P’tit Libé est un journal numérique hebdomadaire pour 7-12 ans. Il faut être abonné pour y accéder. Le numéro 36 du vendredi 15 décembre est consacré au conflit israélo-palestinien. Le chapeau, la fiche 1 et la bibliographie sont libres d’accès.
http://ptitlibe.liberation.fr/israel-palestine,100900
L’analyse présentée ici en janvier 2018 est proposée par le groupe de travail EDUCATION PUBLICATION-JEUNESSE de l’AFPS. Elle n’engage que lui.
Pour lui écrire : gt-manuels@france-palestine.org.
Lire notre lettre envoyée à la rédaction du P’tit Libé
Notre analyse et nos remarques sur ce dossier portent sur des extraits du texte par ailleurs très court. Nous ne reprenons pas toutes les formules qui peuvent faire débat. En ne citant que des extraits, en italique dans cette note, le GT souhaite attirer l’attention sur l’exactitude nécessaire de toute information.
Présentation générale
- On peut certainement apprécier l’insistance des auteurs à présenter le caractère illégal de l’occupation. Mais ils le font avec beaucoup de prudence, alors que les textes des organisations internationales sont connus et très clairs.
- Il est très regrettable que le conflit soit fréquemment présenté comme un conflit religieux : certes, les Israéliens sont en majorité juifs, pratiquants ou pas et les Palestiniens en majorité musulmans, pratiquants, croyants ou pas. Mais faut-il insister, ce n’est pas un conflit religieux alors que la fiche sur les recommandations de lecture et le quiz sont assez orientés en ce sens.
- Nous y lisons aussi beaucoup d’approximations et erreurs majeures sur, entre autres, la création d’Israël et l’immigration juive en Palestine qui n’est présentée que comme réponse à la Shoah.
NOTRE ANALYSE SUR QUELQUES EXTRAITS en italique ici
CHAPEAU
Le président américain, Donald Trump, vient de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël. Problème : la plupart des pays du monde pense que ce pays occupe illégalement une partie de la ville où vivent aussi des Palestiniens. Pourquoi les Palestiniens et les Israéliens se disputent-ils le même territoire depuis 69 ans ? Dans ce nouveau numéro, je t’explique tout sur ce conflit.
En datant le problème de 69 ans, l’auteur fait un choix inacceptable : la déclaration Balfour a un siècle et le projet de la création d’un État juif sur un territoire déjà occupé n’est pas seulement la conséquence de la seconde guerre mondiale. Très antérieur, ce projet a un nom : le projet sioniste.
Fiche 1 Tavor, Israélien, et Areen, Palestinienne, vont au même collège
Tavor, Israélien, et Areen, Palestinienne, vont au même collège, [...] Hand in Hand, dans lequel des jeunes Israéliens et Palestiniens travaillent ensemble. C’est là qu’étudient Tavor et Areen.
Areen est musulmane et habite à l’est de Jérusalem. Tavor est juif et habite dans une colonie pas très loin.
Tavor : Ma grand-mère était très fâchée que Trump fasse ça. Parce que ça ne change rien pour les juifs, mais ça fait mal aux Palestiniens. Elle a peur que ça cause des attaques terroristes…
Areen : Mes parents ont dit pareil ! [,,] Et il a dit que c’était pour amener la paix, mais c’est faux ! Ça va juste faire tuer des gens.
En soi choisir ce type d’établissement (Hand in Hand*) pour construire la trame de la publication est intéressant pour illustrer la coexistence possible (rêvée ?) des deux peuples. Ce type d’établissements est exceptionnel et fragile, surtout quand on constate l’évolution respective des deux sociétés. Preuve en est : plus loin dans le texte il est mentionné « Dans cette partie de la ville, à Jérusalem-Est, les deux peuples vivent séparément. »
*https://en.wikipedia.org/wiki/Hand_in_Hand:_Center_for_Jewish-Arab_Education_in_Israel
Dans la bouche de Tavor, le terme de terroriste est toujours associé aux Palestiniens. Il serait temps de déconstruire cette assimilation ou du moins dans la bouche d’un Israélien de la justifier.
