Depuis 2004, l’AFPS traduit et publie chaque semaine la chronique hebdomadaire d’Uri Avnery, journaliste et militant de la paix israélien, témoin engagé de premier plan de tous les événements de la région depuis le début. Cette publication systématique de la part de l’AFPS ne signifie évidemment pas que les opinions émises par l’auteur engagent l’association. http://www.france-palestine.org/+Uri-Avnery+
Ce n’est pas juste une nouvelle élection américaine. Dans ma vie j’en ai vu beaucoup. Dans certains cas j’étais heureux des résultats, dans d’autres non.
Mais celle-ci est entièrement différente. C’est un tremblement de terre qui change la face de la Planète.
Comment est-il arrivé ? Pourquoi ? Et pourquoi fut-il si totalement inattendu ?
IL FUT inattendu en raison de ce culte païen des sondages.
Comme je l’ai écrit la semaine dernière avant sa survenue, ces sondages me rappellent l’art romain de lire l’avenir dans des entrailles d’animaux et l’art plus moderne des astrologues.
Aussi loin que je me souvienne, les sondages se sont toujours trompés. De temps en temps un sondage donnait le bon résultat, comme une horloge cassée qui donne l’heure exacte deux fois par jour. On applaudissait alors à ce sondage, jusqu’au suivant, de nouveau dans l’erreur comme tous les autres.
C’est ainsi en Israël comme aux États-Unis et partout ailleurs.
Alors, les médias se tourneront-ils de nouveau vers les sondages à la prochaine élection ? Sûrement. Ils n’ont pas le choix. Les sondages donnent des évaluations. Ils génèrent un suspense. Au lieu de ne rapporter que des discours électoraux ennuyeux et répétitifs, ils produisent de l’excitation. Leurs hauts et leurs bas remplissent les plages d’informations écrites et audiovisuelles.
En bref, les sondages sont faits par les médias pour les médias. Ils ne veulent rien dire. Lorsque les résultats réels sont connus, on les oublie en attendant la fois suivante où les sondages recommencent comme si rien ne s’était passé.
Où est l’erreur ? Eh bien, presque tout le monde ment aux sondeurs. Il était humiliant pour un électeur d’admettre qu’il allait voter pour Trump, le choix ridicule de la populace, au lieu de voter pour la candidate distinguée de l’élite.
Pour obtenir des résultats à peu près valables, un sondeur devrait passer au moins une heure avec chaque sondé, lui poser des questions sur divers sujets tels que les emplois, les armes, les élites et autres. Et même alors on n’a aucune certitude.
Je n’écris pas cela dans l’espoir de voir la prochaine fois les gens rire à la vue des sondages. Sans les sondages, comment penseront-ils savoir qui gagnera ?
NOUS NE savons pas vraiment qui est Trump, ni ce qu’il fera pendant les quatre prochaines années. Nous ne connaissons que le Trump des élections : un sale personnage, mégalomane, menteur, ignorant. Certains ajouteraient : un proto-fasciste.
À la veille des dernières élections libres de l’Allemagne d’avant Hitler, Joseph Goebbels, le maître à penser de la propagande moderne, écrivait dans son journal : “Nous devons de nouveau faire appel aux plus bas instincts des masses.”
Cela pourrait bien être la devise de tous les mouvements fascistes du monde. Ce fut certainement celle de Donald Trump dans sa campagne.
Les plus bas instincts des masses les conduisent à haïr les étrangers, les membres des minorités, ceux qui sont différents sexuellement, et surtout “les élites”, généralement situées dans la capitale de la nation. Ces instincts les conduisent à croire aux théories du complot les plus folles. Ils les conduisent à croire que des forces obscures sont à l’œuvre, menaçant notre cher pays, poignardant dans le dos nos héroïques soldats.
Dans tous les pays on trouve des gens pour croire sincèrement à ce genre d’absurdités. Qui font confiance à leur chef. Qui haïssent leurs ennemis. Qui veulent que leur pays retrouve sa grandeur. Deutschland erwache ! (Allemagne, réveille-toi !)
En temps “normal”, ces éléments végètent dans les marges. Leurs voix se font à peine entendre dans les médias et au parlement. Mais quelquefois, en certains endroits, la lie remonte à la surface. C’est ce qui vient d’arriver aux États-Unis.
Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
CERTAINS POURRAIENT dire : à cause de la personnalité inimitable de Donald Trump. Ce mélange particulier de mégalomanie, d’art de la mise en scène et de séduction des masses. Cela est exact, mais ne suffit pas à expliquer le phénomène.
Il y a des Trump partout en tous temps. Ils vont et viennent sans laisser de trace. Pourquoi ce Trump là ? Qu’est ce qui rend ce Trump là si particulier ?
Au début, il a suscité la dérision – tout comme d’autres démagogues qui furent considérés pendant des années comme des clowns politiques, avant qu’ils ne causent d’indicibles désastres. Il n’y avait plus de dérision cette semaine, quand l’Amérique raisonnable a tremblé de peur. Le clown peut devenir un monstre.
Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
LE MOUVEMENT POPULAIRE qui a surgi autour de Trump ressemble à l’éruption d’un volcan. Cela vient des profondeurs de la terre.
Ce n’est pas simplement un mouvement politique rassemblé par un politicien habile. Il s’agit d’un phénomène naturel, d’une émotion de masse, d’une expression de peurs et d’aspirations profondes.
Il tient, je crois, au fait que la société humaine a changé, laissant des quantités de gens désorientés dans la misère et le désespoir.
La globalisation a changé les conditions de vie de milliards de personnes, pour le meilleur et pour le pire. On ne reconnait plus les modes de production et de commerce. C’est comme un tremblement de terre – les montagnes deviennent des vallées, les vallées deviennent des montagnes.
