Ordonnance de la Cour internationale de justice sur l’application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël)
Demande tendant à la modification de l’ordonnance du 26 janvier 2024 indiquant des mesures conservatoires
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III. CONCLUSION ET MESURES A ADOPTER
41. La Cour conclut, à la lumière des considérations qui précèdent, que les circonstances de l’espèce exigent qu’elle modifie sa décision concernant les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024.
42. La Cour rappelle que, conformément au paragraphe 2 de l’article 75 de son Règlement, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui sont sollicitées.
43. En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires demandées par l’Afrique du Sud, ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que les mesures à indiquer n’ont pas à être identiques à celles qui sont sollicitées.
44. En ce qui concerne les mesures demandées par l’Afrique du Sud qui sont adressées à des États ou entités n’étant pas parties à la présente procédure, la Cour rappelle que
« l’arrêt rendu dans une affaire donnée par lequel [elle] peut reconnaître au demandeur ou au défendeur certains droits contestés n’est, en vertu de l’article 59 du Statut de la Cour, “obligatoire que pour les parties en litige” [et] que, par voie de conséquence, [elle] peut, pour la sauvegarde de ces droits, indiquer des mesures conservatoires à prendre par les parties, mais non par des États tiers ou d’autres entités alors que ceux-ci ne seraient pas tenus de reconnaître et respecter ces droits par application de l’arrêt qui sera en définitive rendu » (Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie (Serbie et Monténégro)), mesures conservatoires, ordonnance du 13 septembre 1993, C.I.J. Recueil 1993, p. 344, par. 40).
Il s’ensuit que la Cour ne peut, dans l’exercice de son pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires en la présente affaire, indiquer les trois premières mesures sollicitées par la demanderesse (voir le paragraphe 11 ci-dessus).
45. Conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, et au vu de la dégradation des conditions de vie auxquelles sont soumis les Palestiniens de Gaza, en particulier de la propagation de la famine et de l’inanition, Israël doit : a) prendre toutes les mesures nécessaires et effectives pour veiller sans délai, en étroite coopération avec l’ONU, à ce que soit assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence, notamment la nourriture, l’eau, l’électricité, le combustible, les abris, les vêtements, les produits et installations d’hygiène et d’assainissement, ainsi que le matériel et les soins médicaux, aux Palestiniens de l’ensemble de la bande de Gaza, en particulier en accroissant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et en maintenant ceux-ci ouverts aussi longtemps que nécessaire ; et b) veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant une violation de l’un quelconque des droits des Palestiniens de Gaza en tant que groupe protégé en vertu de la convention sur le génocide, y compris en empêchant, d’une quelconque façon, la livraison d’aide humanitaire requise de toute urgence.
46. La Cour considère en outre que la situation catastrophique dans la bande de Gaza confirme la nécessité que soient immédiatement et effectivement mises en œuvre les mesures indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024, qui sont applicables à l’ensemble de la bande de Gaza, y compris Rafah. Dans ces conditions, elle juge nécessaire de réaffirmer les mesures indiquées dans cette ordonnance.
47. Au vu des mesures conservatoires spécifiques qu’elle a décidé d’indiquer, la Cour considère qu’Israël doit, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, lui soumettre un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance. Le rapport ainsi soumis sera ensuite communiqué à l’Afrique du Sud, qui aura la possibilité de faire part à la Cour de ses observations à son sujet.
48. La Cour rappelle que ses ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l’article 41 du Statut ont un caractère obligatoire et créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées (Allégations de génocide au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Ukraine c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, ordonnance du 16 mars 2022, C.I.J. Recueil 2022 (I), p. 230, par. 84).
49. La Cour souligne que la présente ordonnance est sans préjudice de toute décision concernant le respect par le défendeur de son ordonnance du 26 janvier 2024.
50. Dans son ordonnance du 26 janvier 2024, la Cour s’est dite gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés, et a appelé à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages. Elle estime qu’il est profondément inquiétant que nombre de ces otages demeurent en captivité et réitère son appel en faveur de leur libération immédiate et inconditionnelle.
51. Par ces motifs, LA COUR,
1) Par quatorze voix contre deux,
Réaffirme les mesures conservatoires indiquées dans son ordonnance du 26 janvier 2024 ;
2) Indique les mesures conservatoires suivantes :
L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions de vie auxquelles sont soumis les Palestiniens de Gaza, en particulier de la propagation de la famine et de l’inanition :
a) À l’unanimité,
Prendre toutes les mesures nécessaires et effectives pour veiller sans délai, en étroite coopération avec l’Organisation des Nations Unies, à ce que soit assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence, notamment la nourriture, l’eau, l’électricité, le combustible, les abris, les vêtements, les produits et installations d’hygiène et d’assainissement, ainsi que le matériel et les soins médicaux, aux Palestiniens de l’ensemble de la bande de Gaza, en particulier en accroissant la capacité et le nombre des points de passage terrestres et en maintenant ceux-ci ouverts aussi longtemps que nécessaire ;
b) Par quinze voix contre une,
Veiller, avec effet immédiat, à ce que son armée ne commette pas d’actes constituant une violation de l’un quelconque des droits des Palestiniens de Gaza en tant que groupe protégé en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, y compris en empêchant, d’une quelconque façon, la livraison d’aide humanitaire requise de toute urgence ;
3) Par quinze voix contre une,
Décide que l’État d’Israël devra, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance.