Madame la Ministre
En Palestine, l’année 2023 a commencé comme a fini 2022. À Jénine, comme à Jérusalem ou à Masafer Yatta, à Bethléem et à Naplouse, à Hébron, à Salfit et à Gaza : assassinats par l’armée d’occupation, violence des colons, destruction de maisons et de cultures, ordres d’évacuation, confiscation de terres, installation de nouvelles colonies, arrestations arbitraires. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que les crimes s’enchainent : l’armée d’occupation a fait exploser des maisons et tué deux jeunes gens à Jénine. Les enfants du camp de réfugiés à qui était demandé leurs souhaits pour cette année ont répondu qu’ils espéraient qu’il y ait des journées sans martyr·e à pleurer.
Madame la Ministre, est-ce ainsi que des enfants doivent vivre ?
Madame la Ministre, allez-vous voir et entendre les enfants de Palestine ?
- Les cris des enfants du village de Al Maaleh qui le 3 janvier ont été évacués de leur école par l’armée d’occupation venue en prendre les mesures afin de savoir où placer les explosifs qui la feront voler en éclats.
- Le regard désespéré de l’enfant de Silwan à Jérusalem le 4 janvier devant le bulldozer réduisant en poussière sa maison. Le regard apeuré de cet enfant voyant sa mère affronter des soldats intraitables.
- La détresse des enfants déjà arrêtés en nombre en ce début année, fille et garçons, dès 14 ans.
- Le stress traumatique dont souffre la grande majorité des enfants de Gaza exposés à 15 ans de blocus inhumain et à des bombardements meurtriers à répétition.
- Le message trouvé dans la poche de Adam Ayyad, 15 ans, l’enfant du camp de réfugiés de Deisheh assassiné par l’armée d’occupation ce 3 janvier, « J’avais tant de rêves à accomplir mais nous vivons dans un pays où on ne peut pas accomplir ses rêves ».
- Et le dernier souffle de l’enfant du camp de réfugiés de Balata, Amer Abu Zaitoon, 16 ans, abattu d’une balle dans la tête ce 5 janvier par un soldat israélien qui a reçu un permis de tuer en même temps que son uniforme.
- L’incompréhension des enfants des communautés bédouines palestiniennes du désert du Naqab dont Israël nie le lien avec cette terre et qui ont vu eux aussi démolir leurs maisons en ce début d’année.
- La volonté de rester sur leur terre des enfants de Masafer Yatta qui ont regardé une fois de plus des colons ultra-violents arracher 146 arbres à leurs portes, qui ont vu ce 3 janvier, l’armée détruire 4 maisons laissant hommes, femmes et enfants sans toit au milieu du désert en plein hiver.
Ainsi va la vie des enfants de Palestine en 2023. Est-ce ainsi que des enfants doivent être traités ? Est-ce supportable ? Nous ne le supportons pas !
Madame la ministre, comment le président de la République et le gouvernement français peuvent-ils supporter cela ?
Masafer Yatta, c’est ce secteur dans les collines au sud d’Hébron où l’État d’Israël martyrise depuis des mois, des années, une population dont il a rendu la situation extrêmement précaire en la privant de tout service élémentaire : il détruit les maisons, les écoles, bloque et détruit les routes, empêche les agriculteurs d’accéder à leur terre et de faire paitre leurs bêtes, détruit les jardins et les vergers, opère des raids nocturnes dans les villages, confisque les voitures et les tracteurs, coupe l’eau, arrête et violente les habitants…
Vous le savez, à Masafer Yatta c’est le plus grand nettoyage ethnique depuis l’occupation de 1967. Le transfert forcé de population est un crime de guerre. Ce crime a été annoncé et est assumé par le régime israélien d’apartheid ; il est en cours sous nos yeux depuis le mois de mai 2022. Plus de 1000 personnes sont sous cette menace imminente. Vous connaissez tous ces faits avec précisions. Nous aimerions savoir ce que vous allez entreprendre pour arrêter ce crime de guerre.
Ces derniers mois, la France a su s’insurger contre les crimes de guerre commis dans d’autres régions du monde, en particulier en Ukraine, parler haut et fort, agir avec fermeté pour les dénoncer et prendre des sanctions pour arrêter le bras des criminels.
L’attachement au respect du droit international serait-il à géométrie variable pour la France ? Comment le peuple palestinien pourrait-il comprendre ce deux poids deux mesures ? Il ne le comprend pas, nous ne le comprenons pas non plus. Le droit international doit s’appliquer pour toutes et tous et partout !
L’extrême-droite raciste, fasciste, suprémaciste, colonialiste à outrance est au pouvoir en Israël. Benyamin Netanyahou a rappelé quelles sont les lignes directrices de son programme - déjà inscrites dans les lois israéliennes dont la loi de 2018 dite de l’État nation du peuple juif et dans celles qui l’ont précédée : approfondir la dépossession des Palestiniens d’Israël, développer à outrance la colonisation de la Cisjordanie et du Golan, amplifier le nettoyage ethnique à Jérusalem-Est. Le repris de justice Ben Gvir n’a pas attendu longtemps pour fouler au pied les accords concernant l’Esplanade des mosquées et le dit « statu quo ». Le pouvoir israélien ne veut aucun statut quo, il veut « les soumettre [les Palestiniens] une fois pour toutes et le faire dans une guerre finale. » comme l’a affirmé Zvika Vogel, député du parti Force juive d’Itamar Ben Gvir.
Le France ne peut plus rester dans cet attentisme complice où elle s’abstient à l’ONU sur l’enquête sur l’occupation israélienne, où l’exigence du respect du droit international quand il s’agit d’Israël n’est jamais une option, où elle refuse de prendre la moindre sanction contre « un pays ami », où, de fait, elle laisse faire. C’est bien parce qu’Israël se sait dans une impunité totale qu’il continue et renforce la colonisation et le régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien. Face aux crimes de guerre, face aux crimes contre l’humanité, seuls les actes comptent.
Madame la Ministre, il faut en finir avec l’impunité d’Israël. Vous devez apporter immédiatement protection au peuple palestinien mais aussi et surtout arrêter le bras des criminels. Les rares condamnations, les préoccupations, les dénonciations sans suite n’ont aucun effet sur un régime d’apartheid. Il faut passer des mots aux actes !
La France se grandirait d’être à l’initiative de sanctions économiques, politiques et diplomatiques au sein des instances internationales pour sauver Masafer Yatta, arrêter le nettoyage ethnique et en finir avec la colonisation, l’occupation etet le régime d’apartheid israélien. La communauté internationale peut arrêter la catastrophe annoncée à condition qu’elle en ait la volonté politique. C’est maintenant.
Le Bureau national de l’AFPS, 6 janvier 2023