... la
rupture du jêune, jusque tard dans la nuit, que cela soit - pour ne citer que celles-ci - Jénine, Qalqilya, Toulkarem, Ramallah. Même à
Hébron, la vieille ville revit avec son marché. Chose encore
impensable il y a deux semaines.
C’est dans le club Al Thakifi Al
Ryadi de Toulkarem que se rassemblent le soir pour des activités
culturelles enfants, jeunes et hommes. On peut déplorer l’absence des
femmes, ce n’est pas un cas isolé, hélas. Heureusement, le centre
culturel de l’enfance que des femmes animent, fait exception à la
règle en quelque sorte. Ce centre fait preuve d’un dynamisme sans
précédent, que cela soit pour la santé des tout petits et de leurs
mères avec un fort contenu pédagogique ; que cela soit dans la
bibliothèque dans le cadre d’ ateliers d’écriture et de dessins avec une psychologue présente en permanence, permettant ainsi aux jeunes et
aux enfants, comme disent les Palestiniens, de "décharger leur stress"
lié à la situation de l’occupation ; que cela soit au moment de l’iftar
où toutes générations confondues se rencontrent autour d’un repas
convivial ; que cela soit jusque tard dans la nuit, où chants et pièces
théâtre se succèdent avec beaucoup de bruit, pour faire, sous forme de
clin d’oeil, concurrence à la Mosquée située juste en face.
Cette animation effrénée a lieu sous le regard « d’Abou Ammar », comme aiment le dire les Palestiniens avec tendresse, pour désigner Yasser Arafat,
dont la mémoire est dans tous les coeurs en Palestine, et dont le
portrait est affiché dans les rues, les lieux officiels, et même dans
les expositions des plus petites ONG. Oui, il y a une vie intense dans
les villes palestiniennes, une vie intense sous l’occupation, où les
associations, qu’elles soient grandes ou petites, jouent un rôle
décisif.
Il est du devoir du mouvement de solidarité de montrer davantage cette
vie. Sinon, qui le fera ? certainement pas les grands médias, qui à
part quelques exceptions, parlent des palestiniens comme s’ils étaient
tous des terroristes. Il y a urgence !
Mais bien sûr, cette foule dans les rues met en valeur une dure
réalité.
Où aller pour les Palestiniens, si ce n’est dans leur ville ? Ces
villes, d’ailleurs, qui ont été toutes reconstruites. Il ne reste plus
de traces des destructions de l’armée israélienne. Les fonds de
l’USAID et des émirats coulent à flot. On assiste donc à des
contradictions criantes qu’il va bien falloir prendre en compte :
premièrement, l’USAID est bien connue pour ses liens avec le
gouvernement américain, avec les trusts de l’armement, d’un autre
côté, il faut bien que les Palestiniens vivent, et pas seulement dans
les destructions.
Deuxièmement, pendant qu’une femme à Hébron va
chercher sa ration alimentaire auprès du programme alimentaire
mondiale des Nations Unies, en face, les capitaux déferlent pour la
construction d’un imposant bâtiment.
Où aller pour les Palestiniens de Qalqilya encerclée par le mur ?
En somme une vie intense dans l’enfermement pour l’ensemble des villes
palestiniennes, particulièrement celles que le mur étouffe.
Si l’armée israélienne ne se trouve plus dans la majorité des villes
palestiniennes jusqu’à ce jour, ce qui pourrait très vite changer,
puisque Sharon a approuvé une offensive au sol à Gaza et en
Cisjordanie suite aux événements de Hadera, elle bloque les axes
routiers où circulent les Palestiniens, les empêchant de se déplacer
de ville en ville et redoublant leurs incursions militaires dans les
villages.
