C’est un mot qui frappe la mémoire collective. Face à ce qu’il provoque, il est crucial de s’en tenir à sa définition juridique. Qualifier un crime de génocide n’est pas une opinion, mais le résultat d’une analyse basée sur le droit international.
Le terme vient de Raphaël Lemkin, réfugié, juriste juif américano-polonais. En 1944 il publie un ouvrage Axis Rule in Occupied Europe. Il y emploie un terme nouveau : génocide, combinaison de genos (clan ou race) et cide (tuer). Il pose ainsi les premières fondations de l’outil judiciaire international qui visera à punir et à prévenir les crimes de génocide.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et du génocide des juifs d’Europe, l’Assemblée générale des Nations Unies fait du génocide un crime en droit international. Le texte qui l’encadre est « la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide », adoptée à l’unanimité en 1948. Composée de 19 articles, cette Convention propose la première définition juridique internationale du génocide.
Les crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide font partie des crimes de droit international les plus graves.
Les démarches juridiques peuvent prendre des décennies avant d’obtenir une condamnation pour crime de génocide. En amont, chaque dénonciation, chaque élément de preuve est donc capital à la non-perpétration du crime. Et lutter contre l’impunité des auteurs (États, individus) est un impératif juridique de tous les États.
Une fois le crime qualifié, c’est à la CPI qu’il convient de poursuivre les responsables.
Quelle est la définition juridique du génocide ?
Ce qui distingue ce crime d’un autre, c’est l’intention spécifique de détruire, en tout ou partie, un groupe protégé par la Convention, à savoir un groupe national, racial, ethnique ou religieux. C’est cette notion d’intentionnalité qui fait la spécificité du terme de génocide.
Quels sont les actes permettant sa qualification ?
Il existe cinq actes inscrits dans la Convention qui permettent de qualifier juridiquement le crime de génocide : Les meurtres de membres du groupe ; L’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ; La soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction physique totale ou partielle ; Les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ; Le transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe.
Un seul de ces cinq actes suffit pour qualifier un génocide. Mais chacun d’eux doit avoir été commis avec l’intention de détruire. Et ceux-ci doivent viser les individus non pas en tant qu’individus, mais en tant que membres du groupe tel que protégé par la Convention.
Le nombre des victimes n’est pas déterminant et c’est bien la volonté de détruire un groupe qui est capital. Mais pour justifier de l’intentionnalité la partie du groupe doit être substantielle.
Le rapport d’Amnesty International [1]
Le 5 décembre 2024, Amnesty International a publié un rapport de près de 300 pages, qui accuse Israël de commettre un génocide contre les Palestiniens de Gaza. Selon la Convention des Nations Unies de 1948 sur le génocide, pour qualifier ainsi les actions israéliennes à Gaza, des preuves irréfutables étaient nécessaires. Ainsi d’octobre 2023 à juillet 2024, les équipes d’Amnesty International ont mené une enquête approfondie en analysant vidéos, images satellites, photos, jurisprudences des tribunaux internationaux et rapports de groupes de défense des droits humains israéliens et palestiniens, ainsi que d’organisations humanitaires sur place.
Amnesty International a soigneusement collecté et recueilli un « matériel d’étude » de 212 témoignages de victimes et témoins, qui ont fourni des informations de première main. Les équipes ont également identifié 102 déclarations de responsables israéliens – gouvernementaux, militaires et membres du Parlement – incitant à commettre des crimes contre les Palestiniens de Gaza, ou tenant des discours déshumanisants et racistes. « L’analyse de 62 vidéos a révélé comment certains soldats israéliens reprenaient ces propos et les interprétaient comme des autorisations ou des appels à détruire Gaza », explique Aymeric Elluin, responsable « Armes et conflits » chez Amnesty International France.
