Je m’appelle Khalid Al-Salfiti. Je suis originaire de Salfit mais je vis à Jérusalem depuis l’âge de 12 ans, depuis que je suis devenu orphelin. Je suis venu chercher du travail à Jérusalem et à l’époque, en 1962, la ville était pleine de vie. Quand j’ai grandi, une personne qui me connaissait bien, m’a donné de l’argent pour acheter un magasin dans la Vieille Ville de Jérusalem et jusqu’à aujourd’hui, ce magasin représente mon travail et mes revenus. Il m’a permis de prendre soin de ma famille et d’acheter une maison.
Aujourd’hui, les rues de la Vieille Ville sont presque vides et alors que je regarde les rues piétonnes de la ville, je vois d’avantage les pierres du chemin que les gens qui vont et viennent dans le marché. Il est impossible de venir ici à cause des bouclages de ces dernières années et maintenant à cause du Mur qui enferme Jérusalem en coupant la ville du reste de la Cisjordanie.
Il y avait une époque où j’allais rendre visite à ma famille et à ma sœur à Salfit. Je pouvais quitter le magasin dans l’après-midi et rejoindre Salfit en une heure et rester là jusqu’aux heures tardives de la nuit. Aujourd’hui, je ne peux plus atteindre Salfit directement en partant de la ville et du fait de devoir utiliser les transports publics, la journée de voyage devient dangereuse, indescriptible et fatigante.
Ma sœur et moi, nous ne sommes pas vus depuis des mois. Je dois acheter ici des abricots à 15 shekels le kilo, mais il y a en a plein à Salfit et je ne peux pas y aller.
Mon magasin est vide et presque personne n’y vient. Mon magasin n’est pas un magasin pour touristes mais pour le marché palestinien et les produits que je vends sont arabes, du bois et de la nacre, des choses fabriquées en Palestine et en Syrie. Maintenant presque personne ne vient dans la Vieille Ville et j’arrive à peine à joindre les deux bouts. Pour survivre à Jérusalem, avec les taxes sans fin de l’occupation, taxe de logement, taxe pour la télévision, l’eau, l’électricité, les loyers élevés, les écoles et les amendes perpétuelles - je suis obligé de gagner une somme d’argent relativement importante. Je paie aussi pour l’école privée de mes petits enfants. Alors, comme vous voyez, le magasin est vide et je ne peux pas gagner une telle somme.
Les gens avaient l’habitude de venir de toute la Palestine. Il y avait un grand marché en Cisjordanie car Jérusalem survit grâce aux villages de la Cisjordanie. Aujourd’hui personne ne peut arriver jusqu’au magasin. A cause du Mur, Jérusalem et les affaires sont en train d’être totalement isolés.
J’ai passé ma vie à travailler et à envoyer mes enfants - mon fils et mes deux filles - dans les meilleures écoles privées de la ville. Ils sont tous allés à l’université et ma fille qui vient juste de terminer à Birzeit, était première de sa classe.
J’ai tout fait pour eux et pour qu’ils mènent une vie paisible ; maintenant c’est à mon tour de me reposer, de prendre du temps pour moi, mais la vie est encore plus misérable qu’elle n’a jamais été. Où ? Où trouverai-je le repos ?
Je ne sais pas ce que nous allons faire. Nous vivons à Ar Ram, qui se trouve juste avant le check-point de Kalandia, et l’occupation est en train de construire le Mur qui va enfermer toute la zone. Comment mes petits enfants atteindront-ils l’école ? Une des écoles de mes petits enfants est à quelques mètres de la maison, mais à cause du Mur, il faudra des heures à mon petit fils pour traverser les check-points et atteindre son école. Le transport est plus cher, les check-points sont fermés à des heures différentes et la peur que l’occupation soit devenue notre réalité nous conditionne tellement, qu’à certains moments j’ai peur de quitter la aison pour voir ce qui nous attend. Et que se passera-t-il avec nos enfants coincés au check-point ? Et l’école de l’Imam de l’autre côté de la rue, et les Sœurs du Rosaire à Beit Hanina, comment mes petits enfants atteindront-ils l’école quand ce Mur sera terminé ?
Le mari de ma fille n’a pas de carte d’identité de Jérusalem. Comment pourront-ils se déplacer ? La police attend dans notre secteur pour trouver une voiture à plaque d’immatriculation jaune avec dedans quelqu’un ayant une carte d’identité cisjordanienne, afin de nous infliger une amende de 5.000 NIS. Elle attend. Et pensez vous que je la veux seulement cette carte d’identité de Jérusalem ? Non, je ne la veux pas et je ne suis pas meilleur que qui que ce soit, j’ai juste besoin d’arriver à mon lieu de travail.
Nous avons entendu des gens dire que dans quelques mois, ils vont envoyer une unité de la municipalité d’occupation, pour vérifier les soi-disant « violations ». Attendez et voyez, revenez dans quelques mois, et vous verrez que la moitié des magasins dans la Vieille Ville seront fermés.
Les cartes de Palestine en bois d’olivier qui ornent mon magasin sont faites à la main à Salfit, ma ville, par quelqu’un que j’ai embauché pour faire ce travail. Vous verrez toujours sur chaque carte de Palestine, tous nos villes et villages et Salfit est sur chaque carte.
Connaissez-vous Salfit ? Avez-vous entendu parler de Baqa Gharbiya et de Baqa Shariqiya ? Elles aussi sont divisées par un Mur et ma nièce a épousé un homme de Baqa Gharbiya. Lui rendre visite aujourd’hui est devenu impossible. Beaucoup de terres de Salfit ont été confisquées par la colonie d’Ariel.
Un bol de riz d’un restaurant local peut atteindre jusqu’à 25 NIS et si je fais le calcul que mon fils et moi travaillons tous deux dans le magasin et que nous devons chaque jour dépenser 50 NIS, nous n’en avons pas les moyens. Nous achetons juste un Ka’ek (pain) et nous le mangeons, et sans assiette de hummos parce que ça aussi c’est trop cher. Nous faisons tous cela dans les magasins ; regardez l’homme assis en face dans le magasin, lui aussi a une histoire : il est comme un orphelin.
Ils cherchent à nous casser, que nous ne pensions à rien d’autre qu’au moyen de survivre chaque jour. Et lorsque mes petits enfants me regardent et disent : « Sido, nous voulons acheter ça ou ça » je leur dirai toujours oui et rirai de leurs rêves et de leurs désirs. Et souvent, je ne leur dis même pas ce qui se passe, même quand ils le demandent. Ils sont petits et je ne veux pas qu’ils sachent et j’espère que peut-être les choses seront différentes quand ils auront grandi. Mais les choses ne seront pas différentes quand ils auront grandi. On ne peut pas penser au futur car il n’y a pas de futur.
Le monde est silencieux. Les européens sont sencieux et contrôlés par les Etats Unis. Les média américains sont sionistes et le gouvernement des Etats-Unis a des intérêts dans la région.
Cette « paix » totale, n’était pas une paix mais une aggravation de notre vie. Ne me dites pas que les israéliens veulent la paix. S’ils voulaient la paix, ils ne voteraient pas pour le Likoud ou les Travaillistes, ils sont tous deux sont pareils ; et de toutes les façons ils ne se comporteraient pas comme ils se comportent.
Je ne suis pas une personne religieuse, je ne l’ai jamais été et mes amis viennent de tous les horizons, de tous partis et de toutes convictions ; mais je ne doute pas que ma religion nous aurait donné une vie plus humaine que celle que nous avons sous occupation israélienne brutale et sous impérialisme américain.
Voyez comme Jérusalem est triste. Jérusalem est une orpheline qui regarde ce qui lui arrive, observe les passants et espère qu’elle peut soutirer ça et là ce qui lui est nécessaire pour survivre.