« Jours de pénitence » a pris fin le 15 octobre dernier. Près de 130 Palestiniens ont été tués au cours de cette opération militaire israélienne, la plus importante menée dans la bande de Gaza depuis quatre ans. Les tanks et blindés de Sharon ont accompli leur ouvrage avec le soutien implicite de Washington qui, au conseil de sécurité de l’ONU, a opposé son veto à un projet de résolution exigeant l’arrêt de l’offensive. La minuscule bande de Gaza dont l’évacuation prochaine a été votée par la Knesset est éreintée de violence.
Les « Jours de pénitence » n’auront pas occupé longtemps la une des médias. Comme souvent en Palestine, ils en ont été chassés, entre mi-octobre et fin novembre, par un enchaînement rapide d’événements essentiels et tragiques. Il y a d’abord, le 26 octobre, le vote par la Knesset du plan d’évacuation de la bande de Gaza. Puis, trois jours plus tard, Yasser Arafat arrive en France pour y être hospitalisé. La presse du monde entier s’installe à son chevet. Jusqu’à sa mort, le 11 novembre, à l’hôpital militaire de Clamart. Hommage, retour à Ramallah, enterrement, ferveur populaire. Depuis, les pronostics autour de la succession d’Abou Ammar lors des élections prévues le 9 janvier remplissent les manchettes.
Il aura fallu tout cela pour balayer des esprits la brutalité de la dernière opération militaire d’envergure menée par Israël dans les territoires palestiniens : du 28 septembre (veille du quatrième anniversaire du soulèvement de l’Intifada Al Aqsa) au 15 octobre (premier jour du Ramadan), l’armée israélienne a mené dans le nord de la bande de Gaza l’opération « Jours de pénitence ». Une incursion sanglante durant laquelle un Palestinien est mort toutes les trois heures environ : selon l’Ong palestinienne Al Mezan [1]., « Jours de pénitence » a coûté la vie à cent trente-trois Palestiniens en dix-huit jours [2].
L’objectif affiché par le gouvernement israélien était de mettre fin aux tirs de roquettes artisanales Qassam depuis le nord de la bande de Gaza sur des villes israéliennes, notamment celle de Sderot. Dans les jours précédant l’intervention, deux enfants avaient été tués par ces roquettes. En retour, Ariel Sharon a engagé avec « Jours de pénitence »,
« la plus importante incursion de l’armée israélienne dans la bande de Gaza depuis le début de l’intifada Al Aqsa en septembre 2000 » [3] et battu un sombre record : « Le mois d’octobre 2004 a été le plus meurtrier pour les Palestiniens depuis l’opération “Mur de protection” menée en avril 2002 », souligne l’OCHA (Office de coordination des affaires humanitaires dans les territoires occupés) [4]. Deux mises en perspective « onusiennes » qui disent toute la violence de l’attaque menée contre les résistants armés et civils palestiniens.
L’armée israélienne a tué des femmes et des enfants, des écoliers et des vieillards. Le 12 octobre, cette armée, dont certains officiers jurent qu’elle demeure un exemple de moralité, estimait que sur les 114 Palestiniens déjà tués, 75 étaient des combattants [5]. Une information impossible à vérifier. Si le meurtre, le 5 octobre à Rafah, de la jeune Iman Darweesh Al Hams, cette élève de treize ans abattue par les soldats et dont le corps a été criblé de balles par le chefaillon de la troupe, a ému les médias, vingt-neuf autres enfants de moins de dix-huit ans ont été tués durant l’opération. Le plus jeune, Lu’ay Ayman An Najjar de Khan Younis, avait quatre ans. La victime la plus âgée, Mahmoud Umran, lui aussi de Khan Younis, soixante-dix-sept ans. L’immense majorité des victimes avaient moins de trente ans. Et la moitié ont été tués à Jabalia (cf. tableau). Le ministère palestinien de la Santé avance le chiffre de 431 blessés. Le centre Al Mezan, celui de 138 enfants (moins de dix-huit ans) blessés. Selon l’UNRWA, cinq Israéliens ont été tués pendant la même période.