Fiche 2 Que se passe-t-il ?
Les Israéliens sont en majorité juifs et ont un pays, Israël. Les Palestiniens sont en majorité musulmans et aimeraient avoir un pays, la Palestine, mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, il existe un État pour les Israéliens mais pas pour les Palestiniens.
Ce n’est pas faux mais c’est imprécis et renforce les représentations. Pour le lecteur, la confusion est maintenue entre l’appartenance à la communauté juive et le fait de pratiquer la religion juive.Il aurait été important de mentionner dès le début les 20% de population non-juive dont les droits, dans la réalité, ne sont pas égaux aux Israéliens juifs. Assimiler majorité « Palestinien et musulman » c’est renforcer la connotation religieuse à la question de Palestine. Et il serait cependant important d’indiquer là l’existence des Palestiniens chrétiens.
La Palestine n’existe pas en tant qu’État souverain mais elle est reconnue par la plupart des pays du monde sauf les grands pays occidentaux, elle siège à l’ONU comme membre observateur En Europe, la Suède reconnaît la Palestine, le Vatican également La Palestine est reconnue dans de nombreux organismes internationaux : l’UNESCO, la CPI par ex.
Fiche 3 Pourquoi y a-t-il des Israéliens et des Palestiniens sur ce territoire ?
Les survivants ont voulu se réfugier hors d’Europe. Ils rêvaient de se retrouver sur cette terre sur laquelle leurs ancêtres habitaient il y a 3 000 ans.
D’autres Palestiniens sont devenus Israéliens et vivent en Israël, notamment dans des villes comme Nazareth.
Tous les survivants de la Shoah n’ont pas souhaité participer à la colonisation de la Palestine voulue par le sionisme, tous les Juifs ne se considèrent pas comme les descendants des habitants juifs de l’Antiquité, et ce sont souvent les pays occidentaux qui ont poussé les survivants vers la Palestine plutôt que de les accueillir. Et après 1948 beaucoup de Juifs du Maghreb et des pays arabes ont été poussés à quitter leurs pays pour venir en Israël.
Ils sont 20% de la population d’Israël et se définissent de plus en plus comme "Palestiniens d’Israël" . Il est nécessaire d’ajouter qu’ à la suite des vagues d’expulsions de 1947-49 et de 1967, plus de la moitié de la population palestinienne est à l’étranger : réfugiés et descendants de réfugiés.
Fiche 4 Que s’est-il passé depuis la création d’Israël ?
Au lendemain de la création de l’Etat d’Israël, le 14 mai 1948 [,,] les Palestiniens qui n’ont pas fui deviennent Israéliens, les autres se réfugient dans les pays voisins (Jordanie et Liban) ou restent dans les Territoires palestiniens occupés par Israël. Israël s’est retiré de la bande de Gaza en 2005.
En 1987 et en 2000, des Palestiniens se sont révoltés contre cette occupation. [..] Pour se protéger, Israël a construit un immense mur entre son État et les Territoires palestiniens. Pour aller en Israël, les Palestiniens doivent franchir des points de passage où ils sont contrôlés et fouillés par l’armée israélienne.
ERREUR ! : Les historiens ont démenti, y compris les historiens israéliens, ce fut pour la majorité des Palestiniens une expulsion, décidée depuis longtemps, Sa mise en œuvre débute dès décembre 1947, connaît une nouvelle vague pendant la guerre de 1967, et se poursuit encore aujourd’hui par la création de colonies.
Raccourci : les « territoires palestiniens » sont jusqu’en 1967 administrés par l’Égypte et la Jordanie.
Le fait que le retrait de la bande de Gaza en 2005 s’accompagne d’un renforcement du blocus n’est pas signalé.
Beaucoup trop imprécis, ce texte reprend la thèse sécuritaire israélienne, alors que le Mur permet l’annexion de 8% de la Cisjordanie au territoire israélien. La sécurité n’est que prétexte pour accroître le territoire israélien sur les terres palestiniennes
Ces points de passage, très nombreux en Cisjordanie empêchent toute vie sociale. Gaza est quasiment inaccessible, il est très difficile d’en sortir.
