Depuis que la défaite catastrophique des pays arabes durant les guerres de 1948 et de 1967 a mené au contrôle total d’Israël sur le territoire historique de la Palestine, les Palestiniens ont essayé d’obtenir des réparations, en vain.
Réfugiés et prisonniers dans leur propre pays, les Palestiniens se sont engagés à la fois dans la lutte armée, à la fois dans les négociations pacifiques, sans jamais parvenir à obtenir justice ou à rétablir la paix.
Les deux stratégies ont nécessité de grands sacrifices et d’importantes concessions mais n’ont pas mené à la libération de la Palestine du joug israélien. Pire encore, chaque concession palestinienne accroît la frénésie expansionniste d’Israël. Cette illusion d’invincibilité a conduit Israël à annexer illégalement près d’un tiers de ce que les Palestiniens pensaient être leur futur État.
Que l’annexion soit officialisée ou non par Israël, la réalité des Palestiniens a déjà changé de façon radicale et unilatérale sur le territoire.
Et maintenant ? Que faire et ne pas faire de cette situation ?
Poser un bon diagnostic, c’est la moitié du traitement
Il est important de noter que, contrairement à ce que prétend l’actualité, il n’y a pas de « problème palestinien » mais plutôt un « problème colonial israélien » - le dernier problème colonial de la région - et les Palestiniens pourraient être la seule solution pour le résoudre.
Depuis sa création à la fin du XIXe siècle, le sionisme est passé d’un mouvement national juif en Europe à une entreprise coloniale européenne en Méditerranée orientale. Ce qui a conduit, entre autres, à un siècle de conflits et à la haine, alimentée par le nettoyage ethnique, la dépossession de terres et le déplacement de millions de personnes.
Depuis, l’intensification de la colonisation israélienne, en particulier en Cisjordanie, s’est transformée en un véritable système d’apartheid.
L’apartheid est d’ailleurs survenu en Afrique du Sud en 1948, la même année que la catastrophe palestinienne, et s’est terminé en 1994, un an avant que l’apartheid ne commence en Palestine avec l’accord d’Oslo-II, qui divisait les territoires occupés en bantoustans.
Comme en Afrique du Sud, il faudrait qu’un Frederik Willem de Klerk émerge en Israël, pour mettre fin à l’apartheid. Un tel dirigeant reconnaitrait que les Palestiniens sont prêts à se réconcilier et à construire un meilleur avenir avec Israël et, comme en Afrique du Sud, cela ne signifierait pas de mettre fin à l’État Israël mais au contraire, de le libérer de sa paranoïa qui justifie l’hégémonie expansionniste comme son seul moyen de survie.
Si l’on considère que nous appartenons tous à une seule race humaine, l’apartheid n’est finalement qu’une question d’hégémonie qui se cache sous d’autres prétextes, comme le racisme.
La lutte contre l’apartheid doit donc être une lutte universelle et indivisible pour la justice et la liberté - une lutte contre l’antisémitisme et contre le sionisme colonial.
Mais quelle forme et quel chemin doit prendre la lutte ?
Les Palestiniens ont déjà commencé à réfléchir à de nouvelles idées qui méritent d’être développées et approfondies pour mettre fin à l’apartheid. Toutefois, avant d’évoquer ce que les Palestiniens doivent accomplir, revenons sur ce qu’ils doivent éviter.
À ne pas faire
Capituler n’est pas une option. Il ne faut même pas y penser.
Accepter le soi-disant « accord du siècle » proposé par le président américain Donald Trump et son allié le Premier ministre Israélien Benjamin Netanyahou, c’est capituler et céder à l’hégémonie israélienne. Ce qui impliquerait de vivre en captivité pour l’éternité.
Sans reddition, il n’y a pas de victoire. Autrement dit, tant que les Palestiniens ne perdent pas, Israël ne peut pas gagner. Certes, refuser de se rendre n’est pas facile mais cette stratégie s’est avérée efficace pour contrecarrer les plans d’Israël et limiter la malveillance de certains régimes arabes.
Il ne faut pas désespérer. Le temps et l’histoire sont du côté des palestiniens.
Malgré l’assurance d’Israël (disons plutôt son arrogance), il ne faut pas oublier que si le pays s’autoproclame nation « d’immigrants », il s’est néanmoins construit en ponctionnant des centaines de milliers d’émigrants, notamment aux États-Unis. Aujourd’hui, 40% des Israéliens envisagent d’émigrer à leur tour, tandis que d’innombrables Palestiniens risquent leur vie pour réclamer leur droit au retour.