L’incursion de l’armée israélienne dans le village de Karawa
au Nord de Ramallah en est un exemple flagrant. Cachés derrière le mur
d’une maison, à 50 mètres à peine de l’opération militaire
israélienne, il était facile d’observer la violence des soldats et
soldates, tous plus jeunes les uns que les autres, d’observer la façon
dont ils terrorisaient les villageois, notamment les gosses et les
adolescents, par des tirs à gaz lacrymogènes et des tirs à balles
réelles.
Les enfants et les jeunes faisaient des aller et retour
jusqu’à nous pour prendre des pierres, afin de les lancer contre les
jeeps et les mini chars. Un char, ça révulse et fascine en même temps.
Puis un étudiant de l’université de Bir Zeit a débouché de je ne sais
où muni d’un petit sac à dos, d’un stylo et d’un cahier, pour nous
informer de ce qui se passait réellement dans le village et ce, au
milieu des tirs de Tsahal et des cris des enfants. « C’est la vie
quotidienne des Palestiniens », nous a-t-il dit en partant.
Cette
phrase d’ailleurs est revenue constamment comme un leitmotiv au cours
de ces 15 jours, avec un mélange de défaitisme et de lassitude. Puis
les véhicules de l’armée israélienne ont quitté le village. Certes
l’incursion faisait partie de représailles, et surtout Karawa est à
proximité d’une colonie.
Après leur départ, nous avons traversé le
village. Les enfants et les jeunes du village étaient tous dehors,
très excités, surtout les petits. Aucun adulte, ni hommes, ni femmes.
Et les soldats qui ont mené l’opération militaire étaient à peine plus
âgés que les plus grands du village de Karawa, ce qui en dit long sur
l’occupant qu’est l’Etat israélien.
A la sortie du village, une jeep
de l’armée israélienne était stationnée du côté gauche de la rue que
nous devions emprunter pour nous rendre à Jénine. Un gosse palestinien
a surgi devant nous, une grosse pierre à la main, pour la lancer
contre la jeep. Il a attendu que nous soyons passés pour sans doute
mettre à exécution son geste. Nous avons appris ensuite que les
soldats israéliens avaient mené leurs opérations dans le village toute
la nuit.
Nous avons mis 6 heures pour nous rendre de Ramallah à Jénine.
Oui, c’est la vie quotidienne des Palestiniens, celle des villages est
encore pire, car ils sont éloignés, isolés, notamment ceux coincés
entre les réseaux de murs. Les villages semblent subir beaucoup plus
d’incursions que nous pouvons l’imaginer.
Mais cet enfermement des villes et des villages palestiniens
s’intensifie avec une pauvreté à 70% et un chômage à 65%, notamment là
où le mur est présent comme à Qalqilya, ce mur qui anéantit le petit
commerce et étouffe le développement agricole.
A cela s’ajoute la construction de réseaux de murs à perte de vue autour de Ramallah et
de Jérusalem, qui non seulement défigurent le paysage, mais isolent
Ramallah et conduisent à une annexion totale de Jérusalem.
Le passage de Qalandia est devenu un énorme check point avec murs, barbelés,
miradors et des soldats israéliens agressifs, armés jusqu’aux dents.
Cet endroit dépasse de loin en étendue et en agressivité le mur de
Berlin. Si pour des raisons politiques et historiques, le mur de
Berlin et le mur de Sharon ne sont pas comparables, il est intéressant
de noter que beaucoup de ceux qui condamnaient le mur de Berlin, se
taisent aujourd’hui.
Le mur que met en place Israël vise à placer les
Palestiniens dans un véritable univers carcéral, à protéger les
colons, à s’accaparer les ressources en eau et à annexer Jérusalem.
D’ailleurs, quand Sharon parle de la sécurité d’Israël, il s’agit,
j’oserais dire, de la protection exclusive des colons. On assiste à
une des plus grandes violations du droit international.