Les chars, bulldozers et véhicules blindés (autour de deux cents) appuyés par des hélicoptères Apache qui se sont installés autour de Beit Hanoun, Jabalia et Beit Lahia pendant deux semaines et demie, ont également commis de considérables dégâts matériels. D’après les estimations de l’OCHA, à la date du 27 octobre, 141 demeures avaient été détruites et 500 autres avaient subi des dommages « réparables » dans le nord de la bande de Gaza. Les travailleurs sociaux et les équipes techniques de l’UNRWA notaient eux qu’au moins 143 familles étaient privées de logement suite aux destructions de 91 habitations. Parallèlement, « alors que l’opération “Jours de pénitence” se déroulait dans le nord de la bande de Gaza, 482 personnes sont devenues des sans-abris à Rafah, l’armée ayant continué à taillader les zones palestiniennes le long de la frontière égyptienne », souligne le même rapport. Boutiques, bâtiments d’usine mais aussi une mosquée, des fermes et cinq complexes scolaires de l’UNRWA jouxtant le camp de Jabalia, sans conteste l’endroit le plus meurtri par l’offensive, ont été endommagés par l’armée israélienne.
Concernant les infrastructures, des ingénieurs de l’UNRWA estiment à 355 000 dollars le montant de la somme nécessaire à leur remise en état. En plus des canalisations détruites, l’asphalte des routes a été arraché par les blindés et des fossés empêchant la circulation ont été creusés en travers des voies.
Les terres agricoles aussi ont souffert. Le 15 octobre, jour du retrait de l’armée israélienne, le gouvernorat du nord de la bande de Gaza estimait que 30 serres et entre 100 et 110 hectares, essentiellement des oliveraies et des vergers d’agrumes, avaient été rasés.
Des murs d’enceinte rasés, des salles de classes détruites, des « tableaux noirs grêlés d’impacts de balles », du matériel, notamment informatique, pillé : les secteurs de l’éducation et de la santé n’ont pas été épargnés. « L’enseignement de 40.000 élèves dans 34 écoles de l’UNRWA à Jabalia, Beit Lahia et Beit Hanoun a été suspendu » à partir du 29 septembre, explique le rapport de l’agence pour les réfugiés. Certaines ont pu rouvrir leurs portes à partir du 9 octobre, d’autres ont dû attendre la fin des opérations. Trop endommagées, deux de ces écoles sont restées fermées malgré le redéploiement de l’armée israélienne. Par ailleurs, l’accès à la clinique de l’UNRWA de Beit Hanoun a été compliqué par les restrictions sur les déplacements, certains services (planning familial, dentiste) ont dû suspendre leurs activités et des membres du personnel ont temporairement été empêchés de rejoindre la clinique.
Les très sérieux coups subis par l’UNRWA (dont neuf élèves de moins de seize ans et deux enseignants font partie des victimes de l’opération) n’ont pas empêché Moshe Yaalon, le chef d’état-major israélien, d’accuser l’agence des Nations unies de participer à des « activités terroristes » [6]. Des propos qui ont provoqué des remous jusque dans la presse israélienne et qu’a bien évidemment réfutés le directeur de l’agence, Peter Hansen.
S’ils se sont avérés très meurtriers, les « Jours de pénitence » infligés à Gaza n’ont fait que réaffirmer le caractère extrêmement violent et brutal du gouvernement Sharon. De façon encore plus sanglante, l’opération « Mur de protection » menée en Cisjordanie en avril 2002 avait donné la mesure exacte de ce dont est capable cette équipe lorsqu’il s’agit de laminer un peuple, d’anéantir sa résistance, de piétiner ses espoirs, tout en niant avec mépris le droit international [7]. Cette fois, le Premier ministre israélien a refusé, par deux fois, d’écouter l’état-major de l’armée qui, vers le 10 octobre, estimant que l’objectif était atteint et craignant une dégradation de la situation, a jugé que le temps du redéploiement était venu. Contre l’avis de ses propres généraux, Ariel Sharon a souhaité poursuivre l’offensive pendant quelques jours, jusqu’au 15 octobre.
