Odile Kadoura et Pierre Leparoux, groupe de travail réfugiés, AFPS - Pal Sol n°73
L’association palestinienne « BADIL », Centre de ressources sur les réfugiés palestiniens basé à Bethléem, vient de publier une analyse critique et argumentée [1] sur les conséquences pour les réfugiés palestiniens du plan présenté en janvier 2020 par le président étasunien comme une « Vision pour améliorer la vie des Palestiniens et du peuple israélien » [2].
Le rapport de BADIL décrypte les subterfuges utilisés pour évacuer la question et met en lumière les objectifs implicites du Plan Trump vis-à-vis des réfugiés palestiniens.
Utiliser une définition restrictive des réfugiés palestiniens
Le plan prévoit en effet que seuls seraient considérés comme réfugiés ceux qui sont inscrits à l’UNRWA à la date de publication du plan (28 janvier 2020) et qui ne se sont pas établis durablement dans un pays tiers. Ce dernier critère restant à définir dans l’accord de paix israélo-palestinien à venir ! Cette définition extrêmement restrictive vise à exclure une grande majorité de réfugiés ou de personnes déplacées internes. En effet, les critères d’enregistrement à l’UNRWA concernent « les personnes dont la résidence principale était en Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948 et qui ont perdu à la fois leur foyer et leurs moyens de subsistance résultant du conflit de 1948 ». Ces critères de l’UNRWA qui incluent également les descendants ont pour but de définir l’éligibilité à recevoir des services auprès de l’Agence et n’ont pas fonction à définir les droits fondamentaux des réfugiés établis par les Conventions internationales et le Haut Comité aux Réfugiés de l’ONU. Cette définition des réfugiés faite par le plan Trump est en contradiction formelle avec la définition des réfugiés internationalement reconnue ainsi que les bonnes pratiques établies par le HCR [3]. Sur cette base BADIL estime le nombre de réfugiés palestiniens à 7,94 millions, chiffre auquel il convient d’ajouter 760 000 personnes déplacées internes qui résidaient dans la Palestine mandataire et ont été chassées par la force. Selon les chiffres de BADIL en 2018, « le nombre d’inscrits à l’UNRWA est grossièrement de 5,6 millions (et) exclut les 2,3 millions de réfugiés non enregistrés. »
Le plan propose encore des paramètres plus restrictifs excluant parmi les inscrits à l’UNRWA « ceux qui se sont ré-installés dans un lieu permanent », cette définition vague restant à préciser dans le cadre d’un accord de paix à venir !
Supprimer l’UNRWA à qui il est reproché de perpétuer la question des réfugiés palestiniens
Dans ce plan, il est reproché à l’UNRWA – dont le mandat s’applique aux descendants des réfugiés de 1948 – de perpétuer la crise des réfugiés palestiniens : « Les Palestiniens sont maintenus collectivement et cyniquement dans les limbes pour maintenir le conflit en vie ». L’UNRWA est accusée d’exacerber la crise des réfugiés parce qu’elle englobe leurs descendants.
Un des moyens de résoudre la question serait donc tout simplement de mettre fin au mandat de l’UNRWA, c’est ce que demande Netanyahou et que Trump tente en supprimant la contribution des États-Unis à cette agence.
Pourtant, « l’UNRWA ne peut être tenue pour responsable de perpétuer la crise des réfugiés alors qu’elle est une agence fonctionnelle qui applique les paramètres de son mandat ».
Si le problème n’est pas résolu depuis 1948, c’est aussi que la « communauté internationale » n’a jamais eu la volonté politique de s’opposer à Israël. BADIL rappelle que dès 1948, la Commission de Conciliation pour la Palestine mise en place par l’ONU [4] a fait des propositions qui sont restées lettre morte. Dans les accords d’Oslo, il fut convenu de reporter la question des réfugiés aux négociations ultérieures. Dans les négociations à Camp David (2000) Israël consentait à recevoir moins de 1 % des réfugiés au titre du regroupement familial. L’année suivante au sommet de Taba, le président américain, Clinton, proposait déjà d’accorder un droit au retour dans un futur État palestinien… Mais, on sait que ces négociations n’ont jamais débouché sur la signature d’un accord.
Consentir au retour des réfugiés seulement dans l’État de Palestine
Le plan Trump reconnaît aux réfugiés palestiniens le droit de retour seulement dans l’hypothétique entité palestinienne, il exonère ainsi Israël de son obligation légale absolue d’assurer le droit au retour des réfugiés dans leur foyer qui se trouve aujourd’hui en Israël.
Bien plus, en écrivant dans le plan que « [leurs] frères arabes ont la responsabilité morale de les intégrer dans leur pays », l’administration Trump fait porter une responsabilité « morale » sur les pays arabes qui ne sont en rien à l’origine du problème des réfugiés. Or, le droit est clair à ce sujet, rétorque BADIL : « Israël a une responsabilité légale de respecter le droit au retour alors que d’autres États n’ont pas d’obligation à fournir d’autre recours. »
Restreindre les droits collectifs et ignorer les droits individuels à restitution de la propriété et à compensation
BADIL rappelle que les quelque 8 millions de réfugiés de 1948 et 1967 (60 % du peuple palestinien) ont tous des droits garantis notamment par la résolution 194 de l’ONU (droit au retour, restitution de leurs propriétés et réparation pour les biens perdus). Ce droit, « en tant que droit humain est également une norme du droit coutumier établi par plusieurs conventions internationales y compris la Déclaration universelle des droits de l’Homme ». De même, pour BADIL : « Semblables aux réfugiés, les déplacés internes sont des personnes qui ont été soumises à un déplacement forcé et ont droit à réparation y compris le droit au retour à leur lieu d’origine/résidence, restitution de leur propriété et compensation. »
BADIL rappelle que « les réfugiés et leurs descendants conservent leur statut de réfugiés vis-à-vis de leur état d’origine tant qu’ils n’ont pas eu la possibilité de choisir librement et en toute connaissance de cause l’une des solutions suivantes » : droit au retour dans leur pays d’origine, droit à récupérer leur propriété et droit à compensation, même lorsqu’ils ont obtenu la nationalité d’un pays tiers [5].
Le droit à compensation ne peut en aucun cas être conditionné à la réalisation du droit d’autres personnes (les juifs arabes expulsés, en l’occurrence).
EN RESUME : le plan, qui se veut « pragmatique » repose avant tout sur les intérêts et les objectifs politiques d’Israël au détriment des droits individuels et collectifs des réfugiés garantis par la loi internationale. En violation flagrante du Droit international, ce plan réduit le nombre de réfugiés éligibles, nie leur droit au retour, à restitution de leurs biens, et à compensation et propose de supprimer l’UNRWA dont la responsabilité serait transférée aux États concernés. Le statut de réfugié serait en outre aboli dans le cadre d’un accord israélo-palestinien à venir…
« Cette non-solution… vise à effacer la responsabilité d’Israël pour ses actes répréhensibles envers les réfugiés palestiniens. Elle fournit en outre à Israël une impunité généralisée pour ses crimes en cours contre le peuple palestinien » dénonce fermement BADIL qui considère que les États doivent condamner celui qui sort de la légalité.
Le rapport de BADIL appelle les États à refuser de prendre en compte cette proposition unilatérale : « la communauté internationale doit adopter une approche et une solution fondées sur le droit… et l’autodétermination collective des Palestiniens ».