Photo : Au moins 770 enfants palestiniens ont été détenus par les forces d’occupation israéliennes en Cisjordanie occupée depuis le début du génocide israélien © utilisateur X
Mohammad avait 12 ans, un adolescent passionné de football qui passait ses journées à rêver d’une carrière sur le terrain et ses dernières minutes à s’entraîner à jouer au ballon. Ghassan avait 14 ans, c’était un adolescent calme et généreux qui faisait des courses pour des parents âgés, avec un frère de six ans qui l’adorait et qui était collé à lui comme une ombre.
Les deux garçons ont été abattus cet été par des soldats israéliens, victimes d’une recrudescence sans précédent des attaques contre les enfants en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est.
Au cours de l’année qui a suivi l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre 2023, les troupes israéliennes et les colons ont tué 171 enfants palestiniens, ce qui équivaut à un décès presque tous les deux jours, selon les données de l’ONU. Plus de 1 000 autres ont été blessés.
La plus jeune victime est une fillette de quatre ans, tuée par balle alors qu’elle et sa mère étaient assises dans un taxi près d’un poste de contrôle en janvier.
Officiellement, il n’y a pas de guerre en Cisjordanie occupée, et l’ampleur des morts à Gaza a éclipsé les pertes subies dans cette région. Mais les enfants meurent en plus grand nombre que jamais depuis que l’armée israélienne a pris le contrôle de la région en 1967.
« L’année dernière, le nombre d’enfants tués dans des violences liées au conflit en Cisjordanie a augmenté de manière extrêmement préoccupante et nous constatons déjà que la tendance se poursuit », a déclaré Jonathan Crickx, porte-parole de l’Unicef Palestine.
« L’Unicef veut tirer la sonnette d’alarme : des enfants sont régulièrement tués et gravement blessés, le plus souvent par des balles réelles. »
L’ONU ne comptabilise que les enfants victimes dont elle a vérifié le nom, l’âge et la cause du décès.
Aucun soldat n’a été inculpé pour ces tirs, et l’armée israélienne n’a pas abordé directement la question de l’augmentation du nombre d’enfants victimes lorsqu’elle a été sollicitée pour un commentaire.
Les enfants de Cisjordanie occupée « participent souvent » à des émeutes au cours desquelles des pierres, des cocktails molotov et des explosifs sont lancés, et « même à des activités terroristes contre les forces de sécurité et les citoyens israéliens », a déclaré l’armée dans un communiqué.
Lorsqu’un Palestinien est tué, l’armée israélienne n’ouvre pas d’enquête criminelle s’il n’y a pas de soupçon apparent d’actes répréhensibles de la part des soldats de l’armée israélienne, ou si la cible participait à une activité qui « avait clairement un caractère de combat », ajoute le communiqué.
Hanin Hoshiyeh, 37 ans, a transformé son petit salon en une sorte de sanctuaire de fortune pour son fils, Mohammad Morad Ahmad Hoshiyeh, qui est sorti s’entraîner au football une semaine avant son treizième anniversaire, fin juin, et n’est jamais rentré à la maison.
Des chaussures de football trônent à côté d’un portrait encadré, d’un Rubik’s cube et d’une maquette d’avion qu’il a gagnée pour avoir obtenu les meilleures notes en troisième année. Il n’a jamais pu voyager dans un véritable avion.
À côté, des gants de gardien de but sont soigneusement croisés sur un précieux maillot du Real Madrid. Il apparaît dans les vidéos de sa routine de fitness sur son compte TikTok, où ses rêves exubérants de préadolescent de gloire sur le terrain ont une postérité numérique qui s’estompe.
Mohammad a été abattu dans l’après-midi du 14 juin, à une cinquantaine de mètres de son domicile situé en bordure d’un camp de réfugiés dans le sud-est de Ramallah.
Il se trouvait sur le terrain d’un quartier lorsque des soldats israéliens ont envahi la zone, à la poursuite d’un homme qui avait foncé sur un poste de contrôle avec une voiture volée et blessé un soldat.
