Le Parlement israélien a approuvé en lecture préliminaire le 10 juillet 2024 un projet d’amendement à sa législation qui placerait la totalité des sites archéologiques des territoires palestiniens de Cisjordanie sous la responsabilité directe de l’Israel Antiquities Authority, c’est-à-dire des services archéologiques de l’État d’Israël.
Ce projet suscite l’opposition des archéologues israéliens aussi bien que palestiniens (voir plus bas). L’application en territoire occupé de la législation d’une puissance occupante par sa propre administration est une violation du droit international. En outre cet amendement s’inscrit dans une logique de colonisation. En effet, il est courant que des colonies s’implantent autour de sites archéologiques dits « juifs » (Shiloh par exemple) qui sont alors instrumentalisés en justifiant d’une présence juive historique dans ce qui est aujourd’hui la Palestine. Ainsi, à Djabal Sabih, au sud de Naplouse, où des prospections ont indiqué la présence d’un site archéologique datant de l’âge du Fer II et de l’époque perse (première moitié du premier millénaire av. J.-C.), la colonie illégale d’Evyatar a été réimplantée en 2023 avec l’accord tacite des autorités israéliennes, et a été officiellement reconnue le mois dernier.
Ce processus d’annexion se développe : à Sabastiya, l’antique Samarie/Sébastè, 150 ha avaient déjà été accaparés au-delà de la zone archéologique, et le 24 juillet 2024, l’armée a informé le maire de Sabastiya de la confiscation de 1300 m² sur la zone archéologique, au sommet du site, pour aménager une zone militaire. Il y a urgence à réagir, car la Cisjordanie abrite plus de 7000 sites archéologiques déjà recensés autour des villes et des villages palestiniens.
L’amendement est argumenté par le fait que les régions concernées seraient « le berceau de la nation hébraïque ». Cette notion même est problématique, et cette pseudo-justification revient à réduire le riche patrimoine archéologique de ces régions à un seul de ses aspects, en omettant l’existence de vestiges préhistoriques, cananéens, romains, byzantins chrétiens et islamiques, et elle nie un des principes de la recherche historique et archéologique, qui est son caractère universel et désintéressé : le passé doit être étudié pour lui-même et non en fonction des appartenances communautaires ou nationales.
Le préambule de l’amendement cite un extrait du Premier Livre des Maccabées (1Macc 15, 33), écrit vers 100 av. J.-C. et qui relate la révolte de la Judée contre l’empire séleucide et les débuts du royaume hasmonéen, au 2e s. av. J.-C. Cette citation, qui évoque « l’héritage de nos pères », conquis illicitement, puis recouvré, est en elle-même la revendication d’une continuité entre ce royaume juif de l’époque hellénistique et l’actuel État d’Israël. Cette revendication ne contredit pas seulement la réalité historique, elle témoigne d’une confusion entre le passé et le présent qui est contraire à la définition même de la recherche historique et archéologique.
Ainsi cet amendement concernant les antiquités affirme explicitement une volonté d’instrumentalisation de l’archéologie à des fins politiques et d’annexion, contre laquelle, en tant qu’archéologues et historiens, il est de notre devoir de nous dresser. C’est pourquoi nous nous associons aux protestations de la Society for Palestinian Archaeology et de l’Israeli Archaeological Association, disponibles ci-dessous. Il importe de susciter un mouvement international qui puisse aboutir à un retrait de cette proposition.
Premiers signataires de la tribune :
Membres de l’équipe de recherche l’Orient, d’Alexandre à Muhammad - OrAM (CNRS, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Inrap) :
BLANC Pierre-Marie ; FOURNET Thibaud ; GELIN Mathilde ; MOUTON Michel ; RENEL François ; SALIOU Catherine ; TALLET Gaëlle ; VILLENEUVE François ; AL ALI Kinan ; BERETTA Valentina ; BESSAC Jean-Claude ; BOMBEAU Valère ; BRETON Jean-François ; CLAUSS-BALTY Pascale ; COMTE Marie-Christine ; DENTZER-FEYDY Jacqueline ; GHASEMI Parsa ; JOBCZYK Marion ; KHAN Bénédicte ; LAGUARDIA Marie ; MADINA Hussein ; MARION DE PROCE Solène ; PIRAUD-FOURNET Pauline ; THEBAULT Gérard ; VILLENEUVE Estelle.
S’associent à cette tribune :
ABBES Frédéric, Directeur de l’UMR 5133 Archéorient ; ABOU AZIZEH Wael, archéologue, maître de conférences, université Lyon II ; ALHALABI Taysir, archéologue, docteur université Paris 1 ; BERT GEITH Sandrine, archéologue indépendante ; BLETRY Sylvie, maître de conférences, université Paul-Valéry Montpellier 3 ; BRIQUEL-CHATONNET Françoise, directrice de recherche émérite, CNRS, Membre de l’Institut (Académie des Inscriptions et Belles Lettres) ; CABARET Dominique-Marie, professeur, studium des dominicains, Toulouse ; CHARLOUX Guillaume, archéologue, CNRS ; DEBIE Muriel, École pratique des hautes études, PSL ; DERAT Marie-Laure, directrice de recherche au CNRS, Orient & Méditerranée, équipe mondes sémitiques ; DESREUMAUX Alain Jacques, directeur de recherche honoraire, CNRS ; HAWLEY Robert, directeur d’études, École pratique des hautes études ; HUMBERT Jean-Baptiste, archéologue émérite, École biblique et archéologique française de Jérusalem ; KHREICH Maroun, maître de conférences, Université Libanaise ; LESGUER Fabien, doctorant, université Paris 1, Orient & Méditerranée ; MELLITI Khaled, historien, chercheur Orient & Méditerranée ; RIBA Bertrand, archéologue, CNRS, Orient & Méditerranée ; ROCHE-HAWLEY Carole, directrice scientifique, Ifpo ; ROHMER Jérôme, archéologue, CNRS ; ROUILLARD-BONRAISIN Hedwige, directrice d’études émérite, École pratique des Hautes Études ; SCHIETTECATTE Jérémie, CNRS Researcher, Visiting scholar at ISAW, NYU ; SHABO Shadi, chercheur en archéologie, postdoc CNRS UMR 8167 Orient & Méditerranée ; TREHUEDIC Kevin, archéologue, maître de conférences, université Paris-Est Créteil ; VAN STAËVEL Jean-Pierre, professeur, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur-adjoint de l’UMR 8167 Orient & Méditerranée.