Empêchez-moi.
Ne me laissez pas entrer en Israël.
Je suis Juif. Trois dizaines de mes parents sont morts au cours de l’Holocauste. Mon père, avant de fuir les Nazis, était un membre actif des organisations de jeunesse sionistes. En ayant connaissance de ce qu’était pour Israël le droit au retour, j’ai eu l’impression que j’avais une invitation permanente à aller ou même à déménager en Israël n’importe quand j’en ferais le choix.
Mais apparemment, les idées et les idéaux sous-jacents à la fois à ce droit au retour et à l’Etat d’Israël lui-même sont en cours de ré-examen.
La décision prise par la Knesset en mars dernier d’interdire l’entrée (en Israël) à ceux impliqués dans les boycotts d’Israël et la mesure prise cette semaine par le Ministère des Affaires Stratégiques de mettre sur une liste noire les dirigeants de 20 organisations étrangères qui sont considérées comme soutenant de tels boycotts laissent entendre,que les droits et les valeurs fondamentales qui sous-tendent la démocratie proprement dite sont en voie d’abolition dans ce pays.
Je sais que ces droits n’existent pas pour des millions de Palestiniens. J’ai été tout au cours de ma vie d’adulte profondément troublé par ce fait. Les Palestiniens méritent pleinement d’avoir leur propre état et franchement, avoir un tel état n’est pas seulement leur droit, et ce qui est bien, est ce qui sert au mieux la sécurité d’Israël.
Mais j’ai rationalisé le maintien de mon soutien à l’Etat d’Israël fondé sur quelques appréciations.
D’abord, la création d’Israël a été, à mon avis, juste et rendue nécessaire par l’histoire. Ensuite, j’ai eu l’impression que la question des droits des Palestiniens serait au fil du temps équitablement résolue par la négociation - ce que l’histoire prend quelque temps à régler. Enfin, j’ai eu cette impression que la justice l’emporterait parce que Israël a été fondé sur des principes. Ceux-ci supposaient qu’il reconnaissait que le droit d’un état à exister dépend du consentement des gouvernés et que les droits de ceux-là, à l’intérieur de ses frontières, à s’exprimer librement, enrichiraient, façonneraient et assureraient la santé politique et morale de la nation.
Le fait d’interdire l’entrée de ceux dont les opinions dérangent Israël - même s’il est essentiel qu’Israël entende et prenne en considération ces points de vue - non seulement affaiblit le pays mais cela laisse entendre que les raisons pour lesquelles je défends Israël s’effondrent.
Le fait que le gouvernement dans le même temps bloque systématiquement les progrès de la paix, par des mesures allant de l’extension des colonies à la loi récente rendant plus difficile pour Israël de jamais céder des parties de Jérusalem lors de négociations, ne fait qu’aggraver cette impression.
Le discours d’extrême-droite d’Israël et ses réjouissances grotesques lors des violences en série à l’encontre de Palestiniens, allant d’une jeune fille âgée de 16 ans à un paraplégique abattu par des soldats israéliens, laissent à penser que même pire peut arriver.
Le gouvernement du Premier Ministre Netanyahou n’a pas fait grand chose pour dissiper de telles crainte. Au contraire, Netanyahou est devenu plus véhément et plus belliqueux dans les mois passés. Ses appels pour mettre fin à l’agence de l’ONU aidant les réfugiés palestiniens apparaissent comme cruels, incendiaires et téméraires, comme l’ont été ses efforts relatés pour examiner comment expulser de façon forcée les demandeurs d’asile africains. Ses héritiers politiques à l’intérieur du Parti du Likoud, comme Gidéon Saar, cherchent dans le même temps à enfoncer un coin au coeur de la solution à deux états de la question israélo-palestinienne.
En fait, on ne peut s’empêcher de se demander si Netanyahou n’est pas seulement en train de se mettre dans le sens du vent du changement politique dans son propre pays penchant de plus en plus à droite, mais si plutôt il ne prend exemple sur le président américain Donald Trump, un dirigeant qui, comme Netanyahou, est mis en examen juridique et qui, en tant que moyen de défense, se comporte de façon de plus en plus irrationnelle et autocratique.
Netanyahou a adopté l’antienne de Trump des « fausses nouvelles » en attaquant en Israël le droit à la libre expression. Il a poussé Trump à son annonce hautement non-constructive de déplacer l’Ambassade des U.S.A. à Jérusalem et à la décision de Trump de supprimer une aide financière aux Palestiniens. Tous les deux s’énervent l’un l’autre en affichant « leur génie très équilibré ». En proposant de donner un nom à une station de train de Jérusalem à proximité de l’endroit le plus sacré du Judaïsme après une série d’abus sexuels, le partisan de la suprématie des Blancs, le parvenu mal décrassé immortalise parfaitement cet instant, lequel est au-delà à la fois de la parodie et de la conviction.
En bref, l’administration Netanyahou a fait plus qu’interdire les critiques par sa dernière initiative et toutes celles qui l’ont précédée. C’est elle qui a transformé les partisans en adversaires. Elle a fait un grand pas en direction des voyoucraties intolérantes favorisées par des personnes comme Trump. Elle a rendu encore plus évidente ce qu’ont expliqué les Palestiniens depuis des décennies au sujet de la mascarade de démocratie israélienne. Et elle a fait quelque chose d’autre.
Elle a brisé le coeur de ceux qui souhaitent profondément dans leur ADN qu’Israël ait été à la hauteur pour être même une ombre des rêves que nos pères et nos mères avaient pour lui.
David Rothkopf est maître de recherches à l’Ecole des Hautes Etudes Internationales de l’Université John Hopkins et un chercheur invité à la Fondation Carnegie pour la Paix Internationale. Son dernier livre est « Bonnes questions de Demain » (Simon & Schuster / TED, 2017).
Traduit de l’anglais par Yves Jardin, membre du GT de l’AFPS sur les prisonniers