C’est déjà arrivé dans l’histoire. Par exemple les Luddites en Angleterre et “die Weber” en Allemagne au début du 19e siècle, qui brisèrent les machines modernes qui leur enlevaient leur emploi. Ce fut une rébellion vaine.
Les principales victimes sont les classes inférieures des anciennes nations dominantes. Les cols bleus. Ceux qui étaient hier fiers de leur emploi dans des métiers qualifiés, bien rémunérés et gratifiants, et qui doivent maintenant faire avec des emplois bien inférieurs, s’il y en a.
L’automobile américaine, un symbole mondial, l’orgueil de la nation américaine, est maintenant un triste naufrage.
Cela alimente une haine naturelle pour les étrangers (les Asiatiques qui produisent les voitures) et les minorités (les Mexicains qui les concurrencent dans les misérables emplois encore possibles). Cela alimente un nationalisme farouche. Le travailleur de Détroit peut être chômeur, sa maison menacée de saisie, mais il reste un Américain blanc pur-sang. C’est en tant que tel qu’il a voté.
Le trumpisme est le cri des grandes masses d’Américains ruinés économiquement, désorientés spirituellement, généralement dans la misère, pleins de haine, de méfiance et de désespoir.
Ce n’est pas une situation passagère et un mouvement d’humeur passager. Le trumpisme continuera d’exister sous le Président Trump.
IL Y A d’énormes différences entre les États-Unis et Israël.
Les États-Unis sont immenses, Israël est tout petit, plus petit que beaucoup d’États des États-Unis. Les États-Unis sont encore multiculturels, Israël ne l’est absolument pas. Les États-Unis sont riches en ressources naturelles. Israël en est presque dépourvu, excepté du pétrole en mer, loin de ses rivages. Etc.
Benjamin Nétanyahou n’est pas Trump, pas même la moitié d’un Trump. Mais il est en train d’en devenir un.
Nétanyahou est un homme d’une seule question. Il prend le mors aux dents sur une question, et il s’y tient longtemps.
Il n’y a pas si longtemps c’était la bombe iranienne. En une minute l’Iran allait l’obtenir. Ce serait la fin du monde, à commencer par Israël. Alors il a déclaré la guerre à Barak Obama, prononcé un discours au Congrès, secoué le monde.
Et puis il s’est arrêté. Pratiquement du jour au lendemain. Plus de bombe. Plus d’Iran. Plus de fin de quoi que ce soit.
Maintenant ce sont les médias. Nétanyahou veut conquérir les médias. Pas quelques uns. Pas la plupart. Tous.
Ce n’est pas l’UNE de ses préoccupations. Ce n’est même pas la principale de ses préoccupations. C’est sa SEULE préoccupation.
Pour la mettre en pratique, Nétanyahou a pris une voie très inhabituelle. Lors de la formation de son nouveau (et quatrième) cabinet, il a gardé pour lui le ministère de la Communication, ministère tout à fait mineur, maintenant on comprend pourquoi.
Le magnat juif des casinos, Sheldon Adelson, le bienfaiteur de Trump, EST le plus grand admirateur de Nétanyahou (et son propriétaire). Il a créé un journal quotidien qui est distribué gratuitement et consacré uniquement à Nétanyahou et à sa femme. Il a actuellement la plus grande diffusion dans le pays.
Est-ce suffisant ? Non et de loin ! Nétanyahou n’est pas content de la télévision publique israélienne, qui est plus ou moins neutre. Bien qu’elle ait beaucoup moins d’influence que nos deux chaines commerciales privées, Nétanyahou est décidé à la remplacer par une chaine personnelle.
C’est actuellement sa (seule) grande préoccupation. Il a monté une nouvelle société de télévision, imitée de la BBC, mais il vient de découvrir que la nouvelle société, qui n’émet pas encore, est déjà pleine de “gauchistes radicaux” (quiconque n’est pas un admirateur de “Bibi”). Du coup Nétanyahou veut la supprimer pour garder le service actuel, vraisemblablement après un remaniement complet.
La raison pour laquelle Nétanyahou a besoin d’une domination absolue, totale, des médias a été démontrée cette semaine par la chaine commerciale 10. Un programme d’enquête très populaire (et exceptionnel) intitulé Uvda (“fait”) a consacré une heure à Sara, (troisième) épouse très impopulaire de Nétanyahou.
Il apparait que Sara’le (“petite Sara”), comme on l’appelle généralement, procède personnellement à toutes les nominations importantes du pays, y compris le chef d’état-major de l’armée et le directeur général de tous les ministères, uniquement en fonction de leur fidélité personnelle à son mari (et à elle-même).
A la fin du programme, la rédactrice en chef et responsable de la diffusion, Ilana Dayan, a lu une réfutation officielle du bureau de Nétanyahou. Le texte faisait plus de quatre pages (six minutes) et était plein d’attaques personnelles contre Dayan ; celle-ci l’a lu lentement et de façon imperturbable. Tout à fait divertissant.
A part de rares telles exceptions, les médias israéliens sont actuellement sous influence. L’humour populaire parle d’une cour, d’un roi, d’une reine et d’un prince héritier. Mais il n’y a plus matière à plaisanter : il est clair que Nétanyahou veut être un Poutine ou un Erdogan israélien. Et maintenant : un Trump.
SOYONS honnêtes. Des miracles arrivent.
Le Président Trump peut devenir une personne tout à fait différente du mauvais candidat. Il peut être pragmatique dans le bon sens du terme, apprendre rapidement, gouverner avec sagesse.
Comme disent nos amis musulmans : Inch Allah, si Dieu le veut.