Finalement, sur ces cinq actes permettant la qualification de crime de génocide, Amnesty International en identifie trois. Les meurtres : avec plus de 42 000 Palestiniens tués, dont 13 319 enfants. Les atteintes graves à leur intégrité physique ou mentale : plus de 100 000 blessés. La soumission à des conditions d’existence conduisant à une destruction physique partielle ou totale : 84 % des établissements de santé et 62 % de terres agricoles détruits ou endommagés, plus de 2 millions de Gazaouis frappés par la famine, dont 80 % privés d’eau potable.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International, avertit : « Nos conclusions doivent sonner comme un signal d’alarme pour la communauté internationale : il s’agit d’un génocide, qui doit cesser immédiatement. » Des experts de l’ONU et des historiens israéliens avaient déjà alerté sur le risque de génocide, ou sur un génocide en cours.
La qualification de crime de génocide revêt une importance capitale, puisqu’elle contraint les États signataires de la convention de 1948 (dont la France) à prendre des mesures urgentes pour mettre fin à cette atrocité en cours, ou en empêcher la réalisation.
En vingt-quatre heures, 3 403 articles sur la publication d’Amnesty International sont publiés dans 88 pays. En France, une grande partie des médias couvre favorablement le rapport. Surtout Le Monde et L’Humanité qui ont repris les conclusions d’Amnesty International. Aux États-Unis, Le Washington Post s’en est servi pour interpeller le président Biden, en lui rappelant son obligation de prévenir tout acte de génocide et d’arrêter de livrer des armes à Israël.
La vidéo de l’organisation expliquant le rapport enregistre plus de 1 million de vues et ses publications sont largement partagées [2]. Le rapport a néanmoins exacerbé des divisions au sein d’Amnesty International Israël. Au moment de la publication du rapport, le président de la section démissionne suite à son opposition avec les membres de la section locale dont une partie s’oppose aux conclusions et rejette l’affirmation de génocide. Quelques jours plus tard, l’organisation suspend pour deux ans les activités de l’antenne israélienne.
Au niveau international, le ministère israélien des Affaires étrangères dénonce « un rapport fabriqué de toutes pièces, entièrement faux et basé sur des mensonges ». Le Département d’État américain déclare « les allégations de génocide infondées ». Un porte-parole du ministre allemand des Affaires étrangères affirme : « La question du génocide présuppose l’intention claire d’exterminer un groupe ethnique, et je ne vois toujours pas cette intention clairement démontrée. » Il est cependant à noter que ces deux pays sont fournisseurs d’armes et alliés d’Israël.
Le 12 décembre, l’Irlande annonce, se joindre à la plainte pour génocide déposée fin 2023 par l’Afrique du Sud devant la CIJ. Le 16 décembre, l’ONG berlinoise European Center for Constitutional and Human Rights conclut qu’il existe un argument juridiquement fondé selon lequel Israël commet un génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza. Le même jour, le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, reçoit Agnès Callamard pour discuter de la question du génocide.
Deux autres rapports, l’un publié le 18 décembre par Médecins sans frontières, l’autre le lendemain par Human Rights Watch [3], accusent à leur tour Israël d’« actes de génocide ».
En France, bien que le président Macron se refuse toujours à prononcer le mot génocide, il a soutenu l’idée d’un cessez-le-feu et évoqué la possibilité de suspendre la vente d’armes impliquées dans les combats à Gaza, il n’a toujours pas répondu aux demandes de rencontre formulées par Amnesty International. La section française de l’organisation poursuit son plaidoyer auprès du gouvernement et des parlementaires alertant : attention, avant même sa reconnaissance, prévenir un risque de génocide est de l’ordre de la responsabilité des États.
C’est ce qui fait une des spécificités du crime de génocide. Conformément à la Convention, chaque État a l’obligation de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir et punir un génocide. Or 153 États ont ratifié la Convention de 1948 sur le génocide dont la France. On attend donc avec impatience les mesures prises dans ce sens.
Mireille Sève
Avec l’autorisation d’AI et d’Éric Dourel, journaliste, pour les références à son article paru dans La Chronique, no 459, février 2025