La stratégie actuelle d’Israël consiste à faire en sorte que l’étau se
resserre autour des Palestiniens. Il est devenu maintenant plus que
jamais dangereux pour les Palestiniens de circuler au sein de la
Cisjordanie. Beaucoup prétendent que lorsque l’armée israélienne
occupait directement l’intérieur des villes, il y avait toujours une
sorte de système D. Mais la stratégie qui consiste aujourd’hui à se
concentrer sur les axes routiers renforce l’enfermement et aux yeux
des Palestiniens, rendent quasi-impossibles le système D.
Seuls les
taxis ont le droit de circuler, mais qui en a les moyens ? Les
Palestiniens continuent d’utiliser leurs véhicules en empruntant des
voies étroites et non bitumées, en en créant de nouvelles, avec un
grand nombre d’accidents, notamment la nuit, par manque de visibilité
et de mauvais état du terrain.
Contrairement, au passé, ils craignent
davantage les déplacements, risquant de se retrouver nez à nez avec
l’armée israélienne qui développe avec une intensité sans précédent et
à une vitesse TGV ses opérations militaires.
Ainsi, la stratégie israélienne d’enfermement des Palestiniens, de
couper la Cisjordanie par des réseaux de murs, place les Palestiniens
dans un contexte exclusivement local.
Les enfants nés en l’an 2000
n’ont évolué que dans le contexte de leur ville ou de leur village.
Par conséquent, cette génération ne connaît que cet environnement-là.
L’un des rêves de Sharon n’est-il pas le développement de petits
shérifs locaux, qui brise tout unité nationale ? N’est-il pas entrain
de réussir ? La vie politique et associative est confinée dans le
local. Les clans ont la vie belle. Cet enfermement conduit à ce qu’une
très grande majorité des femmes portent le foulard ainsi qu’un certain
nombre de petites filles dès l’âge de 8 ans et ce, non seulement dans le Nord de la Cisjordanie. Des femmes aussi se mettent aujourd’hui à
porter le foulard, uniquement pour échapper à la pression.
Le rite du
Ramadan est appliqué strictement. Les professionnels de la santé dans
les hôpitaux ou les associations actives dans le domaine de la santé
de la mère et de l’enfant considèrent que les familles se retiennent
d’aller chez le médecin, pour ne pas prendre de médicaments en période
de Ramadan, ceci s’applique aussi à ceux parmi les enfants qui le
pratiquent dès les premières années de leur scolarité.
Pour déjeuner,
ce que nous ne faisions assez rarement, ou pour boire de l’eau, nous
devions le faire dans un endroit clos, au grand plaisir aussi de
Palestiniens et de Palestiniennes, qui pour une raison ou pour une
autre, ne pouvaient pas ou ne voulaient pas faire pratiquer le jêune.
Il y a une pression religieuse, certes, mais la pression est avant
tout fortement sociale et culturelle. Le Hamas profite de la situation
de pauvreté et de chômage, pour distribuer gratuitement de la
nourriture dans les mosquées au moment de l’iftar. Le Hamas est très
présent, ses drapeaux verts sont partout dans les villes et les
villages. Dans ces deniers, on peut y voir quelques portraits du Cheik
Yassine, mais cela ne signifie aucunement que la population
palestinienne soutient le Hamas. Si ce dernier a remporté tous les
sièges lors des élections municipales à Qalqilya, ceci est dû
davantage aux profondes divisions du Fatah dans cette ville.
L’interdiction par la municipalité Hamas du festival culturel
dernièrement, une bibliothèque municipale devenue vide ne satisfont
pas la population, et surtout pas les associations culturelles et
environnementales. Ceci est d’autant plus grave, que les activités
culturelles sont la seule façon pour la population de sortir de
l’enferment dans lequel le mur la plonge.
N’y a-t-il pas précisément
une collusion entre ce double enfermement, celui culturel pratiqué par
le Hamas et celui du mur de Sharon ? On sait où mène le désespoir. Au
repli, à la radicalisation avec tout ce qu’elle comporte d’extrême. Et
pourtant, il serait de faux et dangereux de croire et de faire croire
que les Palestiniens sont pour les attentats suicides, d’abord parce
que c’est l’image que tentent de donner au monde entier les grands
médias audio-visuels et un grand nombre d’hommes politiques.
