Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël)
Demande tendant à la modification de l’ordonnance du 28 mars 2024
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III. CONCLUSION ET MESURES A ADOPTER
48. La Cour conclut, à la lumière des considérations qui précèdent, que les circonstances de l’espèce exigent qu’elle modifie la décision énoncée dans son ordonnance du 28 mars 2024.
49. La Cour rappelle que, conformément au paragraphe 2 de l’article 75 de son Règlement, lorsqu’une demande en indication de mesures conservatoires lui est présentée, elle a le pouvoir, en vertu de son Statut, d’indiquer des mesures totalement ou partiellement différentes de celles qui sont sollicitées. En la présente espèce, ayant examiné le libellé des mesures conservatoires demandées par l’Afrique du Sud, ainsi que les circonstances de l’affaire, la Cour estime que les mesures à indiquer n’ont pas à être identiques à celles qui sont sollicitées.
50. La Cour considère qu’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention sur le génocide, arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle.
51. La Cour rappelle que, dans son ordonnance du 26 janvier 2024, elle a, entre autres, prescrit à Israël de « prendre des mesures effectives pour prévenir la destruction et assurer la conservation des éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention » sur le génocide (voir ci-dessus, paragraphe 5). Dans ces circonstances, la Cour est également d’avis que, afin de préserver les éléments de preuve relatifs aux allégations d’actes entrant dans le champ d’application des articles II et III de la convention, Israël doit prendre des mesures permettant effectivement de garantir l’accès sans entrave à la bande de Gaza à toute commission d’enquête, toute mission d’établissement des faits ou tout autre organisme chargé par les organes compétents de l’ONU d’enquêter sur des allégations de génocide.
52. La Cour considère également que la situation catastrophique à Gaza confirme la nécessité que soient immédiatement et effectivement mises en œuvre les mesures indiquées dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, qui sont applicables à l’ensemble de la bande de Gaza, y compris Rafah. Dans ces circonstances, elle juge nécessaire de réaffirmer les mesures indiquées dans ces ordonnances. Ce faisant, la Cour tient à souligner que la mesure figurant à l’alinéa a) du point 2 du dispositif (paragraphe 51) de son ordonnance du 28 mars 2024, prescrivant que soit assurée, « sans restriction et à grande échelle, la fourniture par toutes les parties intéressées des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence », impose au défendeur de maintenir ouvert tout point de passage terrestre, et en particulier celui de Rafah.
53. Au vu des mesures conservatoires spécifiques qu’elle a décidé d’indiquer, la Cour considère qu’Israël doit, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, lui soumettre un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance. Le rapport ainsi soumis sera ensuite communiqué à l’Afrique du Sud, qui aura la possibilité de faire part à la Cour de ses observations à son sujet.
54. La Cour rappelle que ses ordonnances indiquant des mesures conservatoires au titre de l’article 41 du Statut ont un caractère obligatoire et créent donc des obligations juridiques internationales pour toute partie à laquelle ces mesures sont adressées (Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Arménie c. Azerbaïdjan), mesures conservatoires, ordonnance du 22 février 2023, C.I.J. Recueil 2023, p. 29, par. 65).
55. La Cour souligne que la présente ordonnance est sans préjudice de toute décision concernant le respect par le défendeur de ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024.
56. Dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, la Cour s’est dite gravement préoccupée par le sort des personnes enlevées pendant l’attaque en Israël le 7 octobre 2023 et détenues depuis lors par le Hamas et d’autres groupes armés, et a appelé à la libération immédiate et inconditionnelle de ces otages. Elle estime qu’il est profondément inquiétant que nombre de ces otages demeurent en captivité et réitère son appel en faveur de leur libération immédiate et inconditionnelle.
57. Par ces motifs, La COUR,
1) Par treize voix contre deux,
Réaffirme les mesures conservatoires indiquées dans ses ordonnances des 26 janvier et 28 mars 2024, qui doivent être immédiatement et effectivement mises en œuvre ;
2) Indique les mesures conservatoires suivantes :
L’État d’Israël doit, conformément aux obligations lui incombant au titre de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et au vu de la dégradation des conditions d’existence auxquels sont soumis les civils dans le gouvernorat de Rafah :
a) Par treize voix contre deux,
Arrêter immédiatement son offensive militaire, et toute autre action menée dans le gouvernorat de Rafah, qui serait susceptible de soumettre le groupe des Palestiniens de Gaza à des conditions d’existence capables d’entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
b) Par treize voix contre deux,
Maintenir ouvert le point de passage de Rafah pour que puisse être assurée, sans restriction et à grande échelle, la fourniture des services de base et de l’aide humanitaire requis de toute urgence ;
c) Par treize voix contre deux,
Prendre des mesures permettant effectivement de garantir l’accès sans entrave à la bande de Gaza à toute commission d’enquête, toute mission d’établissement des faits ou tout autre organisme chargé par les organes compétents de l’Organisation des Nations Unies d’enquêter sur des allégations de génocide ;
3) Par treize voix contre deux,
Décide que l’État d’Israël devra, dans un délai d’un mois à compter de la date de la présente ordonnance, soumettre à la Cour un rapport sur l’ensemble des mesures qu’il aura prises pour donner effet à cette ordonnance.