C’est l’histoire qui se répète. Au cours du dernier siècle, les puissances coloniales ont perdu de façon quasi-systématique face à une population indigène plus faible. Il en sera de même pour Israël.
D’ailleurs, les Palestiniens ont astucieusement formulé leur cause d’un point de vue juridique et ont arraché de nombreuses résolutions aux Nations Unies, qui condamnent les violations du droit international par Israël. Toutefois, le droit international ne dissuade pas les forts et ne sauve pas les faibles, encore moins lorsque les États-Unis brandissent leur veto à chaque évocation d’Israël.
Il ne faut donc pas dépendre du droit international. Il ne faut dépendre de personne à part soi-même, et cesser de croire que les Nations Unies convoqueront un jour une conférence de paix internationale sans l’aval des États-Unis.
Oui, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a sa part d’erreurs mais les Palestiniens ne sont aucunement responsables du mépris et de l’incompétence de certains régimes arabes, encore moins du cynisme des puissances occidentales, notamment des États-Unis, qui mènent une politique de conciliation à l’égard d’Israël.
Il faut arrêter de s’apitoyer sur son sort.
Il est difficile de motiver et de dynamiser des personnes déprimées. Les Palestiniens doivent sourire. Les meilleurs rires sont ceux qui se mêlent aux larmes. Il y a beaucoup de choses à craindre mais bien plus à espérer.
Il ne faut pas sous-estimer le poids moral de la cause palestinienne dans le monde arabe et au-delà, quoi qu’en disent les sceptiques. Peu importe le nombre de dictateurs qui reconnaissent Israël, un État d’apartheid ne sera jamais légitime ou en sécurité. Jamais.
Les peuples arabes considèrent la lutte pour la justice palestinienne comme un symbole et une extension de leur propre lutte pour la justice. Les Syriens, les Saoudiens, les Yéménites, les Égyptiens et bien d’autres sombrent dans leurs propres tragédies mais les sondages montrent systématiquement que les Arabes considèrent la Palestine comme la première cause à défendre pour lutter contre le colonialisme. Il ne faut pas l’oublier.
Israël a toujours tenté de séparer les Palestiniens des Palestiniens et les Palestiniens de leur voisins arabes. Il ne faut pas les laisser faire et ne pas s’engager dans des négociations secrètes.
Il existe plusieurs façons de créer des liens et de franchir le fossé géographique.
Alors que les guerres et la diplomatie sont dans une impasse et qu’Israël s’apprête à saisir avec arrogance plus de territoires palestiniens, il faut faire entendre sa voix et ne pas laisser Netanyahou et Trump s’en tirer si facilement.
Il ne faut pas répéter les erreurs du passé.
Il faut tenter de ne pas regarder en arrière. Il faut regarder de l’avant.
Chercher une troisième voie.
Réinventer l’unité palestinienne
Le déséquilibre dans le processus de paix a été source de division importante entre les Palestiniens – chose fréquente lorsque les processus de paix sont asymétriques. Par conséquent, l’abandon de ce dernier devrait déboucher sur une forme d’unité nationale.
La concurrence désespérante entre les principales factions politiques a été jusqu’à présent nocive pour l’unité nationale palestinienne, tout comme l’ont été les élections. Au lieu de s’unir contre l’occupation, les factions politiques ont perdu leur temps à l’entretenir.
Tandis que le Fatah et le Hamas continuent d’insister pour conserver leurs « bastions », à savoir les bantoustans séparés de Cisjordanie et Gaza, certains proposent la création d’une structure politique globale, peut-être une OLP réformée et élargie, afin d’unir tous les Palestiniens autour d’une cause incontestable : la justice.
Cela nécessitera une nouvelle génération de Palestiniens qui s’affirmeront, traceront une nouvelle voie et reprendront la main sur le leadership composé essentiellement de septuagénaires et d’octogénaires.
Toutes les tâches et responsabilités bureaucratiques, que ce soit au niveau de l’autorité nationale ou des municipalités, devraient être déléguées à des technocrates, choisis en fonction du mérite et non de la partisanerie. Ceci demande beaucoup de maturité, d’ingéniosité et de dynamisme.
Une autre idée intéressante serait que les Palestiniens s’unissent derrière plusieurs stratégies, au lieu d’être divisés derrière une seule stratégie de négociations qui a échoué par le passé. Cette décentralisation tactique est synonyme de « mobilisation populaire » où chaque communauté palestinienne pourrait définir et adopter des stratégies de lutte en fonction de ses moyens et de sa situation.
