Déroulement des élections
L’affluence était assez importante dans les bureaux de vote des villages, variable dans ceux des villes. Nous avons relevé un bureau où la participation n’a pas dépassé 10%. Dans les villages, dès midi la participation était de 50%. Dans tous les bureaux l’ambiance était bonne ; aux abords de quelques bureaux on pouvait observer une animation liée à la présence de supporters de M.Abbas, ailleurs calme et sérénité. A Tulkarem et sa région nous n’avons pas constaté d’empêchements israéliens, en particulier aux check-points.
Nous avons eu connaissance du report de l’heure de fermeture en arrivant au bureau de vote de l’école J. Abdel Nasser à Tulkarem vers 18h. Il y avait à ce moment là une affluence soudaine, et une grande agitation, le coordinateur EMCC [1] était mécontent car cette décision unilatérale n’était pas normale. Nous ne savons pas précisément comment les gens ont été informés (par radio ?) mais ils sont arrivés tous en même temps - un peu comme une prise d’assaut du bureau de vote. Il n’y avait qu’un policier, les policiers appelés en renfort ont mis du temps pour arriver, à quatre.
Les responsables du centre de vote ont eu quelques difficultés à maîtriser la situation, mais y sont parvenus. A noter qu’à ce moment-là étaient arrivés en nombre des personnes qui n’étaient pas inscrites sur les listes électorales et pouvaient voter avec leurs cartes d’identité. Il y a même eu un flou puisque pour certains il fallait s’inscrire sur une liste civile avant de voter, pour d’autres il était possible de voter avec la seule carte d’identité, directement.
Pour finir tous ceux qui s’étaient amassés dans le couloir ont été refoulés, puis, le calme revenu, le vote s’est poursuivi. C’est dans ce centre de vote que la participation ne dépassait pas 10% ( et M. Abbas est arrivé largement en tête).
Avant les élections tous les Palestiniens que nous avons rencontrés savaient que M.Abbas serait élu et l’acceptaient, même lorsqu’ils n’étaient pas d’accord politiquement. On peut dire qu’ils sont sans illusions sur lui mais en même temps ils lui font plus confiance que nous pour tenir bon sur l’essentiel, face à Sharon. Les opposants politiques ont pesé sur la campagne et continuent à peser. Ils attachent beaucoup d’importance aux prochaines élections législatives. Ils le jugeront sur ses actes, ses réussites et ses échecs, ils agiront en conséquence.
Voici l’essentiel de ce que Nazeef Boualem, Directeur du PCPD et secrétaire général du Comité d’observation des élections nous a dit avant (1) et après les élections(2) :
1) La démocratie palestinienne doit faire face à 5 défis
– Celui du mur : expression du colonialisme, il confisque 55% des terres de Cisjordanie, 80% de son eau et 91% des terres agricoles et divise la Cisjordanie en 7 cantons isolés. Il crée un véritable apartheid.
– Celui de la pauvreté :72% des Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté.
– Celui des institutions qui ont été détruites par l’occupation.
– Celui du statut final : les négociations ont été bloquées aussi bien par les travaillistes avec Pérès que par le Likoud.
– Celui du processus électoral dont les élections présidentielles sont un élément. Il y aura en 2005 des élections dans tous les secteurs :
- municipal,
- législatif ( 21% des députés seront des femmes)dans les partis politiques
- dans la société civile
Le 1er août 2000 à l’initiative du PCPD la commission électorale a été mise en place. Le principal obstacle depuis à son fonctionnement est l’occupation,contre laquelle les Palestiniens se battent.
2) Observations sur les élections :
La commission centrale de l’Autorité palestinienne a pris des décisions discutables et non justifiées .
– Décision de prolonger de 2 heures la durée des élections ; des gens venus voter sans avoir été enregistrés ont été ajoutés aux listes en cours de journée, alors que personne (ni observateurs, ni candidats)n’était au courant. 30000 personnes de plus ont voté.
Pourquoi la décision de prolongation a-t-elle été prise aussi tard ? La CCE[commission de contrôle de l’élection]] veut connaître les véritables raisons.
– Jérusalem : la décision avait été prise de procéder au dépouillement dans le bureau de la commission centrale. Or après 21h il a été décidé de transporter et de dépouiller les bulletins à Ramallah. Le véhicule de transport a été bloqué à Kalandia et a dû rebrousser chemin . Le dépouillement a eu lieu au bureau de la CCE après le voyage de retour. Il n’y a pas de justification de cette décision.
– Les candidats et leurs campagnes : ils ont continué la campagne jusqu’à la fin du vote, y compris à la télévision et Abou Mahzen avait une page e publicité dans les journaux le dimanche
Sur le terrain
Nous étions dans une période particulière où les Israéliens ont fait quelque effort de discrétion, du moins là où nous étions. Au cours de nos déplacements nous avons vu peu de check-points autres que fixes, davantage cependant après les élections. Dès mardi matin (11-01) il y avait des problèmes à Kalandia où les Palestiniens non-résidents de Jérusalem ont été ennuyés quand ils n’ont pas été empêchés de passer.
Pendant la semaine des élections, il y a eu des morts tous les jours. Entre lundi 10 et jeudi 13 l’armée est entrée au moins deux fois à Tulkarem. Nous avons été témoins partiels de la deuxième incursion du jeudi. En effet, nous étions avec des responsables du PARC et traversions la ville lorsque nous avons dû prendre des rues de traverse pour éviter les Israéliens, nous sommes tombés sur un affrontement entre jeunes garçons et soldats israéliens : cailloux
contre balles en caoutchouc. Les gamins refluaient, les soldats tiraient. Nous sommes passé au milieu. La première voiture a reçu une balle.
Lorsqu’on se déplace à travers la Cisjordanie, on est frappé par le nombre de colonies qui rongent le paysage pieuvre qui étend ses tentacules, de plus en plus densément.
A Hébron, la présence militaire est très forte même si l’ami qui nous guidait nous a dit que cette période était paradisiaque par rapport à ce qu’ils vivent habituellement. Et pourtant la violence est très présente. Les soldats ne se déplacent pas l’arme à la bretelle mais en position de servir, et ils braquent facilement leur arme sur les gens (deux d’entre nous en ont fait l’expérience).
Le moral des Palestiniens
La plupart des gens que nous avons rencontrés sont des gens politisés et/ou instruits. Nous n’avons pas vraiment eu l’occasion de rencontrer d’autres personnes.
A des degrés différents on sent la fatigue, mais comment ne pas être fatigué quand la vie n’est pas la vie, qu’on ne peut pas se déplacer, qu’il n’y a pas de travail, que le poids de l’occupation est présent dans tous les gestes de la vie, que la violence de l’occupant est permanente.
A Saffa [2], les gens sont prêts à accepter un mur, s’il respecte le tracé de la Ligne verte. Ils sont directement concernés par le mur qui leur prend 50% des terres agricoles, après qu’on leur a déjà volé des terres sur lesquelles est installée une colonie.
Près de Tulkarem, les fermiers du village de Far’un sont totalement désespérés, ils ont pratiquement tout perdu, même s’ils s’organisent pour essayer de survivre, en mettant en culture des terres qui jusque là n’étaient pas utilisées. Ils demandent de l’aide.
Mais partout nous avons vu des gens debout, qui ont besoin de souffler, mais qui ne sont pas prêts à renoncer.
Ils nous demandent de témoigner de ce que nous avons vu, de les aider à tenir sur leur terre, et de faire bouger nos dirigeants. Ils ne veulent pas partir.