PLP : De quelle manière le FPLP se situet-il face au nouveau gouvernement ?
Rabah Mhanna : Nous avons refusé
d’y participer, non que nous ayons
des divergences indépassables avec
le Hamas ; celles-ci sont réelles,
notamment sur la nature du conflit
qui nous oppose à Israël et la façon
dont nous percevons l’avenir, sur la
manière de résister, le projet de
société, la question religieuse, la place
et le rôle des femmes, la conception
de la démocratie et de la justice
sociale..., mais elles ne sont pas ce
qui fait rupture. Ce qui est pour nous
inacceptable, c’est le refus du Hamas
de reconnaître l’OLP comme seule
représentante légitime du peuple
palestinien ; sur ce point, nous ne
pouvons transiger. Pour le reste,
jamais le Front populaire ne jouera le
jeu auquel certains se livrent actuellement
pour empêcher le Premier
ministre de remplir la tâche qui est
la sienne. Le nouveau gouvernement
palestinien est légitime. Et, de même
que nous nous sommes opposés aux
pressions qui lui ont été faites de
changer son agenda, nous continuerons
à les combattre dans les
semaines et les mois qui viennent.
Si incompatibilités politiques il y a
entre nous, elles ne justifient pas que
nous transigions sur les principes
démocratiques pour lesquels nous
nous sommes toujours battus. Le
résultat des élections qui se sont
tenues en janvier en Cisjordanie et à
Gaza doit être respecté et le nouveau
gouvernement doit pouvoir
travailler.
PLP : Que signifie être marxiste, aujourd’hui, en Palestine ?
R. M. : Etre marxiste, être de gauche
aujourd’hui en Palestine, c’est se rattacher à cette tradition de luttes sociales et politiques que l’on retrouve partout
dans le monde et dont les victoires
récentes en Amérique latine nous rappellent
toute l’actualité. C’est affirmer
l’importance de la démocratie et de la justice
sociale, le droit à l’indépendance et
à l’autodétermination des peuples, le
droit au retour de tous les réfugiés. C’est
analyser aussi ce qui se passe aujourd’hui
au Proche-Orient, non comme un conflit
dans lequel deux religions se feraient
face, mais comme un élément de la
confrontation qui oppose le système
capitaliste mondialisé aux peuples du
monde. Comprendre cela est capital,
essentiel car cela permet de replacer la
Palestine dans l’actualité du Proche et
du Moyen-Orient, de cesser de prêter
aux Etats-Unis la neutralité dont ils se
parent pour défendre leurs intérêts et
d’admettre que ce qui se passe en Palestine
procède d’un projet raciste et colonial
et doit être traité comme tel...
Que ce soit clair : il n’y aura de solution
en Palestine que par la fin de l’occupation,
le retour des réfugiés et la reconnaissance
des résolutions internationales.
De quelque côté que je me tourne,
je ne vois en Israël que des courants
politiques qui nous considèrent comme
des habitants de seconde zone. Certains,
c’est vrai, espèrent aménager
l’humiliation dont nous souffrons, se
demandant jusqu’où l’on peut desserrer
l’étau. Ce n’est pas de cela que nous
voulons discuter. Le Front populaire
revendique le droit des Palestiniens à
vivre debout et à avoir un avenir. Ce
droit est le nôtre, ne pas nous le reconnaître
nous autorise à résister par les
moyens que nous choisissons.
PLP : Cette manière de voir est-elle partagée en Palestine ?
R. M. : Je le pense très sincèrement.
Et les raisons objectives ne manquent
pas pour m’en convaincre. Parmi les
partis de gauche, ne sommes-nous pas
celui qui a fait le meilleur score ? Si
nous avons pu commettre des erreurs,
parmi lesquelles celle de ne pas avoir suffisamment
investi le terrain de la résistance
armée ou cette autre d’avoir trop
longtemps délaissé le terrain social pour
nous être concentrés sur la question
politique, le résultat du dernier scrutin
nous laisse à penser qu’il y a un avenir
pour le développement d’une force démocratique
et progressiste en Palestine et
dans tout le monde arabe. Les questions
économiques et sociales dont nous
sommes porteurs sont aujourd’hui au
coeur des préoccupations de la population
palestinienne et les résultats des
dernières élections le démontrent.
Quoi que l’on pense du Hamas, ce parti
a gagné la confiance des électeurs en
affirmant son engagement dans la résistance
et sa volonté de prendre à brasle-
corps les problèmes auxquels est
confrontée la population. Bien sûr, ses
solutions n’en sont pas. Elles sont même
absurdes, comme ce programme qu’il
développe sur le plan économique :
comment les privatisations pour lesquelles
milite cette organisation pourraient-
elles résoudre les difficultés de
développement et d’emploi auxquelles
les Palestiniens sont confrontés ? Et il
faudrait aussi aborder la question des
femmes : ce n’est pas en enfermant les
femmes à la maison que l’on confortera
l’entraide qui nous permet de survivre.
Restent les questions posées, et elles sont
réelles.
Nous avons, nous, d’autres réponses à
y apporter. Des réponses fondées sur une
alternative démocratique et progressiste...
Que beaucoup aient intérêt à
confondre la lutte de libération avec un
combat religieux est une évidence. Mais,
nous, nous continuerons à nous battre
pour rappeler qu’il en est tout autrement.
PLP : Ce combat est-il partagé à Gaza, ce petit bout de terre dont on n’a en Europe qu’une vision caricaturale ?
R. M. : La situation économique et
démographique à Gaza est catastrophique.
Nous vivons dans un état de
sous-développement dont on peut difficilement
imaginer les conséquences, ne
serait-ce qu’à court et moyen termes.
Malgré cela, les scores qui ont pu être
réalisés ici par le Hamas n’ont pas été
très différents de ceux de Ramallah ou
de Bethléem, où la situation économique
et sociale est fort différente, où la population
chrétienne est beaucoup plus
importante. A Gaza comme en Cisjordanie,
les Palestiniens ont réagi de la
même façon, accordant leurs suffrages
à un parti dont ils percevaient l’engagement
dans la résistance et l’écoute
aux plus défavorisés. A nous d’en tirer
les conséquences et de nous donner
les moyens d’une alternative.
PLP : Ce que le FPLP attend de la solidarité internationale ?
R. M. : Sortir de l’isolement, obtenir ce
soutien politique qui nous manque pour
la reconnaissance de nos droits fondamentaux
à exister et à résister, à être
un peuple comme tous les autres et non
un peuple de seconde zone comme, en
Israël, les plus bienveillants eux-mêmes
continuent de nous considérer. C’est
nous aider dans le processus de développement
de progrès social dans lequel
nous sommes engagés, de soutien aux
catégories les plus pauvres de la population,
aux jeunes, aux femmes. C’est
cette solidarité qui nous permettra aussi
de regagner l’écoute des Palestiniens.
Contrairement au Hamas, nous ne disposons,
nous, d’aucun soutien des
régimes arabes, ni d’ailleurs de quelque
autre pays. Nous ne pouvons compter
que sur les forces progressistes pour
briser le mur du silence dans lequel on
nous enferme.
Propos recueillis par Martine Hassoun