Les Palestiniens de Gaza veulent surement conserver leurs capacités de dissuasion pour se défendre contre les attaques israéliennes. Les Hiérosolymitains veulent sans doute renforcer le caractère palestinien de leur ville. De même, les Palestiniens d’Israël souhaitent sûrement transformer la binationalité démographique d’Israël en binationalité politique. Les Palestiniens de Jordanie désirent sans doute travailler avec les Jordaniens pour bloquer la tentative d’Israël de faire de leur pays le deuxième État palestinien. Quant aux Palestiniens en exil, ils souhaitent sûrement promouvoir la cause palestinienne dans les capitales étrangères. Etc.
Ces micro-stratégies devraient être continuellement synchronisées et intégrées en tant que parties constituantes de la lutte nationale pour la justice et la libération. Les Palestiniens ne devraient plus se contenter d’une « détermination » passive. Ils doivent réactiver et redynamiser leur base populaire.
Renforcer l’immunité palestinienne
Les Palestiniens représentent la moitié de la population entre le Jourdain et la mer Méditerranée, ils doivent donc s’immuniser contre la répression et la marginalisation israélienne. Ils doivent faire contrepoids aux tentatives de division et de marginalisation d’Israël, notamment en améliorant les infrastructures commerciales et la vie économique de leur territoire afin d’aider la population palestinienne à tenir le coup.
L’une des plus grandes réussites des Palestiniens a été le renforcement des institutions politiques, il est essentiel de continuer sur cette voie.
Cela nécessitera de réduire les excès bureaucratiques en mettant fin à la corruption et au népotisme, afin de créer des partenariats entre les secteurs public et privé pour améliorer la planification économique, mais aussi le développement des infrastructures.
Actuellement, un tiers du budget national sert à alimenter l’appareil de sécurité, ce qui est supérieur à l’investissement dans les secteurs de la santé et de l’éducation combinés. Étant donné que ce financement sert davantage la sécurité israélienne que la sécurité palestinienne, il n’y a aucune raison d’y consacrer une telle part du budget palestinien.
Renforcer l’immunité nationale, c’est aussi renforcer l’immunité individuelle au quotidien. Il n’y a pas d’immunité sans dignité nationale et individuelle.
Si un Palestinien peut faire face à l’humiliation d’un soldat israélien, il pourrait toutefois se retrouver impuissant s’il est humilié par un Palestinien (armé). Une telle humiliation est émotionnelle et suscite l’indifférence, voire à la trahison. Il faut y mettre un terme.
Par ailleurs, il n’y a pas de dignité sans travail. Cela signifie qu’il faut créer des emplois, des emplois dignes et productifs, afin que les Palestiniens sans ressources ne soient pas contraints de travailler comme des esclaves dans les colonies israéliennes.
Les Palestiniens font partie des personnes les plus instruites de la région. Un investissement, même modeste, dans le capital humain constituera un avantage national considérable sur le long terme.
Reconstruire des alliances
L’OLP ayant misé exclusivement sur le processus de paix des États-Unis, elle a finalement négligé une grande partie du mouvement de solidarité internationale.
Aujourd’hui, les Palestiniens doivent renouer des liens avec les mouvements de solidarité, européens, latino-américains, africains et autres. Ces derniers sont essentiels pour faire avancer la lutte palestinienne, tout comme ils l’ont été pour mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud.
Par ailleurs, contrairement à de nombreuses populations autochtones délaissées, les Palestiniens ne sont pas seuls. Ils font partie d’une vaste région arabe, au sein de laquelle ils peuvent puiser force et réconfort.
Les Palestiniens ont également un lien spécial avec le monde musulman, dont une très grande partie a terriblement souffert du colonialisme occidental.
Israël ne doit plus être en mesure de justifier l’occupation avec des arguments religieux. De la même manière qu’il est essentiel de faire face à l’occupation avec des arguments civiques et universels, et non religieux. Toutes les entreprises coloniales des derniers siècles ont utilisé diverses justifications religieuses et la Palestine a été le point de convergences des trois religions abrahamiques.
Cependant, lorsqu’on parle de la Palestine comme d’une « terre promise » ou d’un « waqf », l’aspect divin de cette appellation ne sert pas l’intérêt de la pacification et transforme au contraire la Palestine en bien foncier.
La Palestine appartient à tous ses habitants, et surtout à ses peuples autochtones.
Cultiver les partenariats avec la population juive
Il est impératif d’obtenir le soutien de la population juive dans la lutte pour la justice et la liberté palestinienne afin de contrer la propagande d’Israël. Ceci indispensable pour faire reculer l’hégémonie israélienne.