Au plan de la diplomatie internationale, pas plus de surprise. Les gesticulations entrevues lors de cette crise ont confirmé une double et redoutable constante : le soutien sans faille de la Maison Blanche à Ariel Sharon et l’impuissance pathétique de l’ONU à faire respecter le droit international. « Peiné » par le nombre de victimes, un porte-parole de Koffi Annan a rappelé que « le secrétaire général réitère ses appels au gouvernement d’Israël à prendre des mesures effectives pour éviter toute nuisance à l’encontre des civils palestiniens et à porter une attention spéciale à la protection des enfants » [8]. Cet appel a eu le succès que l’on sait.
Au Conseil de sécurité des Nations unies, mardi 5 octobre, les Etats-Unis opposaient leur veto à un projet de résolution exigeant la fin de l’opération israélienne [9] « L’occupation illégale des terres palestiniennes par Israël (...), les crimes de guerre succédant aux crimes de guerre. Malheureusement, tout cela n’est pas suffisamment convaincant pour que les Etats-Unis acceptent une résolution qui appelle seulement Israël à stopper immédiatement son opération militaire, à respecter le droit international humanitaire, à assurer sans entrave la sécurité et la circulation du personnel des Nations unies venu porter de l’aide aux populations civiles et qui, au final, invite à la reprise des négociations de paix dans le cadre de la feuille de route », s’indigne l’organisation Miftah [10] qui délivre aussi la saisissante réflexion du « modéré » Colin Powell à propos de l’opération « Jours de pénitence » : « L’offensive à Gaza du premier ministre Ariel Sharon n’est en rien contradictoire avec le plan d’évacuation... cela s’inscrit dans le plan et, avec un peu de chance [hopefully], tout se déroulera comme prévu. » Avec un peu de chance... et beaucoup de sang.
Le lien entre l’opération militaire israélienne et le plan unilatéral de retrait de Gaza, voté une dizaine de jours à peine après que l’armée se fut retirée du nord de la bande, apparaît très clair aux yeux de nombreux observateurs et analystes. « Il est probable que [lors de l’opération « Jours de pénitence », ndr] plusieurs Palestiniens ont été tués et plusieurs destructions accomplies en plus, afin que Sharon gagne le soutien de la droite israélienne, et plus particulièrement celui de l’aile droite de son propre camp. Il est aussi possible que cette opération si dévastatrice ait eu comme objectif d’empêcher l’inscription du plan d’évacuation dans la feuille de route », propose l’éditorialiste Ghassan Andoni [11]. Ariel Sharon entend mener seul, sans médiation de la communauté internationale et sans concertation avec la partie palestinienne, le retrait définitif de la bande de Gaza [12]. Mais tout désigne qu’il souhaite réduire en miettes cette minuscule bande de terre avant d’y enfermer les 1,3 million de Palestiniens qui y vivent. Selon l’OCHA, entre janvier et septembre 2004, 453 Palestiniens ont été tués lors de combats et de violences dans la bande de Gaza. Ces quatre dernières années, 24 547 habitants s’y sont retrouvés privés de maisons suite aux destructions de l’armée israélienne. Dans la même période, plus de 50% des terres cultivables autour de Beit Hanoun ont été rasées. C’est une bande de Gaza exsangue et très appauvrie sur laquelle se sont abattus les « Jours de pénitence » d’octobre.
« Au regard des expériences passées, les opérations militaires donnant lieu à des effusions de sang ont toujours sonné la fin d’initiatives qui visaient à réduire le niveau de violence et à rouvrir la voie aux négociations diplomatiques », avance Ghassan Andoni. De ces voies-là, Sharon ne veut pas. Le 24 octobre, il lançait un nouvel assaut sur Gaza. Neuf jours à peine après la fin de l’opération « Jours de pénitence », l’armée israélienne pénétrait dans la partie ouest du camp de Khan Younis. En deux jours, au moins dix-sept Palestiniens étaient tués, dont un enfant de onze ans et plus de soixante blessés. Selon l’UNRWA, 33 maisons ont été détruites affectant 63 familles et 305 personnes. Entre 3 et 4 hectares de terre ont été rasés. La morbide routine de Gaza.
Emmanuel Riondé,
le 4 décembre 2004.