Hanin avait dit à son fils de rentrer directement à la maison s’il voyait des soldats dans la rue, et Mohammad a apparemment été abattu alors qu’il tentait de rejoindre sa mère.
Une vidéo filmée quelques instants avant et après l’attaque fatale montre Mohammad en train de courir dans une rue vide, avec des soldats à une extrémité. La caméra s’éloigne avant qu’il ne soit touché, puis revient en arrière pour le montrer allongé sur le trottoir, luttant brièvement pour rester debout, puis s’effondrant.
Une séquence ultérieure montre l’enfant de 12 ans gisant en sang au milieu de la rue encore vide. Selon des témoins, les troupes israéliennes ont empêché les secours d’approcher pendant 20 minutes.
Les secouristes et les activistes affirment que les forces israéliennes empêchent régulièrement les sauveteurs d’atteindre les enfants abattus pendant de longues périodes.
L’armée israélienne a déclaré qu’elle n’empêchait pas les médecins d’atteindre les Palestiniens blessés, mais qu’elle limitait leurs mouvements pendant les opérations militaires, « pour assurer la sécurité des équipes de secours ».
L’armée israélienne a déclaré que Mohammed, âgé de 12 ans, avait participé à une « émeute violente » et que les soldats avaient ouvert le feu pour disperser une foule, bien qu’aucune image ne soit visible sur la vidéo de la fusillade. « Les circonstances de l’affaire font l’objet d’une enquête », précise le communiqué.
Mohammad est décédé à l’hôpital huit jours après la fusillade, des suites d’une seule blessure par balle à l’abdomen.
« Nous avons passé 12 ans à élever notre enfant », a déclaré Hanin. « Il commençait à peine à grandir et ils ont mis fin à sa vie. »
Les attaques israéliennes contre les enfants palestiniens qui grandissent en Cisjordanie occupée avaient atteint un sommet en 2002, au cours de la deuxième Intifada, lorsque 85 enfants avaient été tués, selon les données du groupe de défense des droits B’tselem.
Depuis le 7 octobre 2023, le nombre d’assassinats a doublé. La majorité d’entre eux ont été touchés par des balles réelles, souvent d’une seule balle dans la tête ou le torse. D’autres ont été tués par des drones et des frappes aériennes.
Deux enfants israéliens ont été tués dans des violences liées au conflit dans la région au cours de cette période, a déclaré l’ONU.
Le père de Mohammad, Murad Hoshiyeh, souhaite que le soldat qui a tiré sur son fils soit jugé, mais il ne peut même pas franchir les points de contrôle en Israël pour déposer une plainte.
« Mon fils était innocent », a-t-il déclaré. « C’est une oppression totale. Imaginez si c’était l’inverse. S’ils apprenaient que quelqu’un veut faire du mal à l’un de leurs enfants, que feraient-ils ? »
Le sentiment de M. Murad que les forces israéliennes peuvent tuer des enfants comme son fils en Cisjordanie occupée en toute impunité reflète une réalité dans laquelle les enquêtes sont inhabituelles et les poursuites exceptionnelles, selon Defense for Children International - Palestine (DCIP), la seule organisation palestinienne de défense des droits de l’homme qui se concentre spécifiquement sur les droits de l’enfant.
« Le problème le plus important est l’absence de responsabilité. Dans presque tous les cas, Israël n’ouvre pas d’enquête, sauf en cas de couverture médiatique », a déclaré Ayed Abu Eqtaish, directeur de l’obligation de rendre des comptes pour DCIP.
« Mais même les enquêtes n’aboutissent à rien. En dix ans, il n’y a eu qu’un seul cas où les autorités israéliennes ont demandé des comptes à un soldat pour avoir tué un enfant. »
En 2018, Ben Deri a été reconnu coupable d’avoir tué Nadim Nuwara, 17 ans, lors d’une manifestation au poste de contrôle de Beitunia. Le tribunal a estimé qu’il ne représentait pas une menace pour les soldats à ce moment-là. Ben Deri a été condamné à neuf mois de prison, mais a été libéré deux mois plus tôt.