Tout comme la population blanche a participé au mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud et au mouvement des droits civiques aux États-Unis, la population juive est essentielle dans la lutte contre l’apartheid en Palestine.
Tout au long de leur histoire, les Juifs ont été victimes de racisme. Ils ont beaucoup souffert de l’antisémitisme européen, et depuis longtemps, ils sont en première ligne dans la lutte contre le racisme.
J’ai lu récemment une nécrologie intitulée « Denis Goldberg Man of Integrity : South African Freedom Fighter, Anti-Sionist Jew, and True Mensch », publiée par Ronnie Kasrils, militant juif, sud-africain anti-apartheid. Son récit raconte l’histoire de son camarade décédé. Faisant référence à la lutte antiraciste qu’a mené Denis Goldberg tout au long de sa vie, Kasrils écrit qu’en « tant que juif antisioniste, il considérait que le racisme colonial d’Israël était semblable à celui de l’apartheid sud-africain ».
Je connais beaucoup de personnes qui ont travaillé en étroite collaboration avec des universitaires juifs, des étudiants, des journalistes, des féministes, des éditeurs, des avocats, des syndicalistes et des militants, sur diverses causes progressistes, y compris celle de la Palestine libre.
Les Palestiniens doivent se détacher de tous ceux qui propagent des slogans anti-juifs en leur nom. Ils doivent au contraire s’appuyer sur les Juifs, de plus en plus nombreux, qui reprochent au gouvernement israélien de faire des choses épouvantables en leur nom.
Lorsque l’ancien candidat à la présidentielle américaine Bernie Sanders a accusé Netanyahou de « racisme réactionnaire », il a gagné en popularité. Cela montre l’étendue des progrès réalisés par la communauté juive américaine et le Parti démocrate. D’ailleurs, il ne faut pas oublier que la majorité des Juifs américains votent démocrate.
Les Palestiniens doivent entretenir ce nouvel état d’esprit pour contrer la propagande israélienne qui consiste à mettre l’antisionisme et l’antisémitisme sur un pied d’égalité. L’antisionisme n’a rien à voir avec l’antisémitisme. Les Juifs ont d’ailleurs été les premiers à s’opposer au sionisme.
Un nouveau partenariat israélo-palestinien doit être mis en place pour combattre bec et ongles l’injustice israélienne. Il faut dénoncer les pratiques malveillantes du gouvernement israélien, qui qualifie d’antisémites les mouvements comme le Boycott, le Désinvestissement, Sanctions (BDS).
En bref, le moment est venu pour l’émergence d’un printemps palestinien-juif.
La partie finale
L’évolution de cette lutte en déterminera le résultat - deux États ou un État binational, et non l’inverse.
Non seulement le débat permanent sur la singularité ou la dualité des États est prématuré, mais en plus il peut être source division et d’affaiblissement.
Israël s’opposera avec la même détermination à une solution à un État qu’à à un État palestinien souverain, si ce n’est même avec plus de vigueur dans ce dernier cas.
Le plus tôt les dirigeants palestiniens se rendront compte qu’il n’y a pas de raccourcis ou de solution miracle, le plus vite ils seront préparés à faire face aux enjeux sur le long terme. C’est pourquoi la dernière partie de la lutte palestinienne devra être celle de la justice et de la liberté. Ce n’est pas seulement un objectif autour duquel tout le monde devra s’unir, c’est aussi une condition préalable à la paix et à la sécurité dans la région.
Au lieu d’essayer de vaincre Israël à son propre jeu, les Palestiniens doivent forcer ce dernier à revoir ses calculs coûts-bénéfices. C’est de cette façon que les grandes puissances ont été contraintes à renoncer au colonialisme, et c’est ainsi que l’Afrique du Sud a mis fin à son système d’apartheid. Le pouvoir a été obligé de reconsidérer le coût de la colonisation par rapport aux bénéfices qu’il en tirait.
L’Israël de Netanyahou ne pourra avoir le territoire ET la sécurité. Il ne pourra continuer à vivre par l’épée et chanter Kumbaya [NDT : negro spiritual associé à la lutte pour les droits civiques aux États-Unis] aux Palestiniens.
Bref, il ne pourra pas avoir le beurre et l’argent du beurre.
Si l’on se fie à l’histoire, Israël devra mettre un terme à son occupation, comme ont dû le faire toutes les puissances coloniales du siècle dernier.
Le plus tôt sera le mieux, pour les Palestiniens comme pour les Israéliens.
Traduction S.A. pour l’AFPS