité palestinienne, la qualifiant de "danger direct pour l’État d’Israël". Depuis lors, une fuite d’un plan lié au ministre révèle qu’il a l’intention d’annexer plus de 60 % de la Cisjordanie - les terres connues sous le nom de zone C dans le cadre des accords d’Oslo - à l’État d’Israël proprement dit.
Mais Abudaka estime qu’une grande partie de la rhétorique de Smotrich n’est que de l’esbroufe. "Smotrich peut faire de grandes déclarations sur l’effondrement de l’Autorité palestinienne, mais lorsqu’il débloque une partie de l’argent de l’Autorité palestinienne et obtient l’approbation des États-Unis pour légaliser quatre ou cinq avant-postes en Cisjordanie en échange, cela montre que c’est exactement ce qu’il recherchait depuis le début", explique Abudaka à Mondoweiss. "Dans le même temps, 20 % des Palestiniens qui travaillaient en Israël avant la guerre ont déclaré qu’ils continuaient à travailler sur leur ancien lieu de travail parce qu’Israël a besoin de la main-d’œuvre palestinienne pour faire tourner l’économie israélienne."
Dans le même temps, Abudaka estime que l’étranglement économique de la Cisjordanie crée une pression sociale et politique sur l’Autorité palestinienne. "Une telle situation peut pousser l’Autorité palestinienne à bout", ajoute-t-il.
Pourtant, la crise sur le terrain ne cesse de s’aggraver. Selon un sondage réalisé en avril et mai par un groupe de réflexion palestinien indépendant, 47 % des Palestiniens de Cisjordanie ont déclaré que leur famille avait été considérablement affectée par la situation économique, et 65 % ont dit qu’ils en avaient ressenti l’impact dans la hausse des prix des denrées alimentaires.
Selon Eid Abu Munshar, coordinateur de Shabab al-Kheir, une initiative bénévole qui distribue des colis alimentaires et des repas chauds aux familles dans le besoin à Hébron, "le nombre de familles dans le besoin dans la ville est passé de 120 avant la guerre à plus de 500 en juillet".
"Pendant la fête de l’Aïd al-Adha, à la mi-juin, nous n’avons pas été en mesure de répondre à toutes les demandes d’aide avec des colis alimentaires", explique Abu Munshar à Mondoweiss. "Nous avons pu distribuer moins de 100 colis alimentaires sur les plus de 500 que nous avions prévus, en raison d’une forte baisse des dons."
"Nous dépendons entièrement des dons locaux de la communauté", précise-t-il. "Et beaucoup de nos donateurs sont eux-mêmes devenus des familles nécessiteuses qui ont besoin d’aide, en particulier les employés et les travailleurs [du gouvernement]."
Tout cela a entraîné une baisse considérable des dépenses en Cisjordanie, ce qui a fait souffrir les entreprises. Abu Munshar confirme que les commerçants locaux d’Hébron "se sont battus pour maintenir leur activité".
"L’un des cas est celui d’une famille de sept enfants dont le père était un travailleur expérimenté en Israël qui gagnait suffisamment pour faire un don à notre initiative", poursuit-il. "Il n’a pas travaillé un seul jour en Israël depuis le début de la guerre, et les revenus de la famille ont tellement chuté qu’elle a du mal à se procurer de la nourriture et à payer les dépenses de base."
"Un autre cas est celui d’une famille dont le soutien de famille est un employé du gouvernement. Il n’a pas été payé régulièrement depuis des mois, et maintenant il ne peut même plus chercher de petits boulots parce qu’il a été arrêté par les forces d’occupation, laissant sa famille sans revenu", ajoute-t-il
Même les employés des forces de sécurité de l’Autorité palestinienne n’ont pas été épargnés par la crise économique. Mondoweiss s’est entretenu avec un employé des forces de sécurité à Ramallah, qui a demandé à ne pas être nommé. "Cela fait des mois que je dépend de petits boulots", explique-t-il. "Et nous comptons davantage sur les revenus de ma femme maintenant, car elle est employée dans le secteur privé."
"La seule fois depuis un an et demi où j’ai reçu un salaire complet, c’était en mars 2023, et le reste des mois, je reçois un paiement de 50 % ou 60 %, et parfois 80 %", poursuit-il. "Il y a toujours une phrase sur mon bulletin de salaire qui dit que le gouvernement me doit le reste de l’argent, qui sera payé quand les fonds seront disponibles. La seule chose qui fait taire les employés, c’est cette phrase sur nos fiches de paie".
Sauver le statu quo
Selon Abudaka, "les salaires de l’AP représentent environ 30 % du total des salaires de Cisjordanie, tandis que les travailleurs en Israël génèrent environ 40 % du total des salaires de Cisjordanie, ce qui fait de ces deux secteurs l’épine dorsale de l’économie de la Cisjordanie".
Cela fait de ces deux secteurs l’épine dorsale de l’économie cisjordanienne. "Toute crise de leurs revenus se transforme donc en une crise générale du reste de l’économie", explique-t-il.
"La raison en est l’attachement à l’économie israélienne. Il s’agit d’une relation à sens unique : la Cisjordanie est un marché libre pour la production israélienne, et le développement de tout secteur productif palestinien est très limité par les accords économiques que l’Autorité palestinienne a signés avec Israël [dans les années 1990], principalement le protocole économique de Paris", ajoute M. Abudaka.
L’Autorité palestinienne elle-même tire entre 50 et 60 % de son budget de la taxation de la consommation par le biais d’une TVA de 16 %, plutôt que de l’imposition des revenus, explique M. Abudaka, ce qui est le résultat de la nature du système politique. "Pour taxer les revenus et créer une certaine forme d’équité, il faudrait une situation politique où le contrôle et la responsabilité seraient effectifs, ce qui nécessiterait un certain niveau de participation des citoyens", explique-t-il. "Et pour cela, il faut un parlement qui fonctionne et des élections.
M. Abudaka estime que même dans le cadre des paramètres restrictifs des protocoles de Paris, l’Autorité palestinienne aurait pu investir dans des secteurs plus productifs. "Mais elle a choisi la voie de la facilité et s’est ralliée au statu quo politique, qui consiste à s’appuyer sur une économie de consommation", déclare-t-il.
"La solution à ce problème économique et social n’est pas économique, mais politique : il s’agit de mettre fin à l’occupation", explique M. Abudaka. "En ouvrant l’espace à la participation des citoyens aux décisions économiques, ou peut-être en organisant des élections, une partie de la pression sociale pourrait se dissiper."
Mais Abudaka estime qu’il n’est plus temps de procéder à des changements structurels systémiques au sein de l’Autorité palestinienne. "Les changements structurels auraient dû être effectués en période de stabilité", explique-t-il. "Mais aujourd’hui, la seule chose à faire est de renforcer le système pour qu’il puisse survivre à un éventuel bouleversement social."
Le génocide israélien à Gaza se poursuit sans relâche, sans aucune vision de la fin de la guerre, générant une crise politique en Israël qui fournit à Smotrich la couverture dont il a besoin pour dévorer le reste de la Cisjordanie. Les États-Unis donnent à Smotrich ce qu’il veut en échange d’une restauration éphémère du statu quo économique ante, et la Banque mondiale peut se précipiter pour soutenir davantage le secteur financier en Cisjordanie. Mais tout cela n’est guère plus qu’une piqûre de morphine, permettant à l’Autorité palestinienne un répit temporaire avant un effondrement potentiel.
Traduction : AFPS