Il
suffit, depuis le début des attentats-suicides, de mettre plusieurs
Palestiniens ensemble, pour qu’il y ait un débat animé autour de cette
question, entre ceux qui combattent cette forme d’action et ceux qui
la comprennent, sans pour cela l’accepter.
Par ailleurs, Israël sait
très bien qu’en pratiquant un attentat ciblé extrajudiciaire illégal
contre par exemple, récemment autour du 20 octobre, un des hauts
dirigeants du Jihad islamique à Toulkarem, que des civils palestiniens
seront touchés et qu’une réaction sous la forme d’un attentat suicide
aura lieu, comme ce fut le cas à Hadera.
Cet attentat ciblé a placé la
population de Toulkarem dans un état de tension terrible et
d’opposition à cet acte. Cependant, la population de Toulkarem n’est
pas sortie dans la rue en brûlant le drapeau israélien. Elle aurait pu
le faire, il n’y avait pas de char. Mais ce que nous pouvions entendre
est la chose suivante et ce, souvent d’un ton découragé et avec une
grande lassitude : « Nous allons en subir les conséquences, car il va
y avoir une réaction du Jihad en Israël ».
Hadera fut la réponse. Ce
ne fut pas la joie en Palestine, au contraire : peur des représailles,
peur pour les enfants, les visages fermés. Pas de liesse ! « C’est la
vie quotidienne des Palestiniens ». Et Hadera a coïncidé avec les
déclarations inacceptables du président iranien, exigeant qu’Israël
soit rayé de la carte. Pas de manifestation à ma connaissance en
Palestine exigeant la même chose. Et s’il y en a eu, ce fut sans doute
des cas très isolés, dont d’ailleurs les medias se seraient saisis
pour laisser croire que tous les Palestiniens soutiennent les
positions du président iranien. Non, les Palestiniens craignent d’être
les premières victimes de telles déclarations.
Cependant, si les Palestiniens luttent contre la politique
d’occupation israélienne, pour leur Etat avec Jérusalem est comme
capitale, et contre le Mur, leur demande urgente est à l’heure
actuelle de vouloir vivre décemment, de pouvoir travailler.
Des
demandes sociales très fortes sont adressées à l’Autorité
palestinienne en ce moment. D’ailleurs une grande grève dans les
hôpitaux palestiniens a commencé autour du 18 octobre.
Sans parler de
la situation à Gaza qu’Israël a laissée sans eau, sans électricité,
avec sans doute, ce qui n’est pas à souhaiter, une possible
catastrophe humanitaire : une autre stratégie d’enfermement qui ne
peut qu’entraîner la radicalisation, le désespoir, qu’utilisent
certains.
Le monde ne regarde pas l’enfermement actuelle de Gaza, mais
est tombé sous le charme de la stratégie de Sharon au moment du
désengagement de Gaza. C’est un militaire, il sait faire. La "Comm" de
Sharon a été excellente. Il soigne l’image qu’il a lancée au moment des
dernières élections, à savoir de « petit père des peuples », de bon
grand père aux cheveux blancs et qu’il amplifie avec le retrait de
Gaza.
Un bestseller est dans toutes les librairies d’Israël montrant
Sharon en pullover faisant des calins à son chien qu’il tient dans les
bras.
Mahmoud Abbas, quant à lui, pour tenter de répondre à toutes ces
questions politiques et sociales se tourne vers l’Amérique. On sait
qu’Israël et l’Amérique décident de tout, alors.... ( ?). Quel choix
a-t-il ?
Mais le désastre est que l’Europe, sans la moindre structure,
complètement affaiblie et de ce fait inexistante, n’a aucun rôle de
contre-poids et à l’allure où vont les choses, est en train de devenir
réellement un sous-continent de l’Amérique.
Pas de quoi d’être optimiste.