Il a purgé moins de peine pour avoir tué un enfant palestinien que de nombreux enfants palestiniens n’en purgent pour avoir jeté des pierres sur des soldats israéliens.
Il est tellement difficile d’obtenir justice dans le système israélien pour les enfants palestiniens tués par des Israéliens que DCIP se concentre désormais sur le triste travail de documentation des enfants victimes.
« L’organisation a été créée pour défendre les enfants dans le cadre du système juridique israélien et, à un moment donné, elle est parvenue à la conclusion qu’il était impossible d’obtenir justice par le biais du système judiciaire militaire, si bien que nous avons commencé à recueillir des preuves », explique Eqtaish.
Leur site web est un catalogue de vies fauchées, avec des cas publiés étayés par des preuves, notamment des dossiers médicaux, des rapports de témoins et des certificats de décès.
Salaam Zahran peut se tenir à côté des jasmins de son balcon et regarder l’école où étudiait son fils Ghassan, au-delà la route sur laquelle les soldats israéliens se tenaient lorsqu’ils ont abattu le jeune homme de 14 ans, et au loin les tours de Tel Aviv qui brillent au soleil au bord de la Méditerranée.
Quelque part parmi elles se trouve le quartier général de l’armée israélienne, visible pour les Palestiniens d’ici, mais aussi lointain et inexplicable qu’un mirage.
Salaam n’a même pas essayé de déposer un rapport de police sur les hommes qui ont ouvert le feu sur trois garçons qui jouaient entre des figuiers et des amandiers à la périphérie du village le 9 juillet.
« Il est impossible de porter plainte contre ce type de régime. Il n’y aura pas de justice pour nous », a-t-elle déclaré. « Les soldats n’ont même pas autorisé qui que ce soit à venir le secourir. »
Un habitant du village a vu les soldats tirer sur les trois garçons et s’est précipité pour les aider. Il a été tenu à l’écart pendant 10 minutes.
« Chaque fois que j’essayais de m’approcher de l’enfant, l’armée tirait en l’air », a déclaré l’homme, qui a demandé à ne pas être nommé. « À chaque pas que nous faisions, ils ouvraient le feu. Je ne pense pas qu’ils voulaient nous tirer dessus, mais il est certain qu’ils ne voulaient pas que nous sauvions l’enfant.
L’adolescent était encore en vie lorsque l’homme a fini par l’atteindre, mais il a perdu connaissance peu après.
L’armée israélienne a reconnu avoir tiré sur l’adolescent de 14 ans, qu’un porte-parole a décrit comme un « terroriste masqué (qui) lançait des pierres sur des véhicules israéliens ». L’homme qui a prodigué les premiers soins à Ghassan a déclaré qu’il n’avait pas vu de masque.
« Un soldat présent sur les lieux a répondu par des tirs en direction des terroristes, blessant l’un d’entre eux. L’affirmation selon laquelle le terroriste est mort de ses blessures est reconnue », a déclaré l’armée dans un communiqué.
Le dernier matin, Ghassan s’était réveillé tôt, avait préparé du café pour sa mère et l’avait aidée à faire la lessive avant qu’elle n’aille travailler à Ramallah.
Depuis le 7 octobre 2023, la vie est devenue plus difficile dans leur village de Deir Abu Mashal, comme dans la majeure partie de la Cisjordanie. La route principale a été bloquée par les forces israéliennes, si bien que pour entrer ou sortir, il faut rouler 20 minutes sur un chemin de terre à travers les oliveraies.
Mme Salaam envisageait de déménager plus près de son travail pour réduire les trajets quotidiens, mais elle pensait que le principal problème de la famille était d’ordre logistique, et non sécuritaire. Le village endormi n’est pas proche d’une colonie israélienne et n’a jamais été le théâtre d’affrontements.
« Je pensais que nous étions en sécurité », a déclaré Mme Salaam. « J’ai essayé de tenir mes enfants à l’écart de la violence et de la souffrance, mais elles sont arrivées jusqu’à nous. »
Traduction : AFPS