Saleh Abdel Jawad, historien et professeur
de sciences politiques à
l’université de Bir Zeit « [1], examine
les raisons qui ont conduit à la militarisation
de l’Intifada en 2000, contrastant avec
celle de 1987, caractérisée par des formes
de protestation non-violente. Il ne revient
pas ici sur les considérations politiques
et humaines de son objection personnelle
à la militarisation du mouvement, qu’il a
du reste explicitées depuis plusieurs années.
Selon le chercheur, les causes de cette
militarisation résultent de l’interaction de
plusieurs facteurs. Il en identifie quatre :
les plans des décideurs politiques israéliens,
la situation de l’Autorité palestinienne au
moment du déclenchement du soulèvement,
le désir du Hamas et d’éléments au
sein du Fatah de changer l’équation politique
au nom des intérêts nationaux et
pour modifier l’équilibre politique en leur
faveur, et la carte géo-politique d’Oslo, qui
a rendu difficile la mobilisation populaire
telle qu’elle avait eu lieu durant la première
Intifada.
Il revient donc sur les politiques israéliennes
et sur le rôle de l’armée, notamment
depuis l’arrivée au pouvoir de Benyamin
Netanyahu, en 1996. Notamment
avec les événements de septembre 1996,
autour du projet de tunnel sous l’esplanade
des mosquées, à Jérusalem. La protestation
palestinienne et la répression
immédiate s’étaient soldées par la mort
de 90 Palestiniens et de 19 soldats israéliens.
La réaction palestinienne, y compris
de membres de l’Autorité nationale, correspondait
au degré de frustration d’une
population déçue d’un processus politique
alors à l’agonie. Les affrontements cependant
ont surpris la direction militaire israélienne.
Et l’armée s’est préparée à une
confrontation jugée inévitable. Avec deux
éléments : une part croissante d’éléments
extrémistes en son sein, depuis la fin des
années 70 et l’arrivée de Netanyahu aux
commandes, sur le programme du Likoud,
rejetant le retour de l’OLP en Cisjordanie
et dans la bande de Gaza, et la légitimité
de l’ANP.
Au début de la première Intifada, souligne
Saleh Abdel Jawad, certains cadres
de l’armée souhaitaient déjà l’étouffer
très rapidement dans l’oeuf, se fondant
sur l’expérience des victoires israéliennes
rapides sur les armées arabes, permises
par la supériorité militaire.
Avec les événements de 1996, l’armée
constate que les Palestiniens n’accepteront
pas la politique israélienne, en particulier
concernant les colonies et les dossiers
des négociations finales. Elle en
conclut à l’inévitable confrontation, ajournée
d’un côté par l’adaptabilité de Yasser
Arafat et de l’autre par le souhait israélien
de ne pas heurter de front l’administration
Clinton. Pour l’armée, le pire scénario
serait une nouvelle Intifada populaire,
du même type que la première. Il s’agit
donc d’empêcher l’émergence d’un mouvement
durable de désobéissance civile qui
empêcherait l’usage sans restriction de la
force répressive.
Il ne s’agit plus alors que de présenter les
Palestiniens comme des opposants à tout
accord de paix raisonnable et historique,
pour les isoler sur la scène internationale
et cimenter un consensus dans la société
israélienne. Un plan qui a l’agrément
d’Ehud Barak. L’échec de la négociation
de Camp David, le soutien américain à la
présentation officielle israélienne, le déficit
de présentation d’une autre version par
les Palestiniens, ont permis l’offensive
politique contre la partie palestinienne.
Avant l’assaut, présenté comme une
confrontation entre deux forces armées,
avec le déploiement de ce que le chercheur
qualifie de longue date de « sociocide ».
L’entraînement de l’armée à un tel scénario,
dès avant la deuxième Intifada, aurait
coûté, selon Shaul Mofaz, quelque 120
millions.
L’Autorité palestinienne et les islamistes
A la veille de l’Intifada, la popularité de
l’Autorité nationale souffre de l’absence
de perspective politique et de sa médiocre
performance dans la lutte contre la corruption.
Le nombre de colonies augmente.
Et le chômage aussi. L’Autorité accepte,
estime le chercheur, le recours, limité, à la
confrontation violente. Lequel, à l’image
de l’après 1996, doit peser sur la négociation.
La violence de la répression dès les premiers
jours du soulèvement intervient en
pleine impasse politique, et quelques mois
à peine après le départ des forces israéliennes
du sud-Liban fêté par la résistance.
Ce qui nourrit l’idée de militarisation.
L’agenda des forces islamistes diffère de
celui de l’ANP, et est plus compatible
avec l’agenda israélien pour l’arrêt du
processus d’Oslo. Ni le Fatah ni l’ANP ne
sont parvenus à les contenir. La création
des brigades des martyrs al-Aqsa a été
une réponse tactique.
Mais par ailleurs, tandis que les accords
d’Oslo avaient permis le retrait de l’armée
israélienne de plusieurs villes, le processus
s’est accompagné d’un maillage du
territoire par un important réseau de routes
réservées aux colons. Rendant plus difficile
une confrontation de même nature
que celle de la première Intifada. Les premiers
mouvements ont eu lieu à l’entrée
des villes. Avec une possibilité de tirs de
100 à 150 mètres pour les snipers israéliens,
provoquant des pertes énormes parmi
les manifestants, civils et non armés, en
manque de protection. Incitant les Palestiniens
à se tourner vers la lutte armée.
Traduction et synthèse par Isabelle Avran.