Fiche 5 Que représente Jérusalem ?
Jérusalem est une ville sainte pour trois religions : juive, musulmane et chrétienne. Ça veut dire qu’elle a été le lieu de passage d’un personnage important de chacune de ces religions.
La ville est divisée en deux parties : Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest. Les Israéliens habitent surtout à l’Ouest et les Palestiniens surtout à l’Est, où vivent aussi des colons israéliens.
La dimension religieuse de Jérusalem est incontestable, le respect des lieux saints de chacune des religions une nécessité. Les revendications religieuses des juifs ultras sur l’espace de l’Esplanade des mosquées, musulmane sont fréquentes, provocantes. Elles sont utilisées par des politiciens israéliens comme Sharon en 2000 pour contester la présence palestinienne sur leur propre territoire. Il est nécessaire de rappeler que beaucoup d’Israéliens juifs habitent Jérusalem-Est , dans des colonies. Certains de ces colons accaparent les maisons et les terrains des Palestiniens fréquemment avec violence. Y a-t-il vraiment beaucoup de Palestiniens qui vivent à Jérusalem-Ouest ?
Une des illustrations ci-dessus de ce petit dossier au graphisme très actuel et séduisant. Cette carte est trompeuse elle ferait croire que la ville est également habitée par les deux populations sans que les 200 000 colons ( soit le 1/4 de la population de Jérusalem) ne soient mentionnés.
Les Palestiniens de Jérusalem ne sont pas citoyens à égalité des Israéliens, colons ou non.
Par ailleurs, les colons accaparent les maisons et les terrains des Palestiniens le plus souvent avec violence Les Palestiniens de Jérusalem-Est ont de très très rares autorisations de construire. Ce qui est donc construit l’est de façon illégale suivant la loi israélienne. Les autorités israéliennes imposent alors des ordres d’expulsion, Il arrive fréquemment que le propriétaire ( qui n’a pas eu l’autorisation de construire) doive détruire lui-même son bâtiment ou payer une entreprise pour le faire. Double peine !
Le quiz (extraits des questions et surtout des réponses qui font débat) :
Question 1 : pourquoi la plupart des pays du monde ne veulent pas reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël ?
La réponse : Les Israéliens ont en effet conquis l’est de la ville à la suite d’une guerre en 1967 alors qu’un autre peuple, les Palestiniens, vivait là. Aujourd’hui, Israéliens et Palestiniens aimeraient avoir Jérusalem comme capitale.
Il aurait fallu écrire que c’est en respect du Droit international. L’annexion unilatérale en 1980 de Jérusalem comme capitale d’Israël et déclarée « unifiée » a été refusée par la très grande majorité des États. La reconnaissance par Trump en 2017 de ce coup de force condamne « le processus de paix » dits des Accords d’Oslo de 1993. En 1947, le Plan de partage de l’ONU avait inclus le territoire de Jérusalem et de Bethléem comme territoire distinct des deux États.
Question 2 : qu’est-ce qu’Israël ?
La réponse : Israël est un Etat créé sur un territoire qui s’appelait la Palestine. Sur ce territoire vivaient des Juifs qui fuyaient les violences dont ils étaient victimes depuis longtemps et qui voulaient s’installer sur la terre de leurs ancêtres. Il y avait aussi des Palestiniens, plus nombreux, qui vivaient là depuis très longtemps.
Quand sera-t-il possible de ne plus citer comme justification de la colonisation la volonté de juifs de vivre sur la terre de leurs ancêtres ? En soi c’est vrai. Mais est-ce un argument suffisant et surtout exclusif ? Va-t-on déclarer pertinente une revendication anglaise sur la Gascogne au prétexte qu’elle fut anglaise au Moyen-Age ? Le « Grand Israël » des premiers sionistes excluait tout territoire aux Palestiniens. Ce que des colons israéliens prétendent encore aujourd’hui.
Par ailleurs Israël prétend être l’État de tous les juifs dans le monde, remettant en question dès lors son caractère démocratique en excluant ainsi ses populations non juives.
Question 8 : Pour qui la ville de Jérusalem est-elle sainte ?
La réponse : Pour les musulmans, c’est là que le prophète Mohammed (on dit aussi Mahomet) a accompli un voyage nocturne avant de mourir. Pour les Juifs, c’est notamment à Jérusalem que Dieu empêcha Abraham de tuer son fils comme il le lui avait demandé. Pour les chrétiens, c’est là que Jésus, le fils de Dieu, a été crucifié puis a ressuscité.
La dimension religieuse de Jérusalem en fait une ville-monde particulière. Raison de plus pour insister sur son statut ; déclarer qu’elle est capitale d’un État juif est mettre le feu aux poudres.
EN CONCLUSION : Détails trop compliqués pour les enfants ? Nous ne le pensons pas. Et puis, comme vous le savez, ces dossiers sont aussi lus par leurs parents, qu’il ne faut pas induire en erreur. Nous suggérons aux rédacteurs de rectifier les erreurs les plus manifestes dans les archives de la publication, cela serait une preuve du respect pour les lecteurs.
Sur quelques-uns des livres de la bibliographie proposée des critiques ont déjà été faites :
Une bouteille dans la mer de Gaza de Valérie Zenatti (L’Ecole des loisirs, 6,80 €). Dès 13 ans.
Tal a 17 ans et rêve de devenir pédiatre ou cinéaste. Cette jeune israélienne habite à Jérusalem, une ville frappée par la violence. Un soir, un attentat tue, à côté de chez elle, six personnes. Ça arrive si souvent. Mais cette fois, il y a un drame dans le drame : une jeune femme qui devait se marier le lendemain fait partie des victimes. Tal veut comprendre. Elle veut savoir qui est cet « ennemi » palestinien. Elle écrit une lettre, la glisse dans une bouteille et la donne à son frère qui fait son service militaire à Gaza. Un jeune garçon, qui ne veut au départ pas donner son nom, lui répond un jour sur sa boîte mail. Il se moque de sa naïveté et de ses espoirs. Mais Tal insiste, prend patience. Et lorsque l’un d’eux ne répond plus, l’autre s’inquiète de son sort. Cette très belle correspondance entre deux adolescents montre que l’horreur, la peur, la colère et le désir de paix peuvent se vivre des deux côtés.
Cette présentation par P’tit Libé est trompeuse. Une adhérente de l’AFPS avait rédigé la note ci-dessous en 2009 :
Ce livre est une tromperie : c’est soi disant une tentative de l’auteur "de traverser la frontière et de s’identifier aux deux peuples", il faut, malheureusement, le dire clairement : la posture annoncée par V. Zenatti n’est pas respectée. Son parti pris pour Israël est visible, presque grossier pour qui connaît la réalité de la situation.
Ce livre conforte nombre d’idées reçues et clichés sur les deux peuples et leurs réalités. Il trompe des lecteurs de parfaite bonne foi. Il a été et est abondamment relayé dans les milieux scolaires, des bibliothèques et librairies, notamment pour la jeunesse.
A travers les deux jeunes personnages, Tal, l’Israélienne et Naïm, le Palestinien, quelles images des deux peuples ?
- Toute l’évocation d’Israël est positive. Tous les Israéliens décrits sont « pour la paix » et respectueux des arabes*. Pas un colon, pas un raciste, pas un patron abusif, pas un juif intégriste, juste des "juifs pieux en habit noir".
- L’Image de la Palestine est négative et stéréotypée. La réalité de l’occupation est occultée.
Rappelons, même si cela va de soi, que ce "Palestinien" n’est qu’un artifice d’écriture et que ce sont les opinions de l’auteur que nous lisons !
Dans une interview, V.Zenatti dit que pour les besoins de la fiction, elle a voulu qu’un des deux "personnages soit cynique, haineux" et ... le personnage "haineux", c’est le Palestinien !
Un